Slate.fr - 20 November 2009 - Par Pierre Malet
La santé de Mandela a longtemps été un sujet tabou en Afrique du Sud. Mais elle l’est de moins en moins. A 91 ans, l’homme qui a mis fin de façon pacifique à l’apartheid est très affaibli. L’ex-boxeur de Soweto, le guerrier Xhosa et le grand danseur qui ne manquait jamais d’esquisser quelques pas de danse lors de ses meetings politiques n’est plus le même homme. Ses rares visiteurs aperçoivent désormais une frêle silhouette qui s’appuie fermement sur sa canne. L’ancien avocat, le brillant orateur [2] a des trous de mémoire de plus en plus fréquents.
De Johannesburg au Cap, la rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre, Madiba, le surnom affectueux que lui ont donné les Sud-africains, serait au bout de la route. Ces inquiétudes sont alimentées par le fait que Nelson Mandela a récemment renoncé à plusieurs rencontres officielles. Son entourage vient d’ailleurs d’annoncer qu’il allait désormais se consacrer à sa famille et se retirer de la vie publique. Les médias internationaux, à commencer par le Herald Tribune [3] se sont emparés de l’affaire. Les rumeurs sont si insistantes que sa fondation a dû publier un communiqué indiquant qu’il allait « aussi bien que l’on puisse l’espérer pour un homme de 91 ans [4] ».
Les médias de Johannesburg abordent la question en termes extrêmement pudiques. En Afrique du Sud, Mandela est une légende dont personne ne veut envisager la fin. Pourtant, même le célèbre dessinateur Zapiro [5] n’a pu éluder la question. Dans un dessin intitulé « l’ère Mandela », il représente un soleil à l’effigie de Madiba. Un couple assiste au coucher du soleil en pleurant. Voila qui en dit long sur les sentiments des Sud-africains.
Mandela, totem sud-africain
Pour eux, Mandela n’est pas simplement le « génie politique » qui a réussi à éviter une guerre civile en Afrique du Sud. Un homme qui a passé 27 ans en prison [6] par la faute du régime d’apartheid [7] et qui a fini par négocier avec ses ennemis. Un homme qui n’a pas cherché à se venger de ses anciens bourreaux [8], mais qui a, au contraire, posé les bases d’une société multiraciale où tout le monde peut vivre en bonne intelligence. Dans la « nation arc-en ciel » voulue par Mandela toutes les communautés ont leur place : les Blancs, les Noirs, les métis, les Indiens et les Chinois.
« La pensée de Mandela est le ciment qui unit l’Afrique du Sud, explique Mondli Makhanya, du Sunday Times sud-africain [9]. Plus il vieillit, plus il s’affaiblit, plus proche est l’inévitable, et nous avons tous peur de ce moment. D’abord parce que nous l’aimons, ensuite parce que nous ne savons pas qui va nous fédérer après lui ».
Mandela est l’homme qui a rassuré les Blancs, celui qui leur a permis d’accepter la fin de l’apartheid. Il parle d’ailleurs très bien l’Afrikaans. Une maîtrise linguistique qui a joué un rôle majeur dans son dialogue avec les dirigeants du régime d’apartheid. En même temps, il avait une légitimité politique telle que son dialogue avec les Blancs ne pouvait pas être perçu comme une trahison par les autres dirigeants de l’ANC (Congrès national africain).
Une fois élu, en 1994, il a exercé une présidence modeste. Il a refusé d’effectuer un second mandat. Un fait très rare en Afrique où les dirigeants politiques ont tendance à espérer la présidence à vie. Lors de son mandat, la priorité absolue de Madiba a été d’assurer l’unité nationale. De donner notamment des gages aux Blancs pour éviter qu’ils ne fuient le pays. Ainsi, il a pu consolider l’économie sud-africaine.
Mandela a également été le premier dirigeant sud-africain a évoquer ouvertement le drame du Sida . Il a révélé en 1998 que l’un de ses fils avait été tué par le HIV. Une confession qui a bouleversé le pays et a permis d’ouvrir un vaste débat. L’Afrique du Sud était déjà à l’époque le pays qui comptait le plus grand nombre de séropositifs. Thabo Mbeki, le successeur de Mandela, arrivé au pouvoir en 1999, n’a pas fait preuve de la même clairvoyance. C’est le moins que l’on puisse dire. Il a longtemps refusé de s’attaquer sérieusement à cette « tragédie nationale ». De par l’attitude irresponsable de son président, la « nation arc-en-ciel » a pris un retard considérable dans le traitement du Sida .
Plus de contre-pouvoir
Mandela restera aussi comme un adversaire farouche du tribalisme. Il compte des amis très proches dans toutes les communautés. Il n’a jamais été prisonnier d’alliances ethniques. A cet égard, il apparaît comme « l’anti-Zuma ». Le nouveau président, Jacob Zuma, élu en 2009 [10], s’est appuyé sur le soutien de l’ethnie zouloue pour prendre le pouvoir au sein de l’ANC. Et pour se faire élire à la tête de l’Afrique du Sud. Il développe un discours extrêmement populiste qui n’inquiète pas seulement les conservateurs. Le nouvel « homme fort » se montre très virulent vis-à-vis des juges et des médias qui osent le critiquer.
Nombre d’intellectuels sud-africains pensaient que Jacob Zuma ne parviendrait pas à prendre le pouvoir. Jugé pour corruption et viol d’une jeune femme séropositive [11], il partait avec un lourd handicap dans la course à la Présidence. Mais Zuma est un « animal politique » qui ne se laisse pas abattre facilement. Ayant placé ses hommes aux postes clés de l’ANC, il est bien installé au pouvoir.
Aujourd’hui il inquiète jusqu’à des intellectuels blancs qui ont participé la lutte contre l’apartheid. Ainsi l’écrivain André Brink, proche de Mandela [12], considère l’arrivée au pouvoir de Zuma comme une catastrophe [13]. Maintenant que Madiba ne fait plus entendre sa voix, André Brink se demande comme beaucoup, qui pourra servir de contre pouvoir. Avec la fin de l’ère Mandela, la Nation arc en ciel va perdre sa conscience morale. A quelques mois de la Coupe du monde, l’Afrique du Sud tourne une page. Elle entre dans une nouvelle ère. Une ère d’incertitude et de grande inquiétude.
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