Accueil >>  Justice internationale

Le Kenya se fait le porte-parole des Etats africains opposés à la CPI

(Les Etats ne sont pas les peuples)


Le Monde - 7 septembre 2013 - Stéphanie Maupas, La Haye Correspondance -

Le Parlement kényan demande le retrait du pays de la Cour pénale internationale

Cinq jours avant l’ouverture du procès de William Ruto, le vice-président du Kenya, le 10 septembre, et deux mois avant celui du chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta, Nairobi s’apprête à rompre avec la Cour pénale internationale (CPI  ). Les deux hommes sont poursuivis, comme le journaliste Joshua Sang, pour crimes contre l’humanité commis après l’élection présidentielle de décembre 2007. Jeudi 5 septembre, le Parlement kényan a adopté une motion pour se retirer du traité établissant la CPI  . Un projet de loi doit être déposé dans les trente jours.

Au siège de la Cour à La Haye, on tente de rassurer. " Il n’est pas possible d’arrêter des procédures légales et judiciaires indépendantes par des mesures politiques ", affirme le porte-parole, Fadi Al-Abdallah. S’il est adopté, le retrait ne sera effectif qu’un an après la demande et ne peut en aucun cas interrompre des procédures en cours.

Interrogée par téléphone, Tiina Intelmann, la présidente de l’Assemblée des Etats parties, sorte de Parlement où siègent les Etats membres de la Cour, ne cache pas sa déception. " J’espère que le Kenya ne partira pas, mais continuera à contribuer à la Cour ", lance-t-elle, depuis le nord de l’Ouganda, où elle rencontrait les victimes de crimes commis par l’Armée de résistance du Seigneur, sur lesquels la Cour enquête.

Le vote des députés kényans est une vraie menace pour les futurs procès. Les parlementaires prévoient aussi d’abroger la loi régissant la coopération entre Nairobi et la CPI  , encadrant notamment la venue des témoins à La Haye. Or, sans témoins, la CPI   ne peut tenir de procès. Depuis plusieurs mois, nombre d’entre eux se sont désistés, invoquant des menaces ou assurant avoir été maltraités par la Cour elle-même.

Le climat qui entoure les procédures et les débats à venir au Parlement fait craindre que d’autres témoins soient dissuadés. " Chaque fois que les procédures de la Cour avancent d’un pouce pour rendre une justice refusée aux Kényans par leur propre gouvernement, l’establishment politique du pays se démène furieusement pour tout bloquer ", regrette Elizabeth Evenson, de Human Rights Watch.

Depuis le début de l’enquête de la Cour, en mars 2010, les autorités ont, sans succès, tenté d’annuler les procédures. Avec l’élection des deux accusés à la tête de l’Etat en mars, l’Union africaine est entrée en lice, accusant la CPI   de racisme et lui reprochant de ne poursuivre que des Africains.

Mais, pour Tiina Intelmann, ce sont les Etats africains eux-mêmes qui ont saisi la Cour. La République démocratique du Congo (RDC), l’Ouganda et la Centrafrique y avaient néanmoins été largement incités par le premier procureur de la CPI  , qui cherchait alors à étoffer son calendrier judiciaire. Plus tard, la Côte d’Ivoire et le Mali se sont tournés vers la Cour, mais, contrairement au Kenya, les élites au pouvoir dans ces pays n’ont à ce jour jamais été inquiétées.

Qu’en sera-t-il si, demain, tel était le cas ? L’initiative kényane pourrait-elle susciter d’autres vocations ? Dans le concert de protestations des organisations non gouvernementales, Amnesty International craint " un dangereux précédent pour le futur de la justice en Afrique ". Pas seulement pour l’Afrique, dit-on. Le traité de la Cour a été âprement négocié par des diplomates qui ont prévu bon nombre de chausse-trappes afin de préserver leurs intérêts.

Depuis le tribunal de Nuremberg, les Etats, et notamment les grandes puissances, ont toujours pesé sur les enquêtes. Le cas libyen est exemplaire. Après avoir saisi la CPI   pour les crimes commis en Libye dans l’objectif affiché de susciter des défections au sein du régime, l’ONU   reste muette face au refus de Tripoli de livrer à la CPI   Saïf Al-Islam Kadhafi et l’ancien chef des renseignements Abdullah Al-Senoussi. La Libye peut violer ses obligations internationales sans pour autant être dénoncée.

Mais qu’en sera-t-il du Kenya, s’il refuse de coopérer dans les procédures en cours ? " Si le Parlement s’engage plus avant vers un retrait, il agira illégalement, contrairement aux intérêts nationaux et à la crédibilité du pays ", indique dans un communiqué l’ONG No Peace Without Justice. Déjà embarrassé par son statut d’accusé, le président kényan pourrait aussi, en refusant de coopérer, susciter une condamnation diplomatique.

-------------------------------------------

Cour pénale internationale : un retrait du Kenya pour rien ?

RFI - 5 septembre 2013 -

Au Kenya, le retour de vacances de l’Assemblée nationale ne va pas être de tout repos. Au programme ce jeudi 5 septembre, un débat sur le retrait du pays de la Cour pénale internationale. Une trentaine de députés de la coalition Jubilee au pouvoir, a déposé une motion dans ce sens. Un débat qui intervient alors que les deux têtes de l’exécutif kényan vont très prochainement être jugées à La Haye pour crimes contre l’humanité.

Le procès du vice-président William Ruto doit s’ouvrir dans cinq jours et celui du chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta, dans deux mois. Ils sont accusés d’avoir organisé les violences qui ont suivi l’élection présidentielle de 2007.

Pour le sénateur de la coalition Jubilee, Kipchumba Murkomen, la Cour pénale internationale n’a pas la légitimité suffisante pour les juger : « La manière dont la CPI   s’est comportée durant l’enquête, et maintenant pendant le procès, explique-t-il, montre qu’elle ne travaille plus comme une cour indépendante, cherchant à faire la justice, mais qu’elle se contente d’utiliser les Kenyans pour montrer l’exemple. »

« Pas d’influence sur les poursuites en cours »

Les parlementaires militant pour ce retrait appartiennent quasiment tous à la coalition Jubilee, celle dirigée par les deux accusés. Ils espèrent ainsi les maintenir au pouvoir. Or, même en cas de retrait du Kenya de la CPI  , ils n’échapperont pas à leur procès.

« Un retrait ne peut prendre effet qu’un an après le dépôt auprès du secrétaire général de l’Organisation des nations unies, précise en effet Fadi el-Abdallah, le porte-parole de la cour, et ce retrait ne peut pas avoir d’influence sur les poursuites ou les enquêtes déjà en cours. »

Les députés kényans avaient déjà déposé une motion de retrait de la CPI   en 2010, sans résultat. C’est au pouvoir exécutif que revient la décision finale.


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le samedi 7 septembre 2013

 

DANS LA MEME RUBRIQUE