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Oppression et détention, ou comment exposer les consommateurs de drogue au VIH


Mexico, 6 août 2008 - Accroître la pression sur les consommateurs de drogues en les harcelant ou les incarcérant ne fait pas baisser la consommation de ces substances, mais cela aggrave en revanche le risque d’infection au VIH   parmi ce groupe vulnérable, ont averti plusieurs intervenants lors de la XVII Conférence internationale sur le sida  , au Mexique.

A l’exception de l’Afrique, où la transmission du VIH   se fait essentiellement par voie sexuelle, ailleurs dans le monde, « près d’un tiers des cas d’infections au VIH   est dû au partage de seringues usagées », a dit Daniel Wolfe, en charge du programme de réduction de la vulnérabilité à l’Open society initiative, lors d’une session consacrée aux questions de drogue, détention et VIH  , le 5 août.

En Russie, 83 pour cent des cas d’infection au VIH   ont été enregistrés parmi les consommateurs de drogues injectables (IDU en anglais). En Ukraine, cette proportion est de 62 pour cent et au Vietnam de 52 pour cent, a ajouté M. Wolfe au cours de cette conférence, qui réunit du 3 au 8 août quelque 22 000 délégués du monde entier à Mexico, la capitale mexicaine.

Face au problème de la drogue, la réponse des gouvernements est souvent la répression et l’incarcération, a dit Samuel Friedman, auteur de plusieurs études sur le lien entre consommation de drogue et VIH   , « partant du principe que quand on punit quelqu’un pour son comportement, on réduit ce comportement ».

Or plusieurs études prouvent que les arrestations massives d’IDU ou le harcèlement policier dont ils font l’objet n’ont aucun effet sur la consommation, mais en revanche privent ceux qui en ont besoin de soins et de moyens de prévention du VIH  .

Une étude menée à New-York, aux Etats-Unis, a montré qu’environ 20 pour cent des consommateurs de drogues avaient été arrêtés par la police près d’une pharmacie ou d’un centre d’échange des seringues au cours des six mois précédant l’enquête. Dans plusieurs pays d’Asie, ont noté les intervenants, les IDU sont écartés de la communauté, humiliés, brutalisés, voire éliminés.

Aucun bénéfice à la détention

Ces arrestations sont dommageables à de multiples points de vue : rupture avec la famille, la société, détresse extrême, et parfois, pour ceux qui ont été arrêtés pour consommation de drogues non injectables, le passage à la consommation de drogues injectables.

Lors de la détention, les consommateurs de drogues sont une fois de plus soumis à des brimades, enchaînés, rasés de manière à être distingués des autres détenus. Ils continuent –ou commencent, pour certains- à avoir accès aux drogues injectables, a dit Svitlana Moroz, une jeune ukrainienne ancienne IDU et ancienne détenue.

Mais ils n’ont pas pour autant accès à un suivi médical ou à des seringues stériles, ce qui entraîne le partage du matériel, et donc augmente le risque d’infection au VIH  , a-t-elle ajouté.

Une étude menée dans 95 zones métropolitaines américaines entre 1991 et 2002 a révélé que suite à des vagues d’arrestations de consommateurs de drogues opérées entre 1994 et 1997, une hausse du taux de prévalence du VIH   parmi les IDU avait été notée en 1998, a dit M. Friedman, l’un de ses auteurs.

La vaste opération de « guerre à la drogue » lancée en Thaïlande en 2003, accompagnée de violations des droits humains, a également eu pour effet de forcer les IDU à se cacher, a noté Pasian Suwannawong, ancien consommateur de drogue, et ancien détenu. Les IDU thaïlandais ont donc renoncé au suivi médical, ne voulant pas « ‘risquer leur vie’ en allant à l’hôpital, sachant que ce dernier communiquait ses informations à la police ».

La conséquence de ce harcèlement est qu’en Thaïlande, les consommateurs de drogues sont aujourd’hui le groupe le plus infecté au VIH  , mais aussi le seul groupe à n’avoir pas connu de baisse de prévalence en 20 ans, a déploré M. Suwannawong, citant des estimations selon lesquelles sur les 160 000 détenus dans les prisons thaïlandaises, 4 800 vivraient avec le VIH  .

Un traitement, mais lequel ?

Même lorsque les IDU ont accès au traitement en prison, la question reste de savoir de quel traitement on parle et comment il est administré, a noté M. Wolfe : au Vietnam, par exemple, plus de 50 000 consommateurs de drogues injectables ont été envoyés de force dans des centres de traitement, où les médicaments n’étaient pourtant pas toujours disponibles. En Chine, la désintoxication est obligatoire et accompagnée d’une rééducation par le travail.

En Russie, où la désintoxication est le traitement imposé, le taux de rechute après le traitement est de 64 pour cent dans une période de deux mois, selon M. Wolfe, qui a souligné que les « patients » étaient mis sous sédatifs dans un état proche du coma, qu’ils jouaient parfois le rôle de ‘cobaye’ pour tester de nouveaux traitements et qu’ils ne recevaient aucune information, avec pour conséquence « une baisse de l’intérêt des consommateurs pour décrocher de la drogue ».

Pourtant, il est tout à fait possible de mettre en place des programmes de réduction du risque VIH   en prison pour les IDU, a noté un représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ) lors d’une session de la conférence le 4 août, en présentant une étude sur l’impact de la mise en place de programmes pilotes d’échange de seringues dans les prisons.

Selon cette étude, la mise en place à la fois d’un programme d’échange de seringues et de traitements de substitution n’a eu aucune conséquence négative : cela n’a augmenté ni la consommation de drogues, ni le nombre d’infections au VIH  , les consommateurs de drogues injectables étant moins enclins à partager leur matériel.

Les traitements de substitution ont en outre permis de réduire tous les risques, selon l’étude : la mortalité, les comportements à risque face au VIH  , la criminalité, l’abus de drogues et le partage des seringues.

L’OMS   et ses agences partenaires des Nations Unies ont recommandé de développer d’urgence des programmes d’échange de seringues et de traitement de substitution, et de développer des alternatives à la détention pour les consommateurs de drogues injectables incarcérés pour leur addiction.

Alternatives à l’incarcération

Denise Tomasini-Joshi, de l’Open society Justice initiative a également appelé les pays à trouver d’autres solutions que la détention pour les IDU ne présentant pas de risque pour la sécurité, ce qui permettrait aussi de répondre au problème des longues périodes de détention préventive.

Au Liberia, selon MmeTomasini-Joshi, 97 pour cent des prisonniers sont en détention préventive. Ils sont 88 pour cent au Mali, 84 pour cent en Haïti, ou encore 75 pour cent en Bolivie et 70 pour cent en Inde.

Ce recours à la détention préventive est généralement dû à des lois restrictives et mal appliquées, un système judiciaire très lent ou encore la corruption rampante, « la détention préventive étant un excellent moyen d’extorquer de l’argent », selon Mme Tomasini-Joshi. Il a pour conséquence d’aggraver la surpopulation des prisons, avec un taux d’occupation pouvant aller jusqu’à 600 pour cent.

Dans des prisons surpeuplées et mal ventilées, la tuberculose se propage très vite, avec des taux de prévalence dans certaines prisons allant jusqu’à 100 fois les taux pour la population générale, a noté Paula Akugisibwe, chargée du VIH   et de la tuberculose pour l’organisation AIDS and rights Alliance en Afrique du Sud.

Face à cette crise humanitaire, « la communauté internationale est silencieuse », a regretté M. Wolfe. Le rapport 2005 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) indique le nombre de personnes sous ARV   en Thaïlande, mais il devrait mentionner la « guerre contre la drogue », les arrestations massives de consommateurs de drogues et les « listes noires » établies par le gouvernement, a-t-il estimé.

Citant des activistes, M. Wolfe a estimé qu’« une bonne politique contre le sida   est une bonne politique contre la drogue », et plaidé pour « attirer l’attention de la communauté de lutte contre le sida   sur le problème de la drogue ».

« [Dans la région de Manipur], les IDU sont vus comme des facteurs de propagation du VIH  , peut-être parce que la première personne dépistée positive au VIH   ici en 1990 était un consommateur de drogues injectables », a noté Rohit Sapam, dont l’organisation travaille dans la région de Manipur, dans le nord-est de l’Inde, à la frontière avec le Myanmar. « Le VIH   est un problème viral, pas un problème moral, donc une politique moralisatrice n’est pas la réponse ».


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 6 août 2008

 

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