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Violences sexistes : les hommes auraient-ils peur du délit punissant le harcèlement sexuel ?


Basta - Nolwenn Weiler - 20 juin 2012 - Le délit de harcèlement sexuel est en cours de redéfinition par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, et la ministre du Droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. Le projet de texte s’est attiré quelques reproches, en particulier sur sa formulation alambiquée. Mais d’autres critiques pointent, relativisant la gravité du harcèlement sexuel au nom de « la drague ». Pourtant, près d’une salariée sur cinq confie être victime de harcèlement sexuel au travail. Selon le Bureau international du travail, la France est même l’un des pays où le taux des violences sexistes ou sexuelles au travail est le plus élevé du monde !

Avant le 4 mai 2012, le harcèlement sexuel était aussi un délit, et ce depuis 1992. Abrogé par le Conseil constitutionnel parce que jugé trop flou dans sa définition, le délit devrait être rétabli d’ici peu. Une proposition de loi, rédigée par Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem, respectivement ministres de la Justice et des Droits des femmes, a été présentée le 13 juin en conseil des ministres. Le texte, inspiré (entre autres) des échanges des deux ministres avec des associations de victimes, est jugé trop alambiqué, redondant, par de nombreux juristes. Ce qui le rendrait difficilement applicable. Les associations de victimes déplorent elles aussi le côté « usine à gaz » du texte.

Elles se félicitent en revanche de « la création de circonstances aggravantes jusqu’alors inexistantes, de l’ajout du harcèlement sexuel aux motifs de discrimination, de la pénalisation, dans le code du travail, de la personne morale et du fait que, dans le code du travail, un acte unique de harcèlement sexuel puisse être pris en compte dans les dispositions relatives aux sanctions prises par l’employeur à l’encontre des salarié-e-s ».

Les victimes ne mentent pas, elles se taisent !

Le durcissement de la répression vis-à-vis des harceleurs n’est pas forcément du goût de tout le monde. Dans les forums qui fleurissent sur le web, on sent ainsi poindre la crainte de ne plus pouvoir draguer au bureau… « Bienheureux d’être vieux ! », dit ainsi un lecteur de Le point.fr « Mais je me mets tout de même à la place d’un jeune : finis la drague, le flirt et tous ces jolis mots grâce auxquels l’humanité existe encore. Le râteau ne suffira plus : on ira chaque fois au barreau. »

On répètera donc aux messieurs inquiets d’être accusés à tort de harcèlement sexuel qu’ils n’ont point à s’inquiéter. Le harcèlement sexuel imaginaire et le viol fantasmé n’existent, dans la réalité, quasiment pas. La plupart des femmes victimes de violences sexuelles se taisent et ne portent jamais plainte. Elles se sentent coupables (dans une inversion des rôles prodigieuse propre à ces violences !), elles ont honte, elles ne font pas forcément confiance à la Justice. Et si les violences ont lieu dans le cadre de leur travail, elles craignent, en brisant l’omerta, de perdre leur boulot !

L’enquête la plus récente sur le sujet date de 2007. Le conseil général de Seine-Saint-Denis a interrogé plus de 1 500 femmes travaillant dans le département. Plus d’une sur cinq (22 %) dit avoir connu une agression ou un harcèlement sexuels au travail dans les douze derniers mois. 98 % d’entre elles n’ont engagé aucune poursuite. En cas d’agression sexuelle ou de viol, seulement 12 % ont entamé une procédure judiciaire ! De plus, les policiers, gendarmes et magistrats chargés de mener les enquêtes à la suite des dépôts de plaintes s’accordent en général pour dire qu’ils démasquent plutôt facilement les personnes qui affabulent.

« On ne pourra plus draguer ni coucher »

Certains semblent effrayés de ressembler bientôt aux Américains, cet horrible pays puritain où, c’est bien connu, les femmes portent toutes une ceinture de chasteté et crient au viol à tout-va. Et où il n’y a plus ni couples, ni relations sexuelles consenties entre collègues. Mais prétendre qu’un sourire ou une prise de contact maladroite seront considérés comme du harcèlement sexuel est de la mauvaise foi pure. Doublée d’une méconnaissance des conséquences du harcèlement sexuel chez les personnes qui en sont victimes. À savoir : stress et anxiété, perte de confiance en soi et d’estime de soi, nausées, maux de tête, fatigue, diminution de la qualité de son travail ou de ses études, perte de son emploi, dossier professionnel ou scolaire altéré, etc.

Autre source d’anxiété pour ceux que le délit de harcèlement sexuel effraie : le fait que l’intentionnalité de l’auteur ne soit plus forcément requise pour que le délit soit constitué. Il l’aurait draguée avec insistance (en pensant, vous savez bien, que non ça veut dire en fait oui), au point de lui faire perdre éventuellement le sommeil ou l’appétit (symptômes très courants des victimes de harcèlement), mais sans penser à mal. Et se retrouverait éventuellement (si la victime ose porter plainte) devant les tribunaux ? C’est vraiment trop injuste Madame le juge !

Moins grave que de voler un carambar !

Évidemment, la menace d’une condamnation pour HS obligera certains messieurs à revoir leur comportement. Mais c’est à cela aussi que servent les textes de loi. À poser les limites de ce qui se fait, et de ce qui ne se fait pas en société. Ils seront tenus de réfléchir deux fois avant de lâcher des blagues lourdes et sexistes qui ne font rire qu’eux : où est le problème ? Ils hésiteront à mettre des images pornos en fond d’écran sur les postes de leurs collègues ? Est-ce regrettable ? Ils n’oseront plus appeler leurs collègues « chérie », ni leur répéter qu’elles sont « tellement bien roulées en jupe » : nous en sommes fort aises !

Et que les messieurs effrayés par la pénalisation des violences sexistes se rassurent. Il reste moins grave, dans l’actuel projet de loi, de harceler une femme que de piquer des Carambar dans une supérette ! Commis en réunion (ce qui constitue une circonstance aggravante), le HS serait puni au maximum de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Pour un vol commis en réunion, on risque cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. En cas de cumul de circonstances aggravantes, le vol en réunion peut même être puni de 10 ans de détention et de 150 000 euros d’amende !

Même si elles avancent à pas feutrés, ces critiques pourraient trouver des relais au sein du Sénat et de l’Assemblée nationale lors des débats parlementaires prévus à la fin du mois de juin. D’autant qu’en matière de harcèlement, certains parlementaires se défendent pas mal ! Même si certains sénateurs se sont rapidement mobilisés pour combler le vide juridique laissé par le Conseil constitutionnel, en faisant diverses propositions de loi. « Pour garantir les droits des femmes, le changement c’est maintenant », disait l’un des slogans de François Hollande. Espérons que la très rose et très mâle Assemblée nationale (1/5 de femmes, et c’est un record !) élue le 17 juin 2012 suivra les bons conseils du président de la République. Et ne sera pas obsédée par « la longueur de la jupe ».


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 21 juin 2012

 

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