Accueil >>  Et en Afrique, on dit quoi ? >>  Côte d’Ivoire >>  Elections présidentielles 2010

A Abidjan, "c’est la course à la bouffe"


LeMonde.fr | 15.04.11 | Charlotte Chabas

Malgré l’arrestation de Laurent Gbagbo, lundi 11 avril, la situation reste très tendue à Abidjan. Les forces d’Alassane Ouattara tentent de rassurer la population en organisant des patrouilles, mais pillages et exactions se poursuivent dans la capitale économique ivoirienne.

Après plus de dix jours terrés chez eux, les Ivoiriens réinvestissent progressivement les rues. Bien loin de l’agitation habituelle d’Abidjan, la circulation reprend et les files s’allongent devant les boulangeries et les supermarchés épargnés par les violences. Dans certains quartiers, la situation humanitaire reste cependant dramatique.

"LA COURSE À LA BOUFFE"

Simone, contactée par téléphone, vit avec ses six enfants à Yopougon, quartier pro-Gbagbo d’Abidjan. Depuis dix jours, elle n’a plus ni électricité ni eau courante. A cours de nourriture, elle s’apprête à quitter la ville à pied pour rejoindre un village de campagne : "Si je reste ici, je ne vais pas tenir longtemps, nous n’avons aucun moyen d’acheter des provisions." Prudents, les taxis refusent de desservir le quartier et préfèrent éviter cette zone où "il y a encore beaucoup de tirs et de pillages".

Dans les autres quartiers de la ville, la situation est plus calme. Bertrand, expatrié belge, vit dans la zone quatre, à 300 mètres d’une caserne de l’Onuci. Pour faire ses courses, il a dû se rendre dans le grand centre commercial du Plateau. "Je n’y ai jamais vu autant de monde, c’est la course à la bouffe, tous les gens font la queue pour acheter à manger". Si les produits de base sont difficiles à trouver, c’est surtout les produits frais qui se font rares. Les légumes et le poisson, éléments principaux de l’alimentation des Ivoiriens, ont complètement disparu des étals.

Les prix ont "littéralement explosé" selon Bertrand : "Le riz, le sucre ou l’huile, tout a été multiplié par deux. Les produits viennent tous de l’importation, il n’y a plus aucun produit local." Stéphane, qui vit dans le quartier de la Riviera, explique que "la boulette de manioc, l’attiéké, consommée par tous les Ivoiriens, coûte normalement deux cent francs CFA. Aujourd’hui, impossible d’en trouver à moins de cinq cent francs CFA." Pour les Ivoiriens les plus pauvres, la situation est ingérable : "Beaucoup de mendiants crèvent de faim."

La Croix-Rouge distribue des vivres dans plusieurs quartiers d’Abidjan. Mais le docteur Nioulé Zéadé Léonard, secrétaire général de l’ONG en Côte d’Ivoire, est inquiet. "Les stocks vont rapidement s’épuiser. Pour l’instant, on peut assurer le minimum, mais pour combien de temps ?" L’ONG Action contre la faim doit envoyer 35 tonnes de nourriture la semaine prochaine, essentiellement des biscuits énergétiques.

SÉCURITÉ PRÉCAIRE

Si les coups de feu ne se font plus entendre dans la plupart de la ville, les pillages continuent. Bertrand raconte qu’un de ses amis belges, qui était resté à son domicile pendant toute la durée des combats, a dû hier soir "foutre le camp de toute urgence". Des bandes de pillards ont dévasté toute sa rue, dans le quartier de Cocody, à deux pas du siège de la télévision nationale.

Les voitures sont la cible privilégiée des voleurs, qui attendent que les propriétaires aient fait le plein pour dérober les véhicules. "Ce matin, il y avait des files de 500 mètres pour approvisionner les voitures en essence", raconte Bertrand.

Les étrangers évacuent peu à peu les zones de rassemblement sous protection française qu’ils avaient gagné au plus fort de la crise. Catherine, Française qui vit à Abidjan depuis six ans, reconnaît que "la peur reste là, les réflexes aussi, mais il faut reprendre le rythme habituel". Malgré l’insistance de sa famille et de ses amis restés en France, elle a refusé de quitter la Côte d’Ivoire.

UN CHANTIER IMMENSE

Une équipe de la Croix-Rouge continue d’arpenter les rues pour évacuer les cadavres. Les hôpitaux sont toujours débordés, et "les besoins en matière de soins sont encore très difficiles à évaluer sur Abidjan", explique Lucile Grosjean, porte-parole d’Action contre la faim. "Ce qui est sûr, c’est que la crise est durable, beaucoup d’agriculteurs dans les campagnes n’ont pas pu cultiver leurs champs. On s’attend à six mois très difficiles, au moins."

Pour inciter les Ivoiriens à reprendre leur vie, la télévision TCI, symbole du nouveau pouvoir, a annoncé que les écoles de Côte d’Ivoire rouvriront le 26 avril. La chaîne a aussi confirmé la reprise de l’exportation du cacao, dont le pays est premier producteur mondial.


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le samedi 16 avril 2011

 

DANS LA MEME RUBRIQUE