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Malades étrangers : "Si l’on me chasse en Afrique, c’est pour mourir"


L’Express - Julie Brafman, le 08/02/2011 - Alors qu’un amendement au projet de loi immigration, intégration et nationalité pourrait, s’il est voté, restreindre le droit au séjour des étrangers pour raisons médicales, LEXPRESS.fr est allé au-devant de ces malades qui vivent et travaillent en France.

"Lorsque l’on se noie, on s’accroche même aux serpents", dit un proverbe camerounais. Sourire aux lèvres mais regard épuisé, Alain (1) évoque le dicton de son pays natal pour raconter sa vie en France. Dépisté positif au Sida   il y a quatorze ans, cet ingénieur de 51 ans est arrivé dans l’Hexagone en 2003 car "c’était la seule solution pour continuer à vivre". Cette année-là, il laisse derrière lui une famille de cinq enfants, dont la petite dernière, aujourd’hui âgée de 13 ans, née peu avant son départ. "Aucun des traitements essayés au Cameroun ne marchait", explique-t-il d’une voix calme. Comprendre la bataille parlementaire sur le droit de séjour pour raisons médicales

Cet homme au visage doux mais creusé par la fatigue revient sur les étapes de son périple du Cameroun à Paris. D’abord, il y a eu un partenariat hospitalier, le programme Esther, pour se rendre dans la capitale française et effectuer des tests. Une fois sur place, il suit une quadrithérapie tout en jonglant avec des petits boulots. Hébergé par des compatriotes et aidé par des associations, il tente de garder espoir. Après tout, son cas n’est pas isolé : sur les 28 000 étrangers atteints d’une maladie grave qui se font soigner en France, environ 18% souffrent du VIH  , selon l’association Aides.

"Enjeu électoraliste"

"Ne pas renouveler leurs titres de séjour c’est condamner ces personnes à la précarité si elles restent en France et à la mort si elles sont expulsées vers leur pays", souligne Adeline Toullier de Aides. "L’amendement déposé à l’Assemblée Nationale et au Sénat n’a qu’un enjeu électoraliste. C’est une absurdité financière car les coûts se répercuteront sur l’aide médicale d’Etat et une absurdité pour la santé publique car le traitement pour le VIH   permet à une personne de se soigner mais aussi de protéger les autres."

A chaque pas, le corps d’Alain chaloupe sous le poids de la maladie mais sa combattivité, elle, ne tremble pas : "ce n’est pas aux étrangers malades qu’il faut s’attaquer mais au Sida   !", répond-il, désabusé, lorsqu’on l’interroge sur le projet de loi examiné au Sénat. Depuis 2003, à intervalle régulier, la même épreuve se répète pour lui quand il s’agit d’obtenir un titre de séjour : "Les places sont limitées. Il faut donc s’aligner dans la nuit pour faire la queue devant la préfecture afin d’obtenir un nouveau coupon". En 2005, il obtient pour la première fois un droit de séjour temporaire valable un an.

"Ces dernières années, l’attente s’est prolongée pour les patients, confirme le docteur Mathieu Lafaurie, en poste depuis dix ans au service des maladies infectieuses de l’Hôpital Saint-Louis. On suit beaucoup de personnes atteintes du VIH  . On rédige un certificat qui sera ensuite examiné par un médecin de la préfecture. Il lui revient de déterminer si le patient peut bénéficier ou non d’un titre de séjour pour se faire soigner."

La vie d’Alain est en permanence suspendue au renouvellement de son titre. Actuellement employé par la Ville de Paris, il habite un logement social. "C’est difficile de joindre les deux bouts", confie-t-il. Sa quadrithérapie est prise en charge par la sécurité sociale mais pas les effets collatéraux tels que les troubles du sommeil ou la lipodystrophie (déplacement des graisses vers le ventre dans son cas). "On ne peut jamais dire : demain je vais bien me réveiller", raconte l’ancien ingénieur. Il n’a qu’une seule certitude : "si l’on me chasse en Afrique, c’est pour mourir".

"Ca la rend malade"

Comme lui, Nadia, une mère de famille, est venue du Cameroun pour se faire soigner. Militante active contre le Sida   depuis douze ans dans son pays d’origine, cette femme de 45 ans vient à peine de débarquer à Paris. Entre le débat sur les titres de séjour, les procédures pour bénéficier de l’aide médicales d’Etat, la maladie, le déracinement, la précarité et l’incertitude, Nadia semble submergée. Ses yeux noisette paraissent déterminés mais son visage est éteint : "J’ai quitté ma fille et mon pays, non par choix mais pour rester en vie, assure-t-elle. Je ne viens pas en France à l’aventure. J’ai passé l’âge de ce genre de choses !".

Selon Arnaud Veïsse, directeur du Comité médical pour les exilés, l’immigration thérapeuthique ne représente qu’une "une petite minorité" des cas. "Les maladies sont souvent détectées lorsque les étrangers vivent déjà en France." C’est le cas, par exemple, de Tamara. Arrivée en France il y a dix ans, cette tchadienne de 35 ans était venue suivre des études de secrétaire-comptable. Au cours d’un examen médical, elle a été dépistée positive au Sida  . La jeune femme vit, depuis deux ans, dans le Sud de la France avec Marc, également séropositif. Son compagnon se plie, "sidéré", au rythme administratif qui régit désormais leur quotidien : "Tous les trois mois, Tamara doit renouveler le récépissé de son titre de séjour. Tous les trois mois, sa vie est remise en question et donc la mienne aussi". "Ca la rend malade, elle angoisse, la peur au ventre."

Tamara attend le renouvellement de son titre de séjour pour entreprendre une formation d’aide-soignante et n’imagine pas repartir au Tchad, où elle n’aurait pas les moyens d’accéder à un traitement. "Elle a effectué un sacré parcours en France et aujourd’hui, elle est pleinement intégrée. Le discours actuel est vécu comme une injustice !", raconte Marc au nom de sa compagne qui redoute de s’exprimer.

Tandis que des députés et sénateurs débattent d’un cinquième projet de loi sur l’immigration en sept ans, Alain, Tamara et Nadia, eux, s’accrochent un peu plus fermement "aux serpents".

(1) Les prénoms ont été modifiés


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 9 février 2011

 

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