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Les droits de l’enfant ivoirien restent à la porte des prisons


La Croix, 22/05/2009

Dans les établissements pénitentiaires de Côte d’Ivoire, les mineurs sont souvent mélangés aux adultes. Se développe une justice informelle, avec ses arrangements pour éviter la détention

Quand le visiteur franchit la grille de la Maca, la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, il plonge dans un univers régi par la loi des détenus. Des prisonniers vendent des légumes ou des cigarettes dans la cour où chacun déambule à loisir. Des « procureurs » règlent les conflits sous le regard vigilant de « gardes du corps ». Des chefs de cellule comptent leurs effectifs. Devant chaque porte, patientent des « porteurs de clés ». Des « taxis », sorte de passeurs d’informations, multiplient les va-et-vient en direction des parloirs.

Et puis, tout en bas de l’échelle, on trouve les mineurs. Ils sont près de 80 au milieu des 4 000 adultes de la prison de la Maca, prévue à l’origine pour accueillir 1 500 personnes. Les jeunes de moins de 18 ans occupent trois cellules au sommet d’un escalier interminable où se bousculent les détenus. Dans une pièce aux allures de dortoirs, des adolescents somnolent sur des nattes étendues directement sur le béton. On y entre et sort librement : la séparation entre majeurs et mineurs recommandée par la loi ivoirienne et la Convention des droits de l’enfant n’est pas appliquée.

Dans un récipient s’entassent des morceaux d’igname. C’est le repas de plusieurs jours. « La ration moyenne d’un prisonnier ivoirien tourne autour des 1 000 calories par jour », précise Francis Turlotte, de l’ONG Prisonniers sans frontières, qui œuvre depuis 1995 à l’amélioration des conditions de vie dans les geôles d’Afrique. « Elle consiste le plus souvent en une bouillie de maïs, parfois du riz. » Une nourriture très insuffisante. « À la Maca, il faut avoir une fonction, commente un éducateur de l’établissement. Les adolescents jouent les domestiques. Ils se prostituent pour compléter leur alimentation. » Deux ans d’attente avant de passer devant le tribunal

Le jeune Lassana (1) peut énoncer sans réfléchir la date de son arrivée au centre pénitencier : 26 septembre 2007. Placé en détention provisoire pour vol, il attend encore son procès. Un cas banal. La plupart des mineurs de la Maca ont entre 15 et 18 ans, sont accusés de vols, parfois avec violence, et patientent deux ans – voire plus – avant de passer devant le tribunal. « Il y a ceux qu’on appelle les “oubliés”, dont le dossier finit par s’égarer », précise Brigitte Le Lay, du bureau de protection de l’Unicef en Afrique de l’Ouest.

Le régime de la liberté conditionnelle est très rarement appliqué en Côte d’Ivoire. « La majorité des enfants en conflit avec la loi ont coupé les ponts avec leurs familles », rappelle le juge des mineurs d’Agboville, ville moyenne à une centaine de kilomètres au nord-est d’Abidjan. Ils n’ont donc pas d’adresse fixe. « Tant qu’on ne retrouve pas leurs proches, ils restent en détention provisoire, par crainte de les voir disparaître dans la nature », poursuit le juge. Yado (1), 13 ans, est l’un de ces enfants abandonnés dont les dossiers s’entassent sur son bureau.

Le garçon a été arrêté pour « vol de fil électrique et vagabondage », puis incarcéré à Agboville. C’est l’une des huit prisons, sur les 22 du pays, à disposer d’un quartier pour les mineurs séparé des adultes. Le bâtiment a été financé en 2006 par le Bureau international catholique de l’enfance (BICE), lequel contribue avec Prisonniers sans frontières à la construction de tels espaces. Las ! Par manque d’entretien, les cellules d’Agboville se dégradent rapidement. Les jeunes manquent de tout : nourriture, savon, produits de nettoyage des sanitaires, livres.

Six enfants sont livrés à eux-mêmes dans la petite cour ombragée. La machine à coudre fournie par le BICE est cassée et personne n’a songé à la réparer. La salle de classe est restée vide aujourd’hui. Comme souvent, l’enseignante ne s’est pas déplacée. Quant à l’assistante sociale, elle joue surtout les surveillantes. « Un des gros problèmes des prisons, c’est la démission du personnel », constate Désiré Koukoui, directeur du BICE de Côte d’Ivoire. Ce dernier a obtenu l’autorisation de sortir Yado des geôles d’Agboville. Il va le conduire au centre de réhabilitation Erb Aloïs du BICE, implanté au milieu d’un quartier populaire d’Abidjan. Vingt-cinq jeunes en conflit avec la loi y suivent des cours d’alphabétisation ou travaillent dans les ateliers de cordonnerie, savonnerie, mécanique et couture. Beaucoup ont atterri dans ce foyer après un détour par le Centre d’observation des mineurs d’Abidjan, qui fait office de foyer éducatif fermé. Au bout de six mois, le juge ordonne généralement la relaxe des adolescents pris en charge par le BICE, ce qui évite un procès. « Un enfant sur trois en moyenne se réinsère dans la société »

Parfois, certains s’enfuient sans attendre leur libération. « Un enfant sur trois en moyenne se réinsère dans la société », calcule Joël Kofi, responsable du projet au BICE. Les éducateurs tentent de renouer les liens avec les familles. Parfois sans succès. Un jeune a récemment été pris en charge à la suite du vol d’un morceau de viande. Il vivait dans la rue, chassé de chez lui par son oncle. Il a joué pendant des mois au chat et à la souris avec les équipes du BICE. L’adolescent a fini par être placé dans une famille d’accueil, avant de retourner à la rue.

« Dans la tête de nombreuses familles, un enfant passé par la prison n’est pas récupérable », rappelle le juge Achille N’Djomou, recruté par l’Onuci, la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire, dans le cadre du rétablissement de l’État de droit. « La réalité est qu’un gamin dont les parents ne veulent plus va très facilement en prison. » La loi prévoit la possibilité d’enfermer des mineurs à partir de 10 ans en cas de crime, et à partir de 13 ans pour les délits.

Le nombre d’enfants sous les verrous demeure cependant faible. Sur les 11 000 détenus ivoiriens, les statistiques comptent 176 mineurs. « La délinquance n’a pas atteint le niveau des sociétés occidentales », avance José Gomez qui travaille à la section État de droit de l’Onuci. La crise politique qui a coupé le pays en deux a limité aussi les incarcérations. Dans le Nord contrôlé par les rebelles des Forces nouvelles, les tribunaux sont fermés et les prisons ne sont guère utilisées. « Ils n’emprisonnent pas les mineurs, sauf en cas de meurtre », poursuit José Gomez.

Les Forces nouvelles ont recours à une pratique largement répandue en Côte d’Ivoire : la justice informelle. Quand elle ne dérive pas vers le lynchage de l’adolescent pris sur le fait, la méthode repose sur l’arrangement à l’amiable. La victime négocie avec la famille du jeune fautif une compensation financière en fonction du préjudice subi. Quand les deux parties ne s’entendent pas, la justice prend le relais « en préconisant le placement au sein de la cellule familiale », précise Périne Nahounou, directrice de la protection des mineurs au ministère de la justice.

La conciliation demeure le meilleur outil pour pallier la grande misère de l’administration pénitentiaire. Au point que le BICE développe le système dans les quartiers d’Abidjan. Trois fois par semaine, Brouchal Kouadio, travailleur social, tourne ainsi dans les commissariats à la recherche de mineurs arrêtés. En cas de petit délit, il contacte les parents et joue les intermédiaires auprès des victimes. Trois fois sur quatre, la procédure s’arrête là. « Pas de mineur aujourd’hui ? » demande-t-il à l’officier de police judiciaire de garde. « Pas de mineur, sinon je vous aurais appelé. »

OLIVIER TALLÈS


Publié sur OSI Bouaké le mercredi 29 juillet 2009

 

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