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Laurent Gbagbo : un prisonnier qui dérange

Les instances judiciaires tâtonnent quant à la position à adopter


Afrik.com - jeudi 5 mai 2011 - Assanatou Baldé - L’audition de Laurent Gbagbo par la justice ivoirienne a été repoussée à vendredi. La procédure judiciaire lancée par le président Alassane Ouattara contre lui pose question. La justice ivoirienne chargée du dossier est-elle compétente pour le traiter ? Quelles périodes de son mandat devra- t-elle instruire ? Quel rôle jouera la CPI   ?

La procédure judicaire lancée par le camp Ouattara contre le président déchu connaît déjà des ratées. Laurent Gbagbo devrait être auditionné vendredi par la justice ivoirienne, alors qu’il aurait dû l’être mercredi. Ses avocats ont demandé quelques jours de plus pour mieux se préparer. Les auditions ont été instaurées sur l’impulsion d’Alassane Ouattara dans le cadre de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le nouveau procureur de la République d’Abidjan, Simplice Kouadio Koffi. Elle doit réunir suffisamment d’éléments pour inculper Laurent Gbagbo assigné à résidence à Korhogo, dans le nord du pays, avant que des poursuites ne soient lancées contre lui, devant une juridiction nationale ou internationale, comme l’a promis le président en place.

L’ancien chef d’Etat n’est pas le seul à être mis sur le banc des accusés. Simone Gbagbo, son épouse placée en résidence surveillée à Odienné, sera interrogée 24h après lui. « L’audition de Simone Gbagbo a été repoussée pour les mêmes raisons », a affirmé Simplice Kouadio Koffi. Près de 200 personnalités de l’ancien régime assignées aussi à résidence à travers le pays seront entendues d’ici le mois de juin. Elles « figurent pour la plupart sur la liste des personnes sanctionnées par l’Union européenne », a précisé samedi Jeannot Kouadio Ahoussou, le ministre de la Justice. « Les auditions se dérouleront sur les sites de résidences surveillées pour des raisons de sécurité car la situation à Abidjan est encore fragile, on ne veut pas prendre de risque. Laurent Gbagbo a été capturé vivant et il doit demeurer vivant », a-t-il estimé.

La riposte du camp Gbagbo

La riposte du camp Gbagbo ne s’est pas fait attendre. Malgré toutes les accusations dont fait l’objet l’ancien président actuellement, aucune charge n’est retenue contre lui. Ce qui remettrait en question la légalité de son arrestation le 11 avril par les forces d’Alassane Ouattara appuyées par l’Onuci et la force française licorne. Un point que n’a pas manqué de pointer du doigt Marie-Antoinette Singleton, la fille née d’un premier mariage de l’ex-première dame Simone Gbagbo. C’est elle qui a organisé la défense de l’ancien président en saisissant cinq avocats français : Jacques Vergès, Laurent Dumas, Gilbert Collard, François Epoma et Habiba Touré qui ont accepté de le défendre. Roland Dumas, ex-ministre socialiste des Affaires étrangères, et Jacques Vergès, sont connus pour être de proches conseillers de Laurent Gbagbo. En décembre dernier ils avaient dénoncé à Abidjan une « ingérence française et internationale » en Côte d’Ivoire et apporté leur soutien au président déchu en multipliant les conférences de presse.

Les défenseurs de Laurent Gbagbo restent donc sur leurs gardes à la justice ivoirienne, dont ils réclament l’indépendance. « J’attends de la justice ivoirienne qu’elle agisse en toute indépendance. J’attends de voir, mais vu comment c’est parti, avec cette assignation à résidence, dont on a appris l’existence que quinze jours après, on est quand même un peu inquiet. Maintenant, pour la suite, on verra bien s’il s’agit clairement d’une affaire politique ou si la justice pourra agir en toute indépendance. Dans ce cas là, il n’y a pas de problème », a déclaré mercredi à RFI, Habiba Touré. Ils sont également décidés à engager une bataille judicaire contre le camp Ouattara pour que leur client ne soit pas le seul à porter le chapeau. Ils ont porté plainte lundi en France pour crimes contre l’humanité après les massacres commis à Duékoué dans les semaines qui ont précédé la chute de l’ancien président. Même s’il s’agit d’une plainte contre X, elle pointe du doigt directement le camp Ouattara. Elle a été déposée au nom de la fille d’un exploitant forestier qui aurait été enlevé et assassiné le 30 mars dernier par des membres des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Jacques Vergès a indiqué que les poursuites étaient susceptibles de viser également des éléments de la force française Licorne qui n’auraient pas, selon lui, empêché les exactions. Le Comité international de la Croix-Rouge a fait état d’au moins 800 morts dans cette localité tombée le 29 mars aux mains des forces fidèles à Alassane Ouattara.

La CPI   hésite à intervenir

De multiples zones d’ombres entachent l’éventuel procès de l’ancien président, premier chef d’Etat dans l’histoire du pays à faire face à une procédure judiciaire d’une telle envergure. Pour le moment, Alassane Ouattara semble privilégier la justice ivoirienne pour juger son ancien rival. Mais la question de la compétence de celle-ci pour se saisir d’un dossier d’une telle nature semble bien compromise. Jusqu’ici les instances internationales sont restées timides face à cette affaire et semblent pour l’heure plutôt en retrait. Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI  ) Luis Moreno-Ocampo chargée de poursuivre les auteurs présumés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité n’interviendra que lorsqu’elle aura conclu que l’appareil judiciaire ivoirien n’est pas en mesure d’instruire efficacement le dossier. C’est dans ce but que l’examen préliminaire des « massacres commis de façon systématique ou généralisée » dans le pays, destiné à établir si les crimes commis relèvent de la compétence de la Cour, a été lancé.

Mais la saisie du dossier par l’instance internationale pourrait remettre le feu aux poudres. Elle pourrait provoquer la colère des partisans de Laurent Gbagbo et jeter le discrédit sur le camp Ouattara qui n’est pas à l’abri, lui non plus, de poursuites judiciaires. Il est accusé de possibles crimes commis notamment dans l’Ouest du pays. Le chef d’Etat ivoirien a assuré que tous « les crimes seront punis, quels qu’en soient les auteurs ». Et la CPI   a prévenu que, si elle engage un procès, les crimes relevant de sa compétence ne feront l’objet d’amnistie pour aucun des deux camps.

Alassane Ouattara a fait prisonnier Laurent Gbagbo. Mais le bras de fer judiciaire engagé pourrait bien ternir son image.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 16 mai 2011

 

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