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Rêve de France, destin au Bénin

Depuis 2009, un programme franco-béninois aide des migrants clandestins ou réguliers à se réinsérer après leur retour au pays. Victorin, Cathia, Dine… ont pris un nouveau départ. Premier bilan.


Libération - 22 juin 2012 - Textes et photos Delphine Bousquet, Correspondance à Cotonou

Dine Nouantin et sa femme devant son élevage de volailles, à Cotounou.

La camionnette roule au pas sur la piste en terre rouge défoncée par les violentes averses. El Mahaboub Damala a implanté son exploitation agricole à Djigbé, à quelques kilomètres de Porto-Novo, capitale du Bénin : « Un hectare sur trois sites. Ici c’est le poulailler avec 600 pondeuses, là le clapier avec 30 lapins, j’ai un élevage de poissons et des bananiers sur 7000 m2. » A 27 ans, marié, père d’une petite fille, il possède aussi une boutique de prestations de services, où travaille un employé.

Il y a moins de trois ans, Damala était clandestin en France. Parti en formation avec son lycée agricole, il a « raté » le vol retour, et est resté trois ans en région parisienne. Son quotidien : le travail au noir ou en intérim, sous une fausse identité, en louant 300 euros par mois les papiers d’un compatriote. « Je n’ai pas vécu, j’ai survécu. Mais l’essentiel était de gagner un peu d’argent, car j’avais des rêves de l’autre côté, ici en Afrique. » Quand la crise a frappé, il a voulu rentrer. C’est alors qu’il a appris que la France pouvait l’aider.

Etudiante en droit, Cathia Guezodje a séjourné huit ans en France avec un titre régulier. Elle s’apprête à lancer son entreprise de fabrication et de vente de jus de fruits et d’eau en gobelets.

El Mahaboub Damala a touché 7 000 euros pour revenir chez lui. De quoi construire son poulailler, alimenter le site en énergie, acheter une motopompe. Son véhicule, un vieux Renault Trafic repeint en vert, il l’a fait venir de France, les terrains, il les avait déjà. Malgré cet environnement favorable, son choix a été mal vu par sa famille. « Mes parents n’étaient pas d’accord. Pour eux, c’était un échec, ils voulaient que je reste en France. Mais sans travail, je dépensais ce que j’économisais ! Un de leurs amis, un docteur qui a vécu en France, leur a expliqué que c’était bien si je rentrais pour mon projet. Mon père n’a pas facilement accepté, j’ai dû travailler comme un fou pour le convaincre ! »

La France, pour nombre de Béninois, c’est la belle vie, l’argent, les opportunités. Tout le contraire de ce que Dine Nouatin a connu. Ses deux années clandestines ont été un calvaire. J’ai vécu parmi « les souffrants », dit-il. Ce fut un soulagement de prendre l’avion du retour. En dépit des reproches de la famille : « Quand tu dis que tu veux rentrer, ils ne veulent pas. Ici, tu ne donnais rien à ta mère, de là-bas, tu envoyais quelques euros, avec la parité euro-CFA [1], c’était beaucoup. Elle m’a dit : "Il faut rester, tu vas faire quoi ici ?" Et puis, c’est un orgueil de dire que son fils est en Europe. » Il vit loin de la famille avec sa femme, enceinte, a un élevage de poules, un employé et rend souvent visite à Damala qui le conseille.

Yvette Hountondji, 54 ans, nounou en France, va ouvrir une crèche.

Aura puissante

« Rentrer n’est pas facile », confirme Moufoutaou Zomahoun, responsable formation au Cesam, l’organisme béninois qui accompagne les projets de réinsertion [2]. « La pression sociale est forte. On ne comprend pas ce qui peut motiver quelqu’un qui vit en Europe à revenir sans avoir assuré ses arrières. Il faut au moins avoir construit sa maison. » L’aura qui entoure ceux « qui ont fait la France » est puissante. Et pleine de préjugés. Victorin Koutchanou, la quarantaine, est le premier Béninois à avoir pu bénéficier de l’aide française. Il gère une station de lavage et un maquis (bar) près du stade René-Pleven de Cotonou. Son bar s’appelle Déole du nom du village près de Châteauroux (Déols) qu’il a décidé de quitter. « Comme je suis en face du stade, les jours de match, je fais garde-vélos et garde-motos. Quelqu’un m’a dit : "Comment toi tu peux venir de la France et faire ça ?" Pour lui, c’est un métier de bas étage. Mais il n’y a pas de bas étage, si on gagne de l’argent. »

Pesanteurs locales

Les bénéficiaires de l’aide au retour ne s’en vantent généralement pas, pour éviter convoitise et sollicitations. « Si tu cherches un terrain, le prix ne sera pas le même. On va te de mander plus parce que tu as l’argent », raconte Dine Nouatin. Les migrants, surtout s’ils restent longtemps à l’étranger, peuvent être déboussolés par leur pays. Ils ne retrouvent plus les habitudes, le quotidien, la manière de vivre. « Le Bénin n’était pas comme ça quand je suis partie. Je vois les choses bizarrement », confie Yvette Hountondji, petite femme de 54 ans au tutoiement facile. Il y a cinq ans, elle est partie en France avec un visa de tourisme. Elle a travaillé comme nounou pour subvenir aux besoins de ses trois enfants et de sa mère. Rentrée en avril, elle s’apprête à ouvrir une crèche. « Ça demande un effort de se réaccomoder à son pays. Beaucoup de gens m’ont dit que j’avais changé. C’est sûr que je suis moins patiente qu’avant ! » Il faut s’adapter et adapter son projet : « Les idées de là-bas ne sont pas toujours viables ici », résume Victorin Koutchanou. La création d’un cybercafé peut se heurter à la réalité locale : la mauvaise connexion Internet. « On reçoit le candidat, on écoute ses idées et on l’en voie sur le terrain pour choisir la bonne, explique Moufoutaou Zomahoun. Mais ils ne s’attendent pas à autant de difficultés lors de la réalisation. » Surtout quand ils deviennent chefs d’entreprise après avoir toujours travaillé pour les autres. Pour les « revenus de France », les pesanteurs locales sont parfois très pénibles. « L’administration n’est pas lente, elle est morte, assène l’un d’eux. J’ai fait une demande de carte de commerçant. Six mois après, je l’attends toujours. Je me suis rendu à la Direction du travail et de la main-d’œuvre pour un modèle de contrat. Les fonctionnaires étaient allongées sur des bancs, elles m’ont dit de revenir. Des situations comme celles-ci, il y en a plein, et ça use. »

Lenteur d’un côté, corruption de l’autre. « Ici, quand tu veux obtenir un service payant, il faut régler le tarif et ajouter un peu pour que ta demande soit traitée. » Un autre se souvient : « Je suis allé voir un organisme public qui appuie la création d’entreprises. Il fallait rédiger le projet, ce n’est pas l’intéressé qui le fait mais un agent à qui il faut donner 80 000 FCFA. Vous voyez ce que ça représente quand le salaire minimum est à 30 000 ! »

C’est aussi pourquoi les « revenus » cachent leur statut. Pour ne pas être encore plus taxés. L’argent de la France est donné sous conditions. Les candidats doivent avoir un apport personnel (argent, local, véhicule) dont dépendra le financement. Le décaissement est fait en deux fois, 70% de la somme allouée, puis 30%, contre justificatifs. L’aide n’arrive pas tout de suite et ne couvre pas l’intégralité des investissements : il faut avoir des économies (qui fondent vite), demander à la famille, ou emprunter. Or, l’argent est difficile à trouver. « Les banques prêtent à 12% et sont réticentes avec les jeunes entrepreneurs, regrette El Mahaboub Damala. Il faut frapper aux portes des institutions de microfinance, avec un taux de 24% annuel, et qui demandent aussi des garanties. Ce n’est pas donné à tout le monde. J’avais heureusement acheté des terrains, car je suis revenu avec moins de 500 euros. »

Victorin Koutchano (à dr.) a ouvert une station de lavage et le bar Déole, du nom du village de l’Indre où il vivait.

Choc des mentalités

Dans ces conditions, pas facile de développer son activité. « Sans l’aide de la France, je ne serais pas à ce niveau, ou alors criblé de dettes ! » Partie pour des études de droit, Cathia Guezodje a passé huit ans en France. « Je ne me sentais plus à ma place, j’avais un problème de statut avec mon visa étudiant. J’ai découvert le dispositif sur Internet. La préfecture des Alpes-Maritimes ne l’avait jamais appliqué pour des gens comme moi. » A Cotonou, la jeune femme se lance dans la fabrication et la vente de jus de fruits et d’eau en gobelets. Elle est même allée en Chine acheter son matériel. « Je pensais démarrer en deux mois. J’attends depuis six mois la validation du projet. On revient dans un pays sous-développé, mais c’est une fois à l’œuvre qu’on prend la mesure des choses. Vous ne pouvez rien planifier, il y a toujours un grain de sable qui s’invite dans la mécanique. » Comme d’autres, elle a connu le choc des mentalités. « Quand certains amis comprennent que le retour est définitif, que tu repars de zéro, tu n’es plus intéressante comme quand tu venais pour les vacances. C’est progressif : au début, ils te rassurent, je connais untel, il va t’aider, et puis quand tu appelles, personne ne décroche. »

S’entraider, partager les expériences, c’est le but de l’Association des Béninois revenus de France pour l’auto-emploi (les statuts, déposés en juillet 2010, n’ont toujours pas été enregistrés). Son président El Mahaboub Damala assure : « Ceux qui reviennent sont de plus en plus nombreux, il faut les accueillir. » Le Bénin, pourtant loin derrière le Mali et la Côte- d’Ivoire, traditionnelles terres d’immigration, est le premier pays où les « revenus de France » se regroupent (3). Malgré les difficultés sociales et administratives, ils n’ont, pour la plupart, pas de regrets. « La France est belle, elle m’a beaucoup apporté mais on peut faire des choses ici et vivre aisément. La preuve, je prends du poids, témoigne El Mahaboub Damala en mangeant de l’abobo, un haricot local, assis à l’abri du soleil. Je suis revenu dans mon pays et je me sens bien. »


[1] 1 euro = 655,957 FCFA. (2) Centre de suivi et d’assistance en management.

[2] Centre de suivi et d’assistance en management


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 26 juin 2012

 

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