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Poétique et politique : Bamako, le film de Abderrahmane Sissako

Sorti le 18 octobre 2006, le dernier film de Sissako est aussi ambitieux que réussi


Mots-Clés / Film / Mali

Un film de Abderrahmane Sissako (Mauritanie) Avec : Aïssa Maïga, Tiécoura Traoré, Hélène Diarra, Habib Dembélé, Djénéba Koné, Hamadoun Kassogué

Grand Prix du Public de Paris Cinéma 2006

« "La chèvre a ses idées mais la poule aussi". Le paysan malien qui prononce cette phrase est à la barre des témoins d’un tribunal installé dans une cour d’un quartier populaire de Bamako, pour un procès qui oppose la société civile aux institutions internationales de la mondialisation, Fonds monétaire international et Banque mondiale en tête. Durant ces débats animés, retransmis par haut-parleur à l’extérieur, la vie continue dans la cour : les femmes teignent des batiks, un couple se marrie tandis qu’un autre se sépare, les enfants vont et viennent. C’est dans la cour de son père mort il y a peu qu’Abderrahmane Sissako a tenu à situer ce tournage car c’est dans ce lieu intense de vie qu’il a grandi et passionnément discuté de l’Afrique avec lui ». Olivier Barlet

Ce mercredi soir, la salle de cinéma était pleine et les coeurs chauds. Bamako est une vraie réussite cinématographique, au delà d’un film délivrant un message nécessaire et juste. Il s’agit bien d’une oeuvre : le regard de Sissako est celui d’un cinéaste sensible à l’image, à la lumière, au cadre, qui regarde son décor quotidien. Et nous transporte bien loin des folklores, des "beaux paysages" esthétiques, du pays dogon et de l’étrangeté. Ici, nous le suivons au Mali pour autre chose que pour un voyage, car ce n’est pas d’aventure qu’il s’agit mais de vie quotidienne dans une parcelle, de reconnaissance et de retrouvailles avec le familier. La vie passe, les humains ont ici comme ailleurs leurs préoccupations, leurs problèmes, leur sens de l’adaptation. Ici comme ailleurs, la vie traîne son lot de trahisons, de maladies, d’amitiés et d’humour. Mais au delà de la justesse humaine du regard, Sissakho livre sans ambage son interprétation sur les déterminants d’une telle situation.

Le propos politique est simple et ne se cache pas : l’Afrique est riche mais paupérisée par l’exploitation, la colonisation et le capitalisme mondialisé. Il ne s’agit pas d’un débat de méchants blancs du Nord contre gentils noirs du sud, car le capitalisme est un prédateur international (la distribution du film en rend compte : les avocats sont blancs et noirs des deux côtés) et "si la Chine s’y met, l’Afrique est finie". Il s’agit donc pour les Africains de refermer les portes qu’ils ont autrefois si largement ouvertes... Et de concentrer leurs efforts sur les besoins de leurs peuples. Refuser l’esclavage, se libérer des chaînes que constituent les mécanismes financiers qui l’exploitent, ne plus faire le jeu d’un capitalisme destructeur.

"Il n’y a pas de maliens dans les rues de Bamako", car un homme misérable, affamé et sans éducation, un homme humilié n’a plus de parole (la scène avec le vieux Diakité est poignante), il ne peut plus penser, il lutte avec tous les moyens possibles pour sa survie, il n’est pas un homme. Par la voix de Sissako, c’est la parole qui est rendue aux africains, une parole qui pour le moment a bien du mal à s’exprimer. En souhaitant qu’elle ne fasse que s’amplifier, au Sud comme au Nord.

Tout sur le film

Le site du film


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 29 octobre 2006

 

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