"Réconciliation", "retour à l’ordre et au calme", "espérance" : les premiers mots d’Alassane Ouattara, lundi soir, aprèsl’arrestation de son rival, Laurent Gbagbo, qui refusait depuis quatre mois de quitter le pouvoir, ont exprimé sa volonté "de tourner une page". Mercredi 13 avril, lors de sa première conférence de presse, le nouveau président de la Côte d’Ivoire s’est donné "un à deux mois" pour obtenir la "pacification totale" du pays, posant comme priorité de "débarrasser Abidjan et le reste du pays des miliciens et mercenaires". Il a appelé ces derniers à déposer les armes immédiatement.
"J’ai demandé qu’un accent particulier soit mis sur la détection des armes à Abidjan et dans les villages à l’intérieur, partout en Côte d’Ivoire, et que ces armes soient ramenées et brûlées", a ajouté Alassane Ouattara, indiquant que ces opérations se feraient en liaison avec celles qu’il a désigné comme "les forces impartiales" : la mission de l’ONU (Onuci) et la force française Licorne. "Une fois que nous aurons réussi ces opérations, pour lesquelles je me donne un à deux mois, vous verrez que la pacification sera totale", a-t-il assuré.
Le nouveau président a également affiché sa détermination à éviter toute justice de vainqueur et à ne pas épargner ses partisans. "Tous les soldats des Forces républicaines [pro-Ouattara] qui seront identifiés comme ayant été des pilleurs seront radiés des Forces républicaines, et de manière immédiate", a-t-il ainsi averti, alors que ses éléments sont accusés de nombreux pillages à Abidjan.
Il a par ailleurs annoncé qu’il allait "demander au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d’engager des investigations" sur les massacres commis dans l’ouest du pays. Le 1er avril, le comité international de la Croix-Rouge estimait qu’au moins 800 personnes avaient été tuées dans la seule ville de Duékoué, les 29 et 30 mars. La plupart de ces crimes auraient, selon l’ONU, été commis par des partisans d’Alassane Ouattara. "Ces massacres sont inadmissibles, indignes (...), je suis révolté", a commenté ce dernier avec émotion. "Je ferai tout pour que ces condamnations soient un exemple, non seulement pour les Ivoiriens, mais aussi pour l’Afrique et le monde entier", a promis le chef de l’Etat ivoirien, soulignant qu’il souhaitait que ces investigations débutent "le plus rapidement possible".
Après l’annonce de la mort, dans des circonstances encore troubles, de Désiré Tagro, ex-ministre de l’intérieur et homme à poigne du régime de l’ancien président, qui avait été arrêté à l’Hôtel du Golf lundi soir, Alassane Ouattara a assuré que Laurent Gbagbo était en lieu sûr : "M. Laurent Gbagbo est un ancien chef d’Etat, on doit le traiter avec considération. (...) À l’heure où je vous parle, M. Laurent Gbagbo n’est plus à l’Hôtel du Golf. Il est en Côte d’Ivoire, bien sécurisé" a-t-il déclaré, sans révéler la localisation du président déchu. "L’hélicoptère transportant Laurent Gbagbo a décollé à 12 h 40 [heure locale et GMT, 14 h 40 à Paris], direction le nord du pays", a précisé un porte-parole de l’Onuci.
Alassane Ouattara, qui a promis de s’installer au palais présidentiel "dans les tout prochains jours", a pris les rênes d’un pays à la dérive avec la mission immense de réconcilier une nation divisée et de rétablir la paix et la sécurité. Mais la tâche s’annonce difficile.
Mardi, la capitale économique, Abidjan, était encore le théâtre de pillages. Dans certains quartiers, des coups de feu se faisaient entendre et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, pro-Ouattara) avouaient être débordées. La situation humanitaire est également très difficile dans l’intérieur du pays, notamment dans l’Ouest : plusieurs ONG s’inquiètent de la détérioration des conditions humanitaires dans la mission catholique de Duékoué, où près de 30 000 personnes ont trouvé refuge depuis les massacres.
"COUP D’ETAT"
Les tensions politiques perdurent également : Pascal Affi N’Guessan, chef du Front populaire ivorien (FPI), parti de Laurent Gbagbo, a condamné l’arrestation de l’ex-président comme une opération "qui vise à installer par la force M. Ouattara et qui ne règle aucun problème, ni celui de la légitimité, ni celui de la légalité constitutionnelle (...) Le pays est coupé en deux, on ne peut pas contraindre par la force les partisans de Laurent Gbagbo à soutenir M. Ouattara".
Pour les partisans de Gbabgo, Ouattara reste, comme durant la campagne, le candidat de l’étranger. Depuis l’arrestation de leur chef, ils maintiennent d’ailleurs que l’ex-président n’a pas été arrêté par les Forces républicaines d’Alassane Ouattara comme l’assurent Paris et l’ONU, mais par des militaires français. Mercredi, Pascal Affi N’Guessan a ainsi dénoncé "un coup d’Etat perpétré par l’armée française" et la fille de Laurent Gbagbo a saisi cinq avocats français (Jacques Vergès, Roland Dumas, Gilbert Collard, François Epoma et Habiba Touré) pour étudier la "légalité" de l’arrestation de ses parents ainsi que celle de l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire.
PATROUILLES DE GENDARMERIE IVOIRIENNES ET FRANÇAISES
Une nouvelle fois, le ministre de la défense, Gérard Longuet, a affirmé mercredi que les forces françaises n’étaient "pas allées au-delà du mandat" de l’ONU en Côte d’Ivoire. "Nous sommes intervenus dans le cadre du mandat et sur des demandes expresses" du secrétaire général des Nations-Unies, a-t-il déclaré devant les députés. "Je confirme que dans la résidence présidentielle où la reddition de Laurent Gbagbo a été reçue, il n’y avait pas un soldat français". En conseil des ministres, Nicolas Sarkozy a pour sa part estimé que Paris avait "fait son devoir pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire".
Pour rétablir la sécurité à Abidjan, Gérard Longuet a par ailleurs annoncé mercredi que "des patrouilles de gendarmerie ivoiriennes et françaises" allaient circuler dans Abidjan pour montrer qu’un "Etat de droit se met en place", sans préciser quand elles débuteraient. Le ministre a rappelé que la présence militaire française en Côte d’Ivoire sera rapidement réduite à 980 hommes (contre près de 1 700 actuellement), puis se limitera à des unités de coopération et de formation.
Seul signe important d’apaisement depuis l’arrestation du président sortant, l’appel lancé par le chef d’état-major de l’armée ivoirienne, ancien proche de Gbagbo, à toutes les forces de sécurité et de police au soutien d’Alassane Ouattara. Lors d’une étonnante émission en direct à la télévision TCI, le général Philippe Mangou a prêté allégeance au nouveau président et a appelé les policiers, les gendarmes et les soldats à reprendre le travail dès mercredi et à se mettre à la disposition de M. Ouattara.