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Les fantômes de Duékoué, un défi pour M. Ouattara


LeMonde | 13.04.11 |

Duékoué (Côte d’Ivoire), Envoyé spécial - Du village de Niambli, à 3 kilomètres de Duékoué, il ne reste que quelques pans de murs en torchis calcinés. Aucune âme qui vive. Après le énième barrage des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) du président Alassane Ouattara ; une fois passé devant la base de casques bleus de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), le même spectacle est visible dans les faubourgs de Duékoué depuis la route nationale. Le quartier du Carrefour à l’entrée de cette ville de 90 000 habitants, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, proche du Liberia, riche en café, bananes et cacao, est lui aussi une zone fantôme.

Des vêtements sur le bord de la route attestent d’un exode forcé et des rebus des pillages. Niambli, le Carrefour à Duékoué. Ce ne sont que deux exemples de massacres présumés commis dans cette région à l’encontre de civils lors de l’offensive éclair des hommes d’Alassane Ouattara à partir du 28 mars.

Après quatre mois de crise postélectorale, ces centaines de morts sont embarrassants pour le nouveau président, avant même la prise de fonction de cet homme réputé intègre et modéré. Il a d’ailleurs promis de faire la lumière sur "tous les massacres" lors de son allocution télévisée, lundi 11avril, consécutive à l’arrestation, quelques heures plus tôt, de Laurent Gbagbo, le président sortant qui a préféré allumer des foyers meurtriers plutôt que de reconnaître sa défaite à l’élection présidentielle de novembre2010.

"Tous les massacres" incluent donc ceux perpétrés à Duékoué alors que la ville était sous le contrôle des FRCI. "Il faut que l’on ait le courage de les juger", confesse un de leurs colonels qui préfère toutefois conserver l’anonymat. Il ne sait que trop bien la difficulté de lutter, en général, contre l’impunité dans le pays. Que dire alors de celle des combattants des Forces nouvelles, ex-rebelles anti-Gbagbo de 2002 rebaptisés FRCI, depuis qu’ils sont auréolés du prestige des vainqueurs.

"SI JE SORS D’ICI"…

Il n’empêche, cette conquête est tachée de sang. "Au Carrefour de Duékoué, le 29 mars, des centaines d’hommes, des jeunes, ont été triés et abattus. Tués en fonction de leur origine ethnique [Guéré] parce que considérés comme des partisans de Laurent Gbagbo alors que ses miliciens avaient quitté la ville", accuse, mardi, à Duékoué, un enquêteur d’Amnesty International. Le 1er avril, un communiqué du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) affirmait déjà qu’"au moins 800 personnes, le 29 mars, auraient été tuées lors de violences intercommunautaires dans le quartier Carrefour de Duékoué".

Quelques jours plus tard, la commission des Nations unies pour les droits de l’homme rapportait d’autres témoignages attestant que "des tueries ont eu lieu lorsque les combattants soutenant le président Ouattara ont pris le contrôle de Duékoué." Mardi 12 avril, les survivants du Carrefour et de villages alentour (Diaouin, Guinglo, Dinhou, Dahe, entre autres) s’entassent par milliers (27000 selon un recensement temporaire de l’Organisation international des migrations) et dans des conditions misérables dans la concession de la mission catholique de Duékoué, protégés par des blindés de l’Onuci. "Palud, diarrhées, blessures par machettes et balles sont les pathologies les plus fréquentes mais nous craignons surtout une épidémie de choléra à l’approche de la saison des pluies", s’inquiète un coordinateur de Médecins sans frontières.

"La seule satisfaction est que le nombre de déplacés arrivant décroît ces derniers jours", observe le Père Cyprien, le chef de la mission catholique. Mais comment convaincre les déplacés de rentrer chez eux ? "Ma maison au Carrefour a été détruite par les hommes de celui qui voulait le pouvoir [pour ne pas citer Alassane Ouattara] et si je sors d’ici je serai tué comme un poulet", affirme Julien, un père de famille Guéré originaire de Duékoué.

"EN UNIFORME OU EN CIVIL"

Les propos entendus, à quelques centaines de mètres de là, dans la maison d’une victime, illustrent toute la difficulté qu’il y aura à réconcilier les communautés dans cette région agricole et d’immigration rongée par les litiges fonciers. Konate Idriss, 43 ans, était Malinké (ou Dioula). Il était l’imam du quartier et a été exécuté dans la matinée du lundi 28 mars, ainsi que son beau-père Siriki Samassi, 79 ans, d’une balle dans la tête, dans la cour de la maison par des miliciens Guéré de Laurent Gbagbo.

"Ils avaient pris notre quartier d’assaut quelques heures avant. Ici, ils ont tué ma famille et volé tous nos biens. Ils sont chez eux mais c’est nous qui avons fait la ville et tenons tous les commerces. Quand ils sont venus, en uniforme ou en civil, ils criaient : vous, les Dioula, sortez, on va tous vous tuer, où sont les hommes ?" se souvient Moussa Samassi. Il ne doit la vie qu’à l’arrivée dans la ville, le même jour dans l’après-midi, des troupes d’Alassane Ouattara qui mirent en déroute les miliciens.

A écouter Moussa Samassi, mais également des gendarmes, les tueries du lendemain au Carrefour, alors que les combats entre militaires avaient cessé, ne seraient que le retour de malheurs ancestraux. "Les Guéré sont les plus sanguinaires du pays, lâche Moussa Samassi. Et des miliciens ont trouvé refuge à la mission catholique. Mais je suis en deuil et je dois contenir mes émotions." Dans les maquis de la ville, en revanche, on se réjouit ouvertement de l’arrestation de Laurent Gbagbo et de la tournure des événements. "La ville est propre ! Nos enfants [les FRCI] sont là." La réconciliation sera difficile. "Ce n’est pas à moi de la faire, dit Moussa Samassi, c’est à Alassane Ouattara." Christophe Châtelot


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 14 avril 2011

 

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