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La dépollution du Delta du Niger pourrait prendre trente ans, selon l’ONU

Précédé par l’édito du Monde sur le sujet


La malédiction de l’or noir dans le delta du Niger

Edito du Monde | LeMonde | 05.08.11 | Auteur ?

Le paradoxe est bien connu, malheureusement : le pétrole rend pauvres bon nombre de pays producteurs d’or noir. Ou, plus exactement, il n’enrichit que d’étroites oligarchies ou autocraties pétrolières, au détriment de la plus grande masse des populations concernées. Trop souvent, cette "malédiction du pétrole" creuse dramatiquement les inégalités et entretient la corruption. Pour le plus grand profit des grandes compagnies pétrolières.

Economique et sociale, cette malédiction est également écologique. En Amérique centrale ou en Afrique notamment, ce sont des territoires entiers - et les peuples qui les habitent - qui sont ravagés, depuis des décennies, par une exploitation sans scrupule ni précautions.

A cet égard, le rapport que vient de rendre public le Programme des Nations unies pour l’environnement sur la pollution pétrolière du delta du Niger, au sud-est du Nigeria, est tristement éloquent. Au terme d’une longue et solide enquête, il met en effet en lumière l’implacable engrenage d’un désastre environnemental.

Le sort du pays Ogoni, dans le delta du Niger, est exemplaire, si l’on ose dire. L’exploitation du pétrole par la Shell y a commencé il y a un demi-siècle. Au début des années 1990, les habitants de ce vaste territoire se sont révoltés contre une activité qui détruisait leurs conditions de vie (la pêche) et de survie (l’eau potable). Cette quasi-guerre civile, écrasée dans le sang par le gouvernement nigérian de l’époque, a conduit à l’arrêt de l’exploitation pétrolière. Mais les dégâts écologiques ont continué : marées noires, fuites ou sabotages des oléoducs qui traversent la région n’ont pas cessé.

Pour les enquêteurs des Nations unies, les conséquences sont dramatiques : pollution généralisée, qualité de vie et santé publique d’un million d’habitants menacées, ressources halieutiques dévastées, etc. Ils soulignent que la restauration environnementale de la région constituerait la plus grande opération de nettoyage jamais réalisée dans le monde. Enfin, ils désignent clairement la responsabilité de la Shell.

Cette dernière conclusion est symptomatique de l’évolution trop lente, mais indéniable, qui est en cours. Consciente qu’elle serait inévitablement épinglée par les Nations unies, la compagnie anglo-néerlandaise a financé cette enquête. En outre, elle vient d’admettre, devant un tribunal britannique, sa responsabilité dans deux pollutions pétrolières qui ont souillé la région en 2008.

De même, à l’autre bout du monde et au terme d’un très long conflit, le tribunal de Lago Agrio, en Equateur, a condamné, le 11 février, la compagnie Chevron-Texaco à verser 6 milliards d’euros pour avoir pollué pendant cinquante ans toute une région de l’Amazonie.

Reste à savoir combien d’enquêtes ou de jugements comparables seront encore nécessaires pour que les compagnies pétrolières - et les élites locales qui les soutiennent - admettent qu’il est de leur responsabilité de contribuer à la réparation des dégâts qu’elles ont causés et au développement local des communautés qu’elles ont dévastées.


La dépollution du Delta du Niger pourrait prendre trente ans, selon l’ONU

LeMonde.fr avec AFP | 04.08.11 |

L’ONU   a estimé, jeudi 4 août, que la pollution pétrolière dans le sud du Nigeria était telle qu’elle pourrait nécessiter l’opération de nettoyage la plus vaste jamais réalisée. Cette opération pourrait prendre vingt-cinq à trente ans, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

L’agence a mené durant deux ans "une évaluation sans précédent" de l’étendue et de l’impact de la pollution dans l’Ogoniland, au cœur du Delta du Niger, la région pétrolifère du premier producteur de brut d’Afrique. "La restauration environnementale de l’Ogoniland pourrait bien être l’exercice de nettoyage de pétrole le plus vaste et le plus long jamais réalisé dans le monde si l’on veut ramener à un état entièrement sain l’eau potable, les sols, les criques et les écosystèmes importants tels que les mangroves, qui sont contaminés", selon un communiqué du PNUE qui a présenté l’étude jeudi à Abuja.

Le PNUE a préconisé la création d’un fonds spécial pour l’Ogoniland et suggéré que les compagnies pétrolières et le gouvernement nigérian y injectent 1 milliard de dollars (701 000 euros). "Dans au moins dix communautés Ogoni, où l’eau potable est contaminée avec des niveaux élevés d’hydrocarbures, la santé publique est sérieusement menacée", relève le PNUE.

L’Ogoniland est quadrillé d’oléoducs et jonché de puits et autres installations pétrolières. Les défenseurs de l’environnement dénoncent depuis des années l’impact environnemental de l’exploration de brut. Parmi les nombreux groupes opérant dans le Delta du Niger, le géant anglo-néerlandais Shell est le plus ancien et le plus important.

RAPPORT "DE GRANDE VALEUR"

Shell a jugé jeudi "de grande valeur" le rapport de l’ONU   sur la pollution pétrolière dans ce pays. "Ce rapport apporte une contribution de grande valeur en vue d’améliorer la compréhension du problème des fuites de pétrole dans l’Ogoniland", a estimé Mutiu Sunmonu, directeur général de Shell Petroleum Development Company (SPDC), qui gère les opérations nigérianes pour Shell. "Toutes les fuites de pétrole sont mauvaises (...) pour les communautés locales (...), pour l’environnement (...), pour SPDC", a-t-il ajouté dans un communiqué, rappelant que Shell ne produit plus de pétrole dans l’Ogoniland depuis 1993. Cependant, un important oléoduc appartenant au groupe continue de traverser la région, selon le site Internet de la société, et Shell a reconnu mercredi sa responsabilité dans deux marées noires de 2008 et 2009 dans l’Ogoniland, s’engageant à payer des compensations.

La question de l’attribution de la responsabilité de la pollution est épineuse. De nombreux activistes dénoncent la négligence des groupes pétroliers. Shell a souvent affirmé que la plupart des fuites sont causées par des activités illégales telles que le vol de brut, prélevé directement sur les oléoducs, et le raffinement clandestin.

Le PNUE relève que "le contrôle et l’entretien des installations pétrolières dans l’Ogoniland demeure inadéquat : les propres procédures de Shell Petroleum Development Company n’ont pas été respectées, conduisant à des problèmes de santé publique et de sécurité". Les dommages pourraient s’élever à plusieurs centaines de millions de dollars, selon le journal britannique The Guardian.

"RÉVOQUER LA LICENCE DE SHELL"

Selon les défenseurs de l’environnement, la pollution liée au pétrole a ravagé l’Ogoniland et détruit les moyens de subsistance d’une population vivant essentiellement de la pêche et de l’agriculture.

Amnesty International a estimé jeudi dans un communiqué que l’étude prouvait que "Shell a eu un impact terrible au Nigeria et s’en est sorti en niant cela des décennies durant". Le groupe a "systématiquement échoué" à nettoyer ses fuites de pétrole, selon l’ONG.

Le président Goodluck Jonathan, premier dirigeant issu du Delta du Niger, a assuré après avoir reçu l’étude en mains propres, que son gouvernement allait "discuter avec Shell et d’autres compagnies (...) ainsi que les agences gouvernementales compétentes pour voir comment nous pouvons gérer ce rapport". Le Mouvement pour la survie du peuple ogoni a estimé jeudi que le gouvernement devait "révoquer la licence de Shell en raison des ravages provoqués dans l’Ogoniland".


Publié sur OSI Bouaké le samedi 6 août 2011

 

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