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WikiLeaks : les mystères du bombardement du camp français de Bouaké en Côte d’Ivoire


LeMonde | 09.12.10 | 22h33

Abidjan, envoyé spécial - Le pic de la tension entre la France et la Côte d’Ivoire a sans doute été atteint en novembre 2004. Alors que le pays était scindé entre le Sud, contrôlé par Laurent Gbagbo, et le Nord, aux mains des rebelles des Forces nouvelles, l’opération "Dignité" devait permettre aux troupes loyalistes de reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire aux rebelles des Forces nouvelles. L’offensive avait débuté par des attaques de l’aviation ivoirienne contre des villes rebelles grâce à l’acquisition d’hélicoptères de combat et d’avions de chasse achetés par la Côte d’Ivoire malgré un embargo des Nations unies.

L’opération "Dignité" a tourné à la catastrophe, le 6 novembre, lorsque deux de ces Soukhoï, pilotés par des Biélorusses (avec des copilotes ivoiriens) ont attaqué un camp de soldats français (installé au lycée Descartes de Bouaké) de la force Licorne, déployée pour tenir une "zone de confiance" entre le Sud et le Nord.

Neuf soldats français et un civil américain réfugiés dans le camp pour se protéger des attaques aériennes avaient été tués. Des militaires français avaient ensuite détruit l’aviation ivoirienne, déclenchant à Abidjan de gigantesques émeutes antifrançaises, conduisant à plus de 8 000 évacuations. Dans le chaos, l’armée française avait ouvert le feu à plusieurs reprises sur des foules hostiles. Ce dossier demeure un des grands contentieux entre les deux pays.

Or les pilotes des Soukhoï impliqués dans l’attaque du camp français, arrêtés à Abidjan, ont été détenus quatre jours par l’armée française avant d’être autorisés à quitter la Côte d’Ivoire et se rendre au Togo. Là, le gouvernement les a arrêtés avant de proposer aux Français de les interroger.

SURPRISE

Un peu plus d’un an plus tard, l’ex-ministre de l’intérieur du Togo, François Boko, est reçu "à sa demande" dans une ambassade américaine pour y raconter le passage des pilotes dans son pays, dossier sur lequel il avait toute autorité à l’époque. Il confirme alors aux diplomates américains que "les six pilotes et les techniciens" impliqués dans le pilotage et la maintenance des Soukhoï ont bien été détenus à Lomé.

Auparavant, les avions de chasse étaient aussi passés par là. C’est par le Togo que la Côte d’Ivoire avait importé ce matériel, en violation de l’embargo de l’ONU   : "Les deux Soukhoï 25 utilisés dans le bombardement ont été fournis au GCI [gouvernement de Côte d’Ivoire] par l’ex-gendarme français Robert Montoya. [Il] se les était procurés, ainsi que d’autres avions et d’autres types de matériel, en Biélorussie. Il avait aussi engagé des pilotes et des techniciens biélorusses. Les avions sont arrivés en pièces détachées au Togo, où ils ont été assemblés avant de voler jusqu’à la Côte d’Ivoire."

François Boko insiste : "Les responsables togolais étaient informés de la présence des avions et des pilotes-techniciens au Togo. (…) Les forces françaises aussi devaient être au courant de cette présence puisque les avions biélorusses étaient garés dans la partie de l’aéroport de Lomé utilisée par les Français pour leurs propres missions aériennes de soutien des troupes françaises en Côte d’Ivoire."

Plus étrange est le refus des autorités françaises d’interroger les pilotes, comme François Boko le leur propose après leur avoir "communiqué leur identité et leurs activités via l’ambassade de France à Lomé, mais aussi par l’intermédiaire du général Poncet, qui commandait alors l’opération Licorne en Côte d’Ivoire".

LE CAS DE ROBERT MONTOYA ÉVOQUÉ

L’ex-ministre de l’intérieur togolais exprime ensuite sa surprise : "Après avoir gardé les neuf Biélorusses environ deux semaines, Boko se voit demander par les Français (y compris par le général Poncet, qui a communiqué directement avec Boko) de les relâcher. La seule explication qu’on lui ait fourni (à nouveau, en incluant celle du général Poncet), a été que la France ’ne cherchait pas à compliquer ses relations avec la Biélorussie’", conclut l’auteur du télégramme.

François Boko poursuit sur le cas de Robert Montoya, ancien membre de la cellule antiterroriste de l’Elysée compromis dans les années 1980 dans une affaire d’écoutes téléphoniques, et installé entre le Togo et plusieurs autres pays. M. Montoya conseillait alors la présidence ivoirienne.

François Boko ajoute que "depuis que la presse française a commencé à écrire [à son] sujet, sa femme s’est rendue chez un notaire au Togo qui (...) a liquidé toutes [ses] sociétés avant d’en créer de nouvelles, avec des propriétaires différents". Depuis, Robert Montoya a été poursuivi mais l’essentiel des interrogations sur l’épisode franco-ivoirien de novembre 2004 demeurent. Jean-Philippe Rémy


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 10 décembre 2010

 

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