Accueil >>  VIH/Sida >>  Accès aux ARV et aux soins >>  Enfants VIH+

Labos, pourquoi laissez-vous mourir les enfants ?

Sur les 2 millions de petits Africains malades du sida, à peine 1 % reçoivent un traitement. Tout simplement parce que la trithérapie n’est pas adaptée à leur organisme et que plancher sur des antirétroviraux pédiatriques ne rapporte rien aux labos. Enquête auprès de ces firmes dont le profit semble justifier la mort de 1 000 enfants chaque jour, et reportage au Kenya, où l’Unicef se bat pour soigner ces enfants « non rentables »


A quoi rêvent les petits Kenyans ?

Salim a 11 ans, le sida   et une idée bien arrêtée de son avenir. Plus tard, il sera, au choix, « maître d’école ou acteur ». Mais, pour ce garçon déjà émacié, demain est improbable. Ni prof ni star : dans quelques années, Salim sera certainement mort. Au Kenya, le VIH   n’attend pas le nombre des années : 120 000 gamins sont malades du sida  , 30 000 sont décédés en 2004. Le Kenya n’est pas un cas à part : en Afrique sub-saharienne, 2 millions d’enfants de moins de 15 ans sont infectés, le plus souvent dès leur naissance par une mère séropositive. Et moins de 1 % d’entre eux bénéficient d’un traitement. Chers et mal adaptés, les médicaments pédiatriques anti-VIH   manquent au Sud, et cette pénurie tue. « Les enfants ont été les grands oubliés de la pandémie », martèle l’Unicef, qui lance une campagne de sensibilisation sur ce thème.

Jusqu’à présent, l’urgence était autre : sauver les adultes. Il a fallu pour cela convaincre les gouvernements de sortir du déni, accélérer la fabrication de médicaments génériques et prouver à la communauté internationale que les pauvres du Sud étaient capables de suivre correctement leur traitement. La lutte a payé, les antirétroviraux ont fini par arriver en Afrique. Au Kenya, ils sont disponibles depuis deux ans. « La situation est loin d’être satisfaisante, mais un immense pas a été franchi, souligne le docteur Chris Ouma, chargé du programme sida   à l’Unicef-Nairobi. L’annonce de la séropositivité n’est plus un verdict de mort. Ce progrès a permis à de nouvelles questions d’émerger, comme celle de l’accès aux soins des enfants. Il s’agit désormais de rattraper le temps perdu. » Tâche aussi immense qu’ardue...

Dépistage difficile

L’une des principales difficultés est le dépistage des bébés de moins de 18 mois », explique le professeur François Dabis, animateur scientifique à l’Agence nationale de recherches sur le sida  . Les nourrissons possèdent en effet les anticorps de leur mère. Or les tests sérologiques standard réagissent à ces anticorps. Si la mère est infectée, son bébé aura un résultat positif, qu’elle lui ait ou non transmis le virus. Un dépistage efficace nécessite alors des techniques de biologie moléculaire sophistiquées, une machine à 50 000 euros, ainsi que du personnel formé... Des obstacles importants pour certains pays aux ressources limitées dont le système de santé agonise. Les très jeunes enfants, pour la plupart, ne sont donc pas diagnostiqués. Ni, par conséquent, soignés. Le résultat est simple : la moitié de ces malades décède avant l’âge de 2 ans. Reste à s’occuper des survivants...

Korogocho, bidonville près de Nairobi. Depuis seize ans, une clinique accueille les habitants de ce quartier. « Clinique » : le terme est prétentieux pour qualifier ce bâtiment brinquebalant de tôle bleue où paissent parfois les chèvres. Les victimes du sida   viennent y mourir quand elles n’ont pas les moyens de payer l’hôpital. Les plus chanceuses s’y font soigner. Ici, les antirétroviraux pour adultes ont fait leur apparition il y a un an à peine, et seuls 100 patients en bénéficient. Quant aux médicaments pédiatriques, il n’y en a pas. Afin de soigner les gosses, les infirmières de Korogocho broient donc des cachets pour adultes, au risque de dispenser une dose inadéquate. Jela, 9 ans, se contenterait bien de ce bricolage thérapeutique. Mais sa tuberculose joue contre son sida  . « Pour l’instant, elle est tellement faible que le traitement antirétroviral risquerait de l’achever », note Charles K. Thumi, coordinateur des lieux. Trop épuisés, trop dénutris, trop jeunes, incapables d’avaler un cachet, rares sont les enfants à correspondre aux critères requis afin de bénéficier du Graal qui leur sauverait la vie. 150 petits malades se contentent d’herbes médicinales et Charles K. Thumi semble s’y être résigné : « Le gouvernement n’a pas les moyens de traiter tout le monde. »

Une clientèle peu solvable

Que l’on ne s’en étonne pas : sur le marché pharmaceutique, les médicaments génériques (moins chers) pour enfants sont rarissimes. « L’écrasante majorité des traitements pédiatriques sont des antirétroviraux de marque, hors de prix pour les pays en voie de développement, résume Emmanuel Trenado, chargé des programmes internationaux à l’association Aides. Les thérapies destinées aux petits coûtent jusqu’à dix fois plus cher que celles réservées aux adultes. » Onéreuses, elles sont, qui plus est, mal adaptées à leur public. Les trithérapies à dose fixe (un seul médicament pour trois molécules, plus simple à utiliser) n’existent pas pour les enfants : il leur faut donc parfois avaler trois sirops différents. Quelques-uns de ces liquides ont un goût rédhibitoire ; d’autres doivent être gardés au frais, ce qui ne va pas de soi dans la savane.

Pour couronner le tout, certains anti-VIH  , pourtant efficaces et indispensables, n’ont pas été déclinés en version pédiatrique. Tel est le cas du Viread, produit par l’entreprise Gilead Sciences. « Les études pharmacocinétiques et cliniques, préludes à la fabrication d’un médicament, sont difficiles à organiser sur une population en bas âge, se défend Françoise Monchecourt, responsable médicale chez Gilead Sciences. De plus, dans le domaine pédiatrique, des critères complexes de saveur, de forme, de dosage et de stabilité du produit entrent en jeu. »

Le message des labos est clair

Si les laboratoires négligent les gamins, « ce n’est pas une question de business, mais de problèmes techniques ». Le docteur Schaefer, de Médecins sans frontières (MSF  ), n’est pas de cet avis : « Non seulement les enfants n’ont pas de lobby, mais ils ne sont pas assez rentables. » Dans les pays occidentaux, grâce aux progrès de la médecine, peu de nourrissons naissent avec le virus ; le marché des traitements pédiatriques est donc minuscule. Il faut aller « au Sud » chercher la clientèle, peu solvable. « De plus, la lutte contre la transmission du virus de la mère au bébé progresse en Afrique et en Asie, souligne Siobhan Crowley, experte à l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ). Par conséquent, d’ici à vingt ans, le nombre d’enfants infectés va décroître. A long terme, produire des médicaments pédiatriques n’est donc pas forcément une bonne affaire pour les industriels. »

Une seule solution pour les enfants du sida   : naître au bon endroit. Près du centre de soin de MSF  , à Nairobi, par exemple. A la Blue House, au cœur du bidonville de Matharé, 400 petits viennent chercher un traitement adapté et gratuit. Ailleurs, on se contente de gérer la pénurie et de compter les morts. A Pepo La Tumaini, une association du nord-est kenyan, 72 enfants auraient besoin d’antirétroviraux ; seuls 39 en bénéficient. Ici aussi, on bricole leur traitement à partir de cachets pour adultes et on attend que les enfants affichent les symptômes de la maladie pour les soigner. Les autres ne sont souvent même pas dépistés. « Pourquoi les tester quand on sait qu’on ne pourra rien faire pour eux ? » lâche Khadija, fondatrice de l’association. Cette ancienne institutrice n’a pourtant pas rendu les armes. Les siennes sont modestes : des bénévoles, pour prendre soin à domicile de sidéens décharnés. Des baraques, pour abriter des familles d’enfants dont les parents sont morts. Du maïs et des haricots, pour caler leur estomac qui, s’il est vide, rejette le traitement. Avec l’aide de l’Unicef, Khadija brode ainsi depuis une dizaine d’années un filet contre la faim et le sida  . Contre l’ignorance aussi, dont Rukia, 9 ans, a été victime : son père l’a violée, persuadé qu’un « vagin pur » pouvait le guérir du VIH  .

Et demain ?

D’ici deux ou trois ans, les enfants malades vont développer des résistances aux antirétroviraux qu’ils ingurgitent aujourd’hui. Il leur faudra, comme aux adultes, des traitements plus récents, efficaces et pas chers. Donc génériques. Autant dire que c’est mal parti. Depuis le 1er janvier 2005, l’Organisation mondiale du commerce a redonné un tour de vis aux règlements sur la propriété intellectuelle. Ses pays membres ont l’obligation d’accorder un brevet d’au moins vingt ans à chaque nouveau médicament. Et l’interdiction d’en fabriquer des copies pendant ces deux décennies. Il est cependant possible de ruser, « mais la procédure s’avère alors complexe et décourageante, souligne Emmanuel Trenado. De plus, les Etats-Unis multiplient les accords bilatéraux avec les pays pauvres, leur imposant des mesures de protection de la propriété intellectuelle encore plus drastiques. » Le monopole des labos a donc de l’avenir. On ne peut pas en dire autant des enfants malades.

Seul le lobbying paye

Le droit jouant contre eux, reste donc la pression. Le 25 octobre, l’Unicef a rendu un rapport accablant sur le sort des jeunes victimes du sida  , exhortant les Etats, la communauté internationale, les scientifiques et les industriels de la santé à faire de leur sauvetage une priorité. L’OMS  , de son côté, va publier ses nouvelles recommandations en matière de traitements anti-VIH  . Pour la première fois, un guide spécifique sera consacré à la pédiatrie. « Il servira à la fois aux soignants sur le terrain et aux militants pour inciter les labos à agir, précise Siobhan Crowley. Seul le lobbying paye : quelques firmes pharmaceutiques ont en préparation des médicaments pédiatriques à dose fixe. Nous les attendons avec impatience, en sachant que cela ne règlera pas le problème : les traitements seront toujours trop peu nombreux et bien trop chers. C’est lentement que les choses bougent. » Trop lentement : chaque jour, dans le monde,

2 000 enfants naissent avec le sida  . L’an dernier, 510 000 en sont morts.

Véronique Mougin pour le Journal Marie Claire


VOIR EN LIGNE : Marie Claire
Publié sur OSI Bouaké le vendredi 2 février 2007

 

DANS LA MEME RUBRIQUE