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Lutte contre le sida : « Il faudrait mettre les brevets en commun »


Le professeur Benjamin Coriat, économiste, est responsable du programme Economie de la santé dans les pays du Sud à l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida  ). A la Conférence mondiale sur le sida  , qui se tient cette semaine à Mexico, il a présenté, en partenariat avec le ministère brésilien de la Santé, une étude « sur les mécanismes économiques pour permettre d’aller vers un accès universel aux traitements ».

Les prix des médicaments antisida ont chuté spectaculairement ces dix dernières années. La tendance va-t-elle se poursuivre ?

Nous sommes à un moment clé. Schématiquement, jusqu’en 2005, on a vécu dans une douce euphorie. Il y a eu une foule d’initiatives pour permettre l’accès aux traitements dans les pays en voie de développement, avec en parallèle des efforts financiers considérables. Il y a eu la création du Fonds mondial [lire ci-dessous, ndlr], puis celle d’Unitaid   [une taxe sur les billets d’avions pour acheter les médicaments], le plan Access des grandes firmes pharmaceutiques - celles-ci acceptant de baisser fortement leur prix pour une série de pays pauvres. Et il y a la montée en puissance des génériques.

Ce contexte a permis une baisse considérable du coût des traitements dits de première ligne, c’est-à-dire ceux que l’on donne au patient au début de la maladie. On est arrivé ainsi à moins de 100 dollars (65 euros) par an et par patient, soit près de vingt fois moins qu’il y a dix ans, permettant de traiter plus de 3 millions de personnes. Reste que depuis 2005, avec l’application complète des accords Adpic (accord sur les aspects du droit de la propriété intellectuelle), le contexte a profondément changé. Et, aujourd’hui, un nombre important de patients déjà traités doivent passer à des traitements dits de deuxième ligne, intégrant des molécules qui, elles, coûtent très chères.

Vous avez des exemples ?

La Thaïlande comme le Brésil sont catastrophés par l’explosion des coûts liés à ces nouvelles molécules. Exemple : un seul médicament, l’Efavirenz, utilisé fréquemment dans les thérapies de deuxième ligne, coûte plus de 22 millions de dollars (14,2 millions d’euros) par an au Brésil. Toujours au Brésil, quatre médicaments antisida représentent 60 % des dépenses du pays pour des traitements antisida. Un chiffre plus global : les traitements de deuxième ligne les moins chers reviennent à près de 1 500 dollars, soit 15 fois plus que pour les médicaments de première ligne. Le saut est énorme.

Ne peut-on pas faire de génériques sur ces nouvelles molécules ?

C’est toute la difficulté. Les accords Adpic prévoient dans des circonstances exceptionnelles, « afin de protéger la santé publique », la possibilité de prendre une licence obligatoire, c’est-à-dire de passer outre les droits de propriété intellectuelle. Et de produire ou de faire produire des génériques.

Et ce système ne marche pas ?

Les licences obligatoires sont des procédures très complexes. De plus, chaque fois que des pays s’y engagent, cela apparaît comme un coup de force contre les laboratoires pharmaceutiques. A Mexico, nous avons analysé le cas de trois pays - Inde, Brésil, Thaïlande - qui ont utilisé les flexibilités prévues par les Adpic. Bilan : les procédures de licence obligatoire n’ont concerné qu’un très petit nombre de molécules. Mais ça ne permet pas de parvenir à des solutions économiques pérennes pour garantir l’accès aux soins des patients.

Comment sortir, alors, de l’impasse ?

D’abord, il faut repenser le système des licences obligatoires, qui se font médicament par médicament. Ce n’est pas adapté au sida   où les traitements sont multiples et combinent différentes molécules. Ensuite, faire pression sur les firmes pharmaceutiques : avec le programme Access, elles avaient baissé fortement le prix d’un certain nombre de molécules en fonction des pays. Il faut un nouvel Access qui intègre les molécules utilisées dans les traitements de deuxième ligne. Il y a aussi des initiatives intéressantes menées par Unitaid   pour concevoir des pools de brevets, où les labos mettent ces derniers en commun. Mais cela ne sera possible que dans un contexte ouvert et concurrentiel.

Ce n’est pas le cas ?

Chacun se débrouille. Beaucoup d’acteurs ont intérêt à une certaine opacité. Même les grandes compagnies de génériqueurs - qui ont eu un rôle essentiel dans l’arrivée des traitements durant les premières années - mènent désormais des stratégies parfois contradictoires. Or l’urgence est là. Environ 10 % des patients traités doivent chaque année passer à un traitement de deuxième ligne. Soit des centaines de milliers de patients, tous les ans.

Benjamin Coriat, économiste de l’Agence nationale de recherche sur le sida   , propos recueillis par ERIC FAVEREAU - Libération


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 7 août 2008

 

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