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Vers un monde sans VIH

par Françoise Barré-Sinoussi


Françoise Barré-Sinoussi - Le Monde Diplomatique - Janvier 2012 - Pour traiter les personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH  ), les médicaments antirétroviraux sont désormais disponibles à l’échelle planétaire, grâce à la mobilisation de la communauté internationale. La recherche est cependant essentielle pour offrir aux patients non plus un traitement à vie, mais une rémission durable.

Malgré les progrès de la recherche, depuis la première description du sida   en juin 1981, prononcer le mot « guérison » reste délicat. En mai 1983, nous avons isolé l’agent responsable de cette dégradation générale du système immunitaire, nommé par la suite virus de l’immunodéficience humaine (VIH  ). Trente ans de recherche nous ont permis d’aboutir à une connaissance extrêmement détaillée des mécanismes de réplication du virus et de sa dissémination dans divers compartiments du corps, où il se terre sous forme latente dans des réservoirs. Les résultats les plus remarquables de ces progrès scientifiques sont les combinaisons d’antirétroviraux (ARV  ), apparues en 1996, qui ont permis de réduire de plus de 85 % la mortalité des patients. Mais leur action n’est pas seulement thérapeutique : elle est aussi préventive. Dès 1994, l’essai clinique ACTG076 montrait l’efficacité de l’azidothymidine (AZT) pour prévenir la transmission du VIH   de la mère à l’enfant. Des études récentes viennent de confirmer la puissance des ARV   pour limiter de manière drastique la transmission sexuelle du virus.

Ce sont des résultats majeurs. En apportant la preuve que les ARV   permettent non seulement de sauver quantité de vies, mais aussi d’empêcher de nouvelles contaminations et d’enrayer l’expansion épidémique, ils plaident pour une accélération de l’accès universel aux traitements. Au Botswana, où la couverture en ARV   est de 90 %, « le nombre de nouvelles infections par le VIH   est de 30 % à 50 % inférieur à ce qu’il aurait été en l’absence d’accès universel au traitement », indique le dernier rapport de l’Onusida   (1).

Or nombre de pays n’ont pas les ressources leur permettant de prendre en charge le coût élevé des traitements et dépendent fortement de la solidarité internationale. Malheureusement, la crise financière mondiale fait peser de lourdes incertitudes sur l’avenir de ces financements, les pays donateurs ne respectant plus leurs engagements. Le manque d’ARV   se fait déjà sentir dans plusieurs pays récipiendaires, qui sont dans l’impossibilité de traiter de nouveaux patients et risquent même de ne pas pouvoir poursuivre les traitements en cours. Cette situation est d’autant plus inquiétante que l’interruption des traitements peut conduire à l’émergence de souches de VIH   résistantes et donner lieu à la réémergence d’une épidémie mondiale.

La lutte contre une pandémie telle que le VIH   ne doit pas être fragilisée par la volatilité des politiques. Il est impératif de trouver des mécanismes de financement innovants et pérennes, à l’image de la taxe sur les billets d’avion qui alimente le fonds Unitaid  . Depuis des années, nombre d’associations réclament qu’une taxe sur les transactions financières serve à la santé dans les pays en développement, et nous devons tout faire pour que cette demande soit prise en compte par les pays du G20.

En parallèle, nous devons redoubler d’efforts pour développer de nouvelles options thérapeutiques. Il ne faut pas oublier que si les ARV   permettent aux patients — et c’est déjà beaucoup — de vivre avec le VIH  , le traitement de cette infection chronique reste lourd. Les trithérapies, qui ne sont pas dépourvues d’effets secondaires, doivent être prises à vie, avec une observance sans faille. Pourtant, elles n’éliminent pas totalement le virus, dont la persistance au sein de réservoirs est associée à une inflammation chronique et généralisée du système immunitaire. Les patients ne récupèrent pas une espérance de vie totalement identique à la population générale : ils présentent, entre autres, des risques accrus de maladies cardiovasculaires, neurologiques, de cancer et de vieillissement précoce de l’organisme.

Des traitements très lourds

Eradiquer l’infection à VIH   restera encore longtemps un rêve. Néanmoins, un ensemble de modèles nous laissent penser que nous pourrions, à terme, transformer une partie de ce rêve en réalité, en développant des stratégies thérapeutiques courtes qui permettraient d’obtenir une rémission au long cours en l’absence de tout traitement.

Récemment, le cas de Timothy Ray Brown, dit « le patient de Berlin », a apporté la démonstration de la faisabilité d’une telle stratégie. Cet homme d’une quarantaine d’années vivant avec le VIH   avait développé une leucémie. Dans l’obligation de procéder à une transplantation de moelle osseuse pour le soigner, son médecin a cherché un donneur compatible, mais ayant en plus une particularité génétique : une mutation du corécepteur CCR5, une molécule située à la surface des cellules T CD4 avec laquelle le virus interagit pour y pénétrer. Nous savons depuis quelques années que les rares personnes — d’origine caucasienne — qui possèdent cette mutation, appelée Delta 32, sont résistantes à l’infection VIH  .

Au moment de la greffe de moelle, en février 2007, le traitement ARV   du patient a été interrompu. Or, depuis bientôt cinq ans, aucune trace de virus n’est détectable chez lui, avec les méthodes les plus sensibles dont nous disposons, dans aucun des compartiments dans lesquels le VIH   établit des réservoirs (intestin, système nerveux central...). Pourtant, son organisme continue à produire des anticorps dirigés contre le virus, signe que l’infection n’aurait pas complètement disparu. Scientifiquement, il est difficile d’affirmer que seule la mutation Delta 32 est à l’origine de cette « guérison ». Les traitements, notamment immunosuppresseurs, qui accompagnent une intervention aussi complexe peuvent avoir joué un rôle. Bien qu’il soit impossible d’imaginer développer à large échelle cette méthode extrêmement risquée et coûteuse, ce cas unique fournit un rationnel scientifique pour des approches de thérapie génique ciblant, entre autres, le récepteur CCR5.

Les patients « contrôleurs » du VIH   représentent le modèle idéal de rémission à long terme. Il s’agit de rares individus (moins de 0,3 % des personnes infectées par le VIH  ) qui, séropositifs depuis plus de dix ans, maintiennent sans aucun traitement une charge virale indétectable, et ne présentent aucun signe de progression vers le sida  . De façon remarquable, on observe chez ces patients un niveau de réservoir du VIH   plus faible que chez les autres patients. Nous savons aujourd’hui que le maintien de ce contrôle naturel et extrêmement puissant de l’infection se fait par deux mécanismes différents, le premier mettant en jeu les cellules immunitaires dites cytotoxiques (qui éliminent les cellules infectées), le second étant relié à une résistance intrinsèque de cellules immunitaires. La compréhension de ces mécanismes peut nous aider à élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques, pour qu’un jour toutes les personnes vivant avec le VIH   puissent contrôler leur infection à l’arrêt du traitement.

Des modèles à étudier

Il existe d’ailleurs en France une étude unique, appelée « Visconti », qui regroupe dix-huit patients. Dépistés et traités dans les deux à trois mois après infection, ceux-ci ont, en accord avec leur médecin, interrompu leur traitement après plusieurs années et, depuis, contrôlent leur infection. Ces observations confirment tout le bénéfice d’un traitement extrêmement précoce de l’infection. L’analyse des caractéristiques immunologiques permettant à ces patients d’être libérés des thérapies peut nous apporter des informations extrêmement précieuses. Un dernier modèle d’importance est celui des singes d’Afrique, hôtes naturels des virus de l’immunodéficience simienne (VIS), virus à l’origine du VIH  . Contrairement aux humains touchés par le VIH  , les singes infectés par le VIS ne développent pas de sida  . Si leur système immunitaire réagit à l’infection, cette réponse est rapidement réprimée. Résultat : chez eux, le virus se multiplie librement sans qu’on observe cette réaction inflammatoire chronique si délétère chez l’homme.

Quels sont les mécanismes qu’il nous faut induire pour déclencher une protection contre le VIH   / sida   ? Cela reste encore un mystère. Très probablement, une combinaison d’approches thérapeutiques et vaccinales sera nécessaire. C’est pourquoi, sous l’égide de la Société internationale du sida   (International Aids Society, IAS), un groupe de travail composé de scientifiques du monde entier planche sur une stratégie globale, définissant les priorités auxquelles il faut s’attaquer en matière de persistance de cette infection sous traitement pour espérer un jour vivre dans un monde sans VIH   / sida  . Toutes ces recherches ne sont pas utiles seulement à la prise en charge de cette épidémie.

Le VIH   est aussi un outil permettant de mieux comprendre les mécanismes précis à l’origine de notre réponse immunitaire. Nous avons beaucoup à apprendre de nos confrères qui travaillent sur le cancer ou d’autres pathologies chroniques elles aussi liées à des anomalies inflammatoires.

Dans cette période de crise, nous avons deux choix possibles : la solidarité et la collaboration, telles que nous les avons vécues aux débuts de cette épidémie ; ou le chacun pour soi, une approche dans laquelle tout le monde sera perdant.

Françoise Barré-Sinoussi Chercheuse à l’Inserm et à l’Institut Pasteur, Prix Nobel de médecine 2008


Publié sur OSI Bouaké le samedi 31 décembre 2011

 

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