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Kinshasa et Kigali doivent mettre fin à l’impunité des criminels de guerre congolais


Le Monde 22 Mai 2012 - par Clément Boursin [1] Au moins deux criminels de guerre congolais séjournent au Rwanda sans être inquiétés par la justice... Le colonel Laurent Nkunda, ex-chef du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP), est en résidence surveillée et ne semble faire l’objet d’aucune poursuite judiciaire depuis son arrestation le 22 janvier 2009.

Quand il était officier supérieur du Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RCD-Goma), puis chef du CNDP, ses soldats ont violé, torturé, exécuté des milliers de personnes à Kisangani en mai 2002, à Bukavu en mai et juin 2004 et à Kiwanja en novembre 2008, trois localités situées dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Le colonel Jules Mutebutsi, ancien officier du RCD-Goma, a quant à lui disparu du paysage médiatique fin 2010 après s’être établi en toute liberté au Rwanda. Il est pourtant suspecté d’avoir commis des crimes de guerre, notamment lors de l’invasion de la ville de Bukavu en juin 2004.

Tous deux ont été un temps le bras armé du Rwanda dans l’est de la RDC. Ils ont organisé le pillage des ressources naturelles congolaises au profit du Rwanda et de certains militaires. Après que la communauté internationale a exprimé son indignation, ils ont été évincés et remplacés. Toutefois, faute de pression des autorités congolaises et internationales, les autorités rwandaises ne les ont jamais inquiétés...

Le successeur de Laurent Nkunda, Bosco Ntaganda, ex-CNDP devenu général des Forces armées de la RDC (FARDC), a eu longtemps pignon sur rue à Goma, dans l’est de la RDC, mais également au Rwanda, où il pouvait circuler en toute liberté. Kinshasa et Kigali lui avaient donné pour mission de combattre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et de permettre la réintégration des soldats du CNDP dans les FARDC. Il était pourtant recherché par la Cour pénale internationale (CPI  ) pour crimes de guerre.

Selon un rapport du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC de décembre 2011, Bosco Ntaganda s’est rendu à de nombreuses reprises au Rwanda en 2011, dont deux fois de manière officielle, avec l’accord des services de l’immigration rwandais. Il a aussi organisé le trafic de minerais entre la RDC et le Rwanda sans qu’interviennent les Forces de défense rwandaises (FDR).

Les très nombreuses informations relatives à Bosco Ntaganda contenues dans le rapport du groupe d’experts démontrent, exemples à l’appui, les activités criminelles de Bosco Ntaganda et la connivence des plus hautes autorités congolaises et rwandaises pour le protéger. Le pouvoir en place à Kinshasa s’est notamment appuyé sur Bosco Ntaganda et le CNDP pour assurer son emprise sur les électeurs du Nord et du Sud-Kivu lors de l’élection présidentielle de 2011. Grâce aux intimidations et aux fraudes commises par des éléments du CNDP, le président sortant a remporté de nombreuses voix dans l’est de la RDC. Y a-t-il eu un échange tacite permettant à Bosco Ntaganda de continuer ses activités de contrebandiers en toute liberté ?

La révélation des liens entre le Rwanda et Bosco Ntaganda contenue dans le rapport d’experts des Nations unies sur la RDC a embarrassé les autorités rwandaises. La condamnation pour crimes de guerre, le 14 mars, de l’ancien chef de Bosco Ntaganda, Thomas Lubanga, par la CPI   pour avoir enrôlé des enfants soldats en 2002-2003 pendant la guerre civile en Ituri, a de nouveau poussé la communauté internationale à demander l’arrestation et le transfert de Bosco Ntaganda vers la CPI   pour être jugé des mêmes crimes.

Dans ce contexte, les autorités congolaises et rwandaises se sont certainement demandé si Bosco Ntaganda pouvait continuer à servir leurs intérêts respectifs dans l’est de la RDC. Sentant le vent tourner, Bosco Ntaganda a fomenté des troubles dans l’est du pays et après des combats violents avec les FARDC, il s’est réfugié dans le parc de la Virunga, en RDC. Dans le même temps, un nouveau mouvement rebelle issu du CNDP s’est créé, le Mouvement du 23 mars (M23). Il est dirigé par le colonel Sultani Makenga. Ce colonel ne serait-il pas le remplaçant de Bosco Ntaganda destiné à assurer la continuité de la mainmise rwandaise sur l’est de la RDC ?

Il semble peu probable que les autorités rwandaises décident de remettre Bosco Ntaganda à la CPI  . Il en sait trop. Mais le laisser se faire tuer par l’armée congolaise serait assez embarrassant... Si les autorités rwandaises ne le protègent pas, comment s’assurer que son successeur leur sera fidèle ?

La communauté internationale doit veiller à ce que toute solution politique négociée ne se fasse pas au détriment de la lutte contre l’impunité. Son message doit être ferme. L’argument selon lequel arrêter et remettre Bosco Ntaganda à la CPI   nuirait à la pacification de l’est de la RDC n’est pas acceptable.

L’impunité des criminels de guerre, notamment celle de Jules Mutebutsi et de Laurent Nkunda, a maintenu cette partie du territoire congolais dans l’anarchie et concourt à la dégradation de la situation dans la région. Ce n’est pas l’arrestation et le transfert de Bosco Ntaganda vers la CPI   qui risquent d’aggraver une situation déjà conflictuelle mais bien la convoitise que suscitent les richesses locales. En effet, le vide laissé ces dernières semaines par le CNDP autour des sites miniers et des routes commerciales dans l’est de la RDC constitue une occasion à saisir pour d’autres forces armées de la région (Maï Maï, FDLR...).

Les autorités congolaises et rwandaises ont la responsabilité de coopérer pour mettre fin à l’impunité des principaux responsables des graves violations des droits de l’homme commises en RDC. Il s’agit aussi d’adresser un message clair aux chefs de guerre qui se battent pour le contrôle des ressources naturelles de la région : l’impunité n’est plus de mise.

Fondée en 1974, l’ACAT défend les valeurs universelles des droits de l’homme et du droit humanitaire et la nécessité de les respecter.

Clément Boursin, responsable des programmes Afrique, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France)


[1] responsable des programmes Afrique, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France). Fondée en 1974, l’ACAT défend les valeurs universelles des droits de l’homme et du droit humanitaire et la nécessité de les respecter


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 23 mai 2012

 

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