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RDC : Déni de justice internationale ?


Goma, 17 août 2010 (IRIN) - Par une matinée comme les autres, de grande activité, à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, personne à la banque ne prête grande attention à Bosco Ntaganda et à ses gardes du corps. Les jours précédents ont été mouvementés pour le commandant rebelle converti en général de l’armée, qui a également assisté à des rencontres avec le gouverneur de la province et le président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila.

Cela n’a rien d’inhabituel, à une exception près : Bosco Ntaganda est un homme recherché, inculpé par la Cour pénale internationale (CPI  ) pour crimes de guerre dans la région de l’Ituri, dans le nord-est du pays, où, selon les procureurs de La Haye, il a joué un rôle prépondérant au sein de l’Union des patriotes congolais (UPC), une milice accusée de violations des droits humains, notamment de massacres ethniques, de torture et de viols.

Quatre ans après l’émission du mandat d’arrêt par la CPI  , pourtant, M. Ntaganda vit encore en toute tranquillité à Goma. Il a fait la paix avec le gouvernement et s’est enrôlé dans l’armée. La liberté dont il continue de jouir est problématique pour la Cour, qui a connu, dernièrement, des revers judiciaires et se heurte au scepticisme croissant de l’opinion publique congolaise.

« Bosco Ntaganda est un défi majeur pour la CPI   en termes de crédibilité et d’image », a dit Geraldine Mattioli Zeltner, directrice de plaidoyer du programme de justice internationale de Human Rights Watch (HRW). « Exécuter ce mandat est un élément clé de cette crédibilité ».

L’image de la Cour a été ternie par les dernières évolutions du procès Lubanga, à La Haye, où depuis sa cellule de la station balnéaire de Scheveningen, l’ancien chef de l’UPC envisage de plus en plus sérieusement ses chances de remise en liberté.

Après plus de quatre années de détention et 18 mois de procès (le premier de la CPI  ) pour avoir recruté des enfants soldats en Ituri, les juges ont suspendu l’affaire pour la seconde fois, le mois dernier, et ordonné sa remise en liberté.

Ils ont statué le 8 juillet qu’un procès juste était impossible, et critiqué Luis Moreno-Ocampo, procureur de la CPI  , pour son « refus catégorique » de se plier aux injonctions de la Cour, en dévoilant l’identité d’un intermédiaire, qui travaille en collaboration avec les enquêteurs. Les juges ont statué que M. Moreno-Ocampo avait revendiqué une « autorité distincte, permettant d’outrepasser les injonctions de la Cour... une intrusion profonde, inacceptable et injustifiée dans le rôle du pouvoir judiciaire ».

Dans le cadre de leurs enquêtes, les procureurs ont reçu l’aide d’intermédiaires, chargés de trouver des pistes et des témoins potentiels sur le terrain, en RDC. Selon les avocats de la défense, certains d’entre eux auraient soudoyé les témoins à charge et les auraient incités à mentir.

Pour leur part, les procureurs nient avoir défié les juges. L’ajournement du procès est une réaction excessive de la part de ces derniers, affirment-ils, et il n’est pas question de mettre en danger l’intermédiaire en dévoilant son identité avant que des mesures de protection suffisantes n’aient été prises.

« [Le bureau du procureur] démontrera que la décision d’ajourner les procédures, dans cette affaire, était excessive et disproportionnée », peut-on lire dans l’appel. « La Cour avait à sa disposition tout un éventail de solutions alternatives adaptées, outre l’interruption des procédures judiciaires, une mesure qui a non seulement des répercussions sur les droits de l’accusation, mais aussi sur ceux des victimes et des communautés au sein desquelles les crimes ont été commis ».

Le porte-parole de la CPI   n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet. M. Lubanga restera au centre de détention de la CPI   jusqu’à l’issue de l’appel.

Les conséquences

Le procès avait également été ajourné en 2008, les procureurs ayant omis de divulguer à la défense des preuves fondamentales qui étaient en leur possession. Les retards observés, conjugués à la possible remise en liberté de M. Lubanga, suscitent la critique. Georges Kapiamba, avocat et membre de la Coalition congolaise pour la CPI  , a exhorté M. Moreno-Ocampo à reconsidérer son refus d’obéir aux injonctions de la Cour.

« Il devrait songer aux conséquences du maintien de sa position actuelle sur la crédibilité de la Cour », a déclaré M. Kapiamba. « Les Congolais interprètent [l’ajournement du procès] comme un acte volontaire de la CPI  , destiné à ralentir inutilement les procédures ».

Si des retards sont à prévoir, puisqu’il s’agit là du premier procès jugé par la Cour, et si les procédures judiciaires peuvent être longues, selon les analystes internationaux, ceux-ci s’inquiètent néanmoins des répercussions de ces problèmes très médiatisés sur la réputation de la Cour.

« En fin de compte, si nous continuons à observer des retards ... il sera particulièrement difficile de promouvoir la CPI   », a estimé Lorraine Smith, responsable du programme CPI   de l’International Bar Association. « Cela influe négativement sur la façon dont les gens perçoivent la [Cour] ».

Des malentendus sont également à craindre. « Il reste que tout cela pourrait apporter de l’eau au moulin des partisans de Lubanga, qui pourraient s’en servir pour revendiquer son innocence », a dit Mme Mattioli, de HRW.

Plus de travail de proximité

Les rescapés des flambées de violence ethnique qui ont embrasé l’Ituri, en particulier ceux qui ont coopéré avec la CPI   et craignent à présent des représailles, comptent parmi les personnes les plus touchées par les récentes évolutions.

Carla Ferstman, directrice de Redress, une association de défense des droits humains qui travaille auprès des rescapés de crimes de guerre en RDC, déplore que les travailleurs de proximité de la CPI   n’en fassent pas davantage pour expliquer la situation.

« La Cour garde le silence ... peut-être à cause de la procédure d’appel en cours, mais c’est dommage qu’on ne l’entende pas davantage car il est important pour elle de traiter le problème de la désinformation et de gérer les attentes », a estimé Mme Ferstman.

« Si l’on y pense de façon positive, cette décision est le signe très fort de l’indépendance de la Cour ; c’est le signe que la Cour est prête à prendre de bonnes décisions, du point de vue de la procédure, mais cela importera peu aux victimes de RDC : cette décision confirmera probablement leurs sentiments les plus sévères à l’égard d’une Cour incapable de répondre à leurs préoccupations ».

Créée en 2002, la CPI  , première cour permanente du monde compétente pour juger les crimes de guerre, vient de traverser quelques années mouvementées. Ne disposant pas d’une force de police attitrée, elle dépend de ses Etats-membres pour procéder à ses arrestations. Sept suspects ougandais et soudanais sont toujours en liberté, et en novembre 2009, les juges ont refusé de confirmer les chefs d’accusation retenus contre Abu Garda, ancien chef rebelle du Darfour, qui avait été, à l’époque, le seul inculpé de la CPI   à se livrer volontairement aux autorités.

Entre-temps, le procès de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de RDC, accusé de crimes commis en République centrafricaine, est reporté depuis juillet, pour permettre l’examen d’une requête déposée par la défense en vue de suspendre les procédures.

Pression sur « Terminator »

L’arrestation de Bosco Ntaganda - connu sous le nom de Terminator depuis l’époque où il opérait en Ituri - donnerait à la CPI   un coup de pouce opportun en termes de relations publiques, dans sa lutte contre l’impunité. Toutefois, le gouvernement a refusé de procéder à l’arrestation, M. Ntaganda jouant un rôle trop important, a-t-il déclaré, dans le processus de paix en cours dans les provinces des Kivu.

Après avoir quitté l’UPC, M. Ntaganda s’est installé à Goma, où il a intégré le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dirigé par Laurent Nkunda. Il a finalement contraint M. Nkunda à partir et, au début de l’année 2009, a signé un accord de paix avec le gouvernement. Les associations de défense des droits humains accusent M. Ntaganda d’avoir commis des atrocités au Nord-Kivu, et notamment d’avoir été le cerveau de l’attaque menée en 2008 contre la ville de Kiwanja.

Un haut responsable du CNDP a dit à IRIN que M. Ntaganda était disposé à se rendre à La Haye, mais pas pour le moment. « Il n’a pas peur de la CPI   du tout », a dit Désiré Kamanzi. « Mais il a beaucoup de travail à faire pour son peuple et la communauté dans son ensemble. Il n’est pas prêt à se rendre en raison des pressions des activistes internationaux ».

Certains activistes tels que M. Kapiamba affirment toutefois que M. Ntaganda a sa place devant un tribunal, pas dans l’armée nationale. « Sa présence au sein de l’armée est une menace pour les victimes et les témoins, et contribue à aggraver les tensions dans la région », a-t-il dit.


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 11 septembre 2010

 

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