Par Damien Jayat | Vulgarisateur scientifique | 11/12/2007
En juin 1981, le centre de contrôle des maladies d’Atlanta (Etats-Unis) annonçait le décès suspect de cinq jeunes hommes des suites d’une même maladie : une infection pulmonaire d’une forme assez rare en temps normal. Oui mais voilà, le Centre avait bien senti qu’on n’était plus en temps normal. En effet, après quelques recherches on comprit que les cinq décès étaient tous liés à une maladie inconnue jusqu’alors, en tous cas pas précisément identifiée.
Chez tous les malades, on notait une chute vertigineuse des cellules du système immunitaire, c’est-à-dire les cellules qui montent la garde contre toutes sortes d’invasions (virus, bactéries, parasites). Les malades se retrouvaient quasiment sans défense, et le moindre microbe, inoffensif pour un individu en pleine possession de ses moyens, leur devenait fatal. A la fin de la même année 1981, les Américains proposèrent donc l’abréviation AIDS (version anglaise de notre Syndrome d’immuno-déficience acquise) pour décrire la maladie.
Ainsi débutait un combat vieux de plus de vingt-cinq ans maintenant entre le puissant Etre Humain et le minuscule VIH (Virus d’immunodéficience humain), responsable du sida . Entre David et Goliath, finalement, rien n’a changé : le bilan de la guerre est de 25 millions de morts et de 40 millions de contaminés.
Le VIH a été identifié et officiellement tamponné au début des années 80 par deux équipes de chercheurs. A ma gauche, l’équipe française du professeur Luc Montagnier, de l’Institut Pasteur. A ma droite, celle de l’Américain Robert Gallo, du National Cancer Institute. Les deux équipes se sont savamment étripées pour savoir laquelle des deux avait découvert le virus en premier, et le débat ne sera probablement jamais tranché.
Remarquez qu’on s’en fout, nous autres pauvres mortels pour qui une seule chose compte : comment se débarrasser de cette saloperie de bestiole ? La question reste à la fois primordiale et sans réponse, malgré les millions de dollars investis presque sans compter, malgré les nuits blanchâtres et les litres de sueur que les savants ont fait perler à leur front. Pour comprendre les raisons de cet insuccès, il va falloir tripoter un peu l’intimité du VIH .
La parfaite machine à tuer mesure un dixième de micromètre
Le monstre mesure à peine 0,1 micromètre ; il est donc un tout petit peu plus grand qu’une tête d’épingle coupée en 25 000. A cette taille-là, un virus est à peine considéré comme un être vivant. Et pour cause : il n’est même pas fichu de se reproduire tout seul. Pour faire ses petits, il a besoin d’envahir une cellule vivante et de détourner à son profit l’outillage dont celle-ci dispose pour sa propre reproduction. Considérons l’acte comme une sorte de viol microscopique, afin de bien comprendre que par nature, le virus est un type franchement louche.
Le VIH , comme tous les virus, est formé de très peu d’éléments. Son composant central est une molécule d’ARN : de la même famille que l’ADN, cette molécule sert de support à l’information génétique du virus. Mais l’ARN ne peut pas être utilisé tel quel, car en matière de mémoire génétique, seul l’ADN constitue un langage compréhensible. Le virus possède donc un outil spécial qui permet de transformer l’ARN en ADN : l’engin s’appelle « transcriptase inverse », tout bonnement parce qu’il transcrit l’ARN en ADN, exactement l’inverse du processus naturel qui fait passer de l’ADN à l’ARN.
L’ARN du virus et sa transcriptase inverse sont isolés de l’extérieur par trois couches protectrices. La première couche, la plus interne, est constituée d’un assemblage de protéines appelées p24gag (qui est tout sauf drôle, comme son nom ne l’indique pas). La deuxième couche est formée d’un autre assemblage à partir des protéines p17gag. La couche externe, enfin, est constituée de matières grasses parsemées d’autres protéines aux doux noms de gp41 et gp120.
Et vous allez voir comme le VIH est bien gaulé. En effet, parmi les quelques gènes portés par l’ARN du virus, on en trouve trois qui servent justement à fabriquer les trois familles de protéines les plus indispensables au VIH :
1. le gène gag pour les protéines formant les 2 couches internes
2. le gène pol pour la transcriptase inverse et pour la protéase, une protéine très importante qui gère la mise en forme définitive de toutes les autres protéines du virus. Sans elle, pas de virus fonctionnel, et vous verrez pas plus tard que bientôt combien la protéase intéresse la médecine.
3. le gène env pour les protéines de l’enveloppe externe.
Le virus se reproduit chez les autres
Avec ces informations en main, nous pouvons maintenant suivre les étapes de l’infection d’une cellule par le VIH . Tout commence lorsque le petit monstre rencontre une cellule du système immunitaire. Le VIH infecte surtout des lymphocytes T, mais il peut aussi, selon son bon plaisir, jeter son dévolu sur des macrophages ou d’autres cellules encore.
La reconnaissance se fait par l’intermédiaire de deux protéines, l’une à la surface du HIV (la gp120), l’autre à la surface de la cellule-bientôt-infectée (la CD4). Les deux protéines s’emboîtent littéralement l’une dans l’autre, comme un oeuf dans son coquetier. Une fois assurée la liaison VIH -cellule, la phase suivante est celle du « en joue… feu ! » : les protéines gp41 se plantent à travers la membrane de la cellule, permettant au virus de s’ouvrir complètement pour déverser son ARN et sa transcriptase inverse dans la cellule.
La transcriptase se met très vite au turbin et transforme l’ARN du virus en ADN en moins de temps qu’il n’en faut à une ombre pour rattraper un type qui vient de faire demi-tour. L’ADN viral est alors pris en charge par la cellule, qui est absolument incapable de faire la différence entre l’ADN d’un virus et le sien. Et la cellule, en toute innocence, de fabriquer à partir de l’ADN toutes les protéines du virus : p24gag, p17gag, gp41, gp120, transcriptase inverse, protéase, etc.
Tout ce petit monde se rassemble, s’organise, et finalement forme des centaines de petits virus qui, enfermés dans la cellule, ne demandent qu’à sortir. Ils sont d’ailleurs très vite exaucés : à force d’accumuler des virus, la cellule finit par exploser et libère son trop-plein dans la nature.
A partir d’un seul virus, la cellule en a fabriqué des centaines, se conduisant elle-même à la mort. Et le cycle infernal peut recommencer, jusqu’à la disparition presque totale des cellules immunitaires sensibles au VIH . C’est alors que le malade est en grave danger…
La lutte est inégale, mais l’homme garde espoir
Un des avantages de l’homme sur le virus réside dans la simplicité de ce dernier : une dizaine de protéines différentes, qui sont autant de cibles sur lesquelles on peut déverser toute notre puissance médicale. Car, peut-être ne le saviez-vous pas, l’immense majorité des médicaments ont pour cible des protéines. Les scientifiques ont donc torturé les protéines du VIH pour trouver un moyen de les détruire, ou au moins de les inactiver. Et ils y sont parvenus.
Dès 1985, les Américains essayaient de soulager leurs malades à grands coups d’azidothymidine, mieux connue sous le nom d’AZT. Cette petite molécule se fixe sur la transcriptase inverse du VIH et empêche son action : plus question pour le virus de transformer son ARN en ADN.
Mais l’AZT n’est que partiellement efficace, et par la suite les chercheurs ont mis au point d’autres molécules ciblant la transcriptase inverse. Utilisées conjointement avec l’AZT, ils furent à la base des dithérapies.
Puis, en 1996, on réussit à cogner un grand coup sur la protéase du VIH à l’aide d’une famille de médocs toute neuve, celle des antiprotéases. Une fois la protéase amochée, ce sont toutes les autres protéines du virus qui ressortent cabossées et la reproduction du virus est mise à mal. Les trithérapies proposées aujourd’hui aux malades sont donc constituées de trois médicaments : deux contre la transcriptase inverse et un contre la protéase.
Mais cet arsenal ne suffit toujours pas à couler le VIH . Car il sait se défendre, le petit. Tout ça parce que sa transcriptase inverse sait à peine lire : elle n’arrive pas à recopier l’ARN deux fois de suite sans se tromper, et ne fabrique jamais deux exemplaires du virus exactement identiques.
Au final, si deux individus sont contaminés par le même virus, au bout de quelques mois ils porteront des formes différentes de celle de départ et différentes entre elle !
Chaque individu atteint fabrique une forme nouvelle du virus
Bilan des courses : chaque individu porteur du virus est quasiment porteur d’une forme unique, contre lesquels les médicaments ne marchent pas toujours très bien. Et pour trouver un médicament qui soit efficace contre toutes, absolument toutes les formes de virus, les chercheurs rament comme des kayakistes qui remonteraient l’Isère à la fonte des neiges.
D’ailleurs, les trithérapies sont aujourd’hui devenues des multithérapies : on n’utilise plus trois, mais parfois quatre ou cinq médicaments en même temps… En parallèle, on cherche de nouvelles cibles pour de nouvelles familles de médicaments. Notamment, les chercheurs se penchent avec beaucoup d’attention sur la liaison entre la protéine gp120 du virus et la protéine CD4 des cellules cibles. L’objectif est de couper la liaison entre les deux et d’empêcher ainsi le virus d’entrer. On lui claque la porte au nez, et il peut bien crever de faim, de froid, de soif, de ce qu’il veut du moment qu’il disparaît !
Samedi 1er décembre, on célébrait tristement la 20e Journée Mondiale contre le SIDA . Tristement, car malgré ces connaissances approfondies à disposition de l’homme sur le VIH , malgré les essais cliniques par dizaines, malgré les espoirs et les luttes, il reste beaucoup de chemin à parcourir avant d’éradiquer le monstre.
D’ici là, que chacun reste sur ses gardes et note en rouge dans sa mémoire ces trois informations primordiales. D’un, on ne guérit pas du SIDA , on ne peut au mieux que le contenir. Deux, le SIDA est une maladie mortelle. Trois, un seul moyen de protection efficace existe contre sa propagation : le préservatif. Il reste aussi l’abstinence, vous me direz. Mais avouez que c’est moins drôle.