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La fille publique, de Cheyenne Carron

Un film dédié aux enfants pupilles de l’Etat français


OSI Bouaké - 29 mai 2013 - SD -

Un article pour attirer l’attention sur un film réalisé par une jeune femme qui le dédie "aux enfants pupilles de l’Etat français". Il s’agit d’une fiction fondée sur sa propre histoire... C’est suffisamment exceptionnel pour être salué !

Retrouvez une interview avec Cheyenne Carron ci-dessous...

Bande Annonce :


LA FILLE PUBLIQUE - BANDE ANNONCE 1 - Un film... par Che-Carr

Un extrait :

  • La Fille publique , de Cheyenne Carron, France, 2h13, avec Doria Achour, Anne Lambert, Joël Ravon, Almaz Papatakis, Tristan Gendreau, Ulysse Pillon. Sortie le 12 juin 2013.

Cheyenne Carron réalise un film superbe sur la famille

Toute la culture.com - 26 avril 2013 - Par Olivia Leboyer -

Un très beau film autobiographique sur la filiation, le sens de la famille. Yasmeen, placée dans une famille d’accueil merveilleuse, désire porter le nom des Carron et choisir librement sa vie.

En prologue, une scène de jeu, joyeuse, entre un père et sa floppée d’enfants. Le tableau a quelque chose d’idyllique. C’est presque le cas. Les Carron ont quatre enfants (puis cinq), dont les statuts diffèrent : l’un, François, est leur fils biologique (un second bébé, Juliette, naîtra des années plus tard), un autre, Esteban, leur fils adoptif, et les deux filles, Iman et Yasmeen, ont été placées chez eux par la Dass. Leurs « géniteurs » n’ayant pas rempli les papiers nécessaires, elles ne peuvent pas être adoptées pour l’instant.

Toute son enfance, Yasmeen gardera dans un coin de sa tête la peur panique d’être, du jour au lendemain, arrachée à sa famille d’accueil. Cette famille, elle y est profondément, viscéralement, attachée. Avec sa mère, Agnès, la relation est très forte, presque animale. Même si elle a grandi, Yasmeen (incarnée par Doria Achour, bouleversante de naturel) se blottit toujours contre elle, pose sa tête sur ses genoux, lui mord la main, dans des scènes proches de tableaux bibliques. Agnès (Anne Lambert, resplendissante) ressemble, par instants, à une pieta. Agnès étant croyante, Yasmeen se sent, elle aussi, attirée par la religion, par la grande famille des catholiques. Par l’école et sa discipline aveugle aux singularités, non. Yasmeen sèche les cours, traîne avec ses copines, et passe le temps en regardant film sur film. C’est son père (Joël Ravon, excellent) qui l’a initiée aux mystères du cinéma, en lui faisant découvrir la belle Ginette Leclerc, l’inquiétant Noël Roquevert, ou encore les films de Clouzot. « Oublier ce qu’on a appris pour apprendre à rêver », cette réplique frappe la jeune fille, qui décide que ses rêves seront grands. Rêves de cinéma, rêves de famille, qui trouvent dans La Fille publique leur belle assomption. Car l’histoire est autobiographique. Yasmeen, c’est Cheyenne Carron, avant qu’elle acquière enfin son nom. Dans un cinéma, elle rencontre une jeune fille qui rêve de devenir actrice (Agnès Delachair, apparition-clin d’œil au précédent film de Cheyenne Carron, Ne nous soumets pas à la tentation, dont un extrait apparaît fugitivement : Jean-François Garreaud, hagard, sur une route). Pour la première fois, Yasmeen confie à quelqu’un son désir de création : et si le désir est suffisamment fort, pourquoi les choses n’arriveraient-elles pas ? Energique, obstinée, fière, Yasmeen, se bat, se heurte aux autres, cogne aux portes fermées, sans jamais se résigner, sans lâcher cette colère régénératrice.

Une fois déclarée pupille de la nation, Yasmeen doit encore attendre : sa sœur refuse de se lancer immédiatement dans la procédure pour être adoptée par les Carron et, surtout, leur « génitrice » est réapparue et souhaite reprendre ses filles. Iman envisage de la connaître mieux. Mais Yasmeen ressent une peur, un dégoût, très violents. Ses attaches sont fermement ancrées dans cette maison à la campagne, avec ses parents aimants et ses frères et sœurs. Un amour puissant, une complicité réelle lie ces sept personnes, et la loi n’a rien à voir là-dedans. Pourtant, la conquête du nom et de la reconnaissance officielle prend une place croissante dans la vie de Yasmeen, qui ne peut avancer, se construire, tant que tout n’est pas résolu. Avec le choix du prénom, guerrier et fraternel (pour se lier davantage à son frère Esteban), Yasmeen conquiert sa liberté en devenant, enfin, Cheyenne Carron.

Filmé avec pudeur, naturel et bienveillance, La Fille publique est un grand et beau film sur l’amour et la famille.


Interview de Cheyenne Carron

Réalisée par Eric COUBARD

Après avoir écrit plusieurs scénarios et tourné plusieurs films, tu te décides de porter à l’écran ton histoire personnelle. Pourquoi ce choix, maintenant ? J’ai pensé que mon parcours de vie était assez original pour en faire un film. C’est une manière d’imprimer ces années-là, quelque part. Je désirais laisser une trace de ma jeunesse. Une jeunesse, disons inhabituelle.

« La Fille Publique », le titre de ton nouveau long-métrage, narre l’abandon de tes parents à ta naissance et ton parcours avec ta famille d’accueil. Il y a beaucoup d’empathie pour les enfants abandonnés, parfois même de la pitié. Moi, je considère cet abandon comme la plus grande chance de ma vie. Je ne peux pas imaginer avoir d’autres frères et sœurs, et d’autres parents, que ceux que j’ai. J’ai beaucoup d’amour pour mes grands-parents, et un des liens très fort à mes cousins.

Ça n’a pas dû être simple de trouver la comédienne pour jouer ton rôle...? Doria Achour est une grande comédienne. Elle a une mélancolie qui lui vient de je ne sais où, mais qui était parfaite pour le rôle. Doria a un mélange de grâce et de révolte, qui la rend ultra cinématographique. Ça a été un bonheur pour moi de la diriger et de la filmer. Elle a un talent rare, parce qu’elle bouleverse sans faire grand-chose.

La mère, Anne Lambert, est aussi incroyable dans le film ! Au début de la préparation du film, une comédienne « connue », devait jouer ce rôle malgré le fait qu’il n’y avait pas de budget. Mais un jour, en allant faire des courses dans mon supermarché, je me suis mise à discuter avec une femme rêvait de devenir comédienne. Quelques semaines plus tard, je l’ai fait venir pour donner la réplique à un comédien. J’avais dans l’idée de lui donner un petit rôle. Et lorsqu’elle a donné la réplique, elle m’a bouleversée. J’étais émue par sa vérité, par ce qu’elle dégageait ; c’était un jeu très pur, sans fioriture. Alors j’ai finalement donné le rôle de ma mère à Anne Lambert, ancienne comptable qui rêvait de devenir comédienne.

Qui sont tes parents adoptifs ? Je suis vraiment tombée dans une famille idéale. Ma mère est une ancienne institutrice et mon père un ancien maçon. Nous sommes cinq enfants. Il y a des enfants adoptés et des enfants biologiques. J’ai un petit frère handicapé. Il existe un lien très fort entre nous. Nous nous aimons et nous nous adorons plus que tout. Le mot famille prend tout son sens ici.

Le film met en avant l’attachement incommensurable qui te lie à ta mère. Je n’ai qu’un seul modèle dans la vie, c’est elle. Ma mère est un être exceptionnel de vérité, de bonté et de générosité. Je n’arriverai jamais à la cheville de ma mère.

Le personnage de Yasmeen est en souffrance tout au long du récit. Elle lutte pour trouver sa place dans la société ou trouver sa raison de vivre dans ce monde. Cependant, son plus grand combat n’est-il pas d’être reconnue comme étant la fille ‘officielle’ de la famille Carron ? Mes géniteurs ont d’abord abandonnés ma sœur à l’âge d’1 an. Puis, deux années plus tard, ils m’ont abandonné, j’avais 3 mois. La DDASS nous a placés dans la même famille, les Carron. Mes géniteurs n’ont pas fait les papiers nécessaires pour une éventuelle chance de seconde vie. Nous nous sommes donc retrouvées démunies de toute espérance d’être adoptées. Ce fut très dur. Nous étions des enfants différents des autres, et nous en avons beaucoup souffert. J’ai vécue toute mon enfance avec quelque part la peur que des inconnus viennent me reprendre à ma famille. Et j’ai dû subir toute mon enfance et mon adolescence des assistances sociales qui me rappelaient que je n’étais pas la fille officielle de mes parents.

Pour ma mère aussi ça a été très difficile. Aimer des enfants, les éduquer et qu’on lui dise régulièrement qu’un jour ils seront enlevés de sa famille. Ça a été une épreuve pour mes parents et pour mes autres frères et sœurs. Cette situation, a créé entre ma mère et moi un amour inaliénable, absolu et indéfectible. Je crois qu’on a réagi ainsi par compensation ! Et puis, un jour j’ai été déclarée pupille de l’Etat. J’avais 11 ans. J’étais sauvée !... plus personne ne pouvais m’enlever de ma famille. Franchement, avec du recul, je me dis qu’il aurait été plus responsable de la part de mes géniteurs qui fassent en sorte que je sois adoptée bébé, ça aurait un acte généreux envers moi et ça m’aurais évité beaucoup, beaucoup, d’angoisse et de mal être.

On voit ta « génitrice » faire irruption dans ta vie lorsque tu avais 17 ans pour te récupérer. Ça a été un véritable enfer, car c’était la pire chose qui puisse m’arriver. Elle m’a abandonnée avec la même violence qu’elle est réapparue. Cette femme avait toujours eu un comportement anormal. Elle m’a rejetée dès ma naissance. Je suis arrivée au monde traumatisée par ce rejet. J’ai souvent été hospitalisée, bébé, à cause de cela. Vers l’âge de 17 ans, cette « inconnue » a fait irruption dans ma vie pour tenter de m’arracher à ma famille. C’était irréel et impensable. Elle s’est mise à me harceler. Elle a même appelé ma mère, et a poussé son délire en lui reprochant de ne pas m’avoir fait faire d’études... Cette femme est allée très loin dans l’horreur. Abandonner ses enfants ne lui a pas suffi, il a fallu qu’elle s’acharne sur moi. Pour moi, c’était comme un fantôme qui revient hanter ma vie, ça a été une épreuve terrible.

Puis, elle a disparue ? Oui, heureusement, elle a fini par me respecter et respecter ma famille et je l’en remercie.

Après cette expérience, je suis convaincue que Dieu m’a fait naitre d’un ventre qui m’a rejeté pour avoir la joie de renaitre auprès d’une mère douce, bonne et aimante. Ma mère a placé tout son amour et sa confiance en moi. Ma mère m’a parlé toute mon enfance du "pardon". Alors je pardonne les souffrances énormes que cette femme m’a faits supporter, et je lui souhaite sincèrement de trouver la paix et l’amour, et de définitivement tourner la page de cette histoire, si ce n’est pas déjà fait. Chacun trace sa propre route, et se fait son destin c’est ce que j’essaie de faire dans ma vie. Pour moi, l’histoire de ma génitrice est une page définitivement tournée.

Et puis, à part les angoisses liées à ma situation, j’ai quand même eu une enfance rêvée. Mes grands-parents étaient paysans, je passais souvent mes vacances chez eux en Ardèche avec mes cousins. Nous donnions à manger aux animaux, nous ramassions les œufs des poules, nous cueillions les cerises que mon grand-père vendaient à la coopérative. Mon grand-père faisait son vin, et nous l’aidions. A la maison, il y avait beaucoup de culture. Dès notre plus jeune âge, ma mère nous inscrivait toujours à des ateliers de poteries, de dessin, de musique, pour développer notre sens créatif. Avec mes parents, nous visitions d’innombrables musées et châteaux, et ça depuis notre plus jeune âge. Ma mère, je l’ai toujours vue, un livre à la main. J’ai eu des repères magnifiques, des repères de traditions et de culture, qui m’ont aidés à me construire. C’était les repères d’une famille modeste Française et Catholique.

Et ton père biologique, tu le connais ? Il est venu nous voir, quatre ou cinq fois ma sœur et moi, lorsque nous étions petites. Je ne me souviens plus vraiment de son visage, mais je me souviens qu’il amenait des bonbons et des gâteaux. Je me souviens aussi que c’était un homme très respectueux de mes parents.

Dans le film, tu expliques qu’il a fini sdf. Un jour, il a cessé de nous rendre visite. Des années plus tard, je me promenais en ville avec ma mère et mon petit frère, je devais avoir 5 ans, et nous l’avons vu assis par terre, il faisait la manche. Nous sommes allées le saluer, et c’est la dernière fois de ma vie que je l’ai vu.

Lui, n’a plus jamais réapparu... Vous savez cet homme était généreux, et soucieux de notre bonheur. Je pense que c’était un homme qui avait compris que j’étais pleinement la fille de mes parents. Et je pense qu’avant son propre bonheur, il était soucieux du bonheur des enfants qu’il abandonnait. Aujourd’hui, il ne serait pas du genre à se manifester dans ma vie. Cet homme a toujours respecté ma famille. C’était un homme de condition hyper modeste, mais extrêmement délicat et raffinés dans ses manières. Mon géniteur est un homme bon, pour qui j’ai un souvenir apaisé. Néanmoins il ne sera jamais mon père.

D’ailleurs qui est ton père ? Un homme génial. Un Savoyard. Un homme droit et courageux. Mon père m’a transmis son goût pour le cinéma. Dans mes grands moments de doutes, mon père m’a montré la voie du courage et de la persévérance. Mon père n’a pas eu une vie facile, mais il vient d’une grande famille où la notion de courage était importante. J’ai un lien très fort à mon père.

Tu m’as parlé d’un petit frère handicapé. Il est arrivé à la maison lorsque j’avais 5 ans. Avec ma grande sœur et mon autre frère, nous l’avons tout de suite adoré. C’était un enfant très beau, un indien Maya. Il venait du Guatemala. Il est arrivé à la maison à deux mois et demi. Les années ont passé joyeusement, lorsqu’on a découvert sa surdité. On l’a tous protégé, chacun à notre manière. Moi je me prenais un peu trop pour sa maman !

Ce handicap   a-t-il été une difficulté de plus à gérer ? Je n’ai pas du tout le souvenir que ça a été compliqué à gérer pour ma famille. Ma mère voulait adopter un enfant trisomique, alors je crois que pour elle, l’approche de l’handicape n’est pas un problème.

Lorsqu’on a su notre petit frère était sourd, nous avons tous pris des cours de langage gestuel. Surtout ma mère. Elle a passé beaucoup, beaucoup de temps, à apprendre au mieux cette nouvelle langue. Je me souviens qu’elle préparait des cahiers pour mon petit frère afin qu’il apprenne le vocabulaire, les noms etc. Elle faisait des photos qu’elle collait sur un cahier avec les mots. Mon frère les apprenait à son rythme.

Que notre frère soit sourd n’était pas un problème pour nous. On communiquait parfaitement avec lui. Le véritable problème est arrivé lorsqu’il a été scolarisé et qu’il devait partir très loin de la maison, en internat, afin de suivre des cours dans des écoles spécialisées. Ça a été une grande déchirure pour la famille. Mon frère vivait cela comme un abandon, à chaque fois. Les souvenirs de ses départs de la maison sont restés toujours douloureux pour ma famille et pour moi. On peut rendre grâce à mes parents. Ils ont eu raison d’opter pour cette voie qui a permis à mon frère de côtoyer d’autres enfants sourds. Ainsi, il a décroché un diplôme de soudeur, et il vit de ce travail.

On voit ton personnage aller en voiture jusqu’à Marseille pour lui rendre une visite surprise. Oui, c’est exactement ce que j’ai fait. Je voulais montrer à mon petit frère que je pensais fort à lui. Alors je lui ai fait cette surprise. Il était heureux de me voir et moi aussi… Ses professeurs un peu moins.

Tu viens d’une famille Catholique pratiquante, et il est question de religion dans ton histoire, notamment sur le baptême… Lorsque j’étais enfant, mes parents n’avaient pas le droit de me faire baptiser à cause de ma situation terrible d’enfant placée en « famille d’accueil ». Alors chaque dimanche, à la messe, je restais sur le banc de l’église, avec ma grande sœur, pendant que les autres membres de ma famille allaient communier. Souvent, même si c’était interdit, je demandais à mes frères de partager leur hostie avec moi.

Dans le film, on voit Yasmeen demandait à être baptisée des mains de sa mère ? A l’adolescence, je voulais recevoir le baptême des mains de ma mère, car c’est elle qui m’avait montré le chemin de Dieu. Et pour moi, Dieu, ma mère et moi, c’était un trio cohérent !

Bien sûr, ma mère qui respecte les règles de l’église, a refusée.

Aujourd’hui, j’ai 36 ans, j’ai fait le choix des adultes de recevoir le baptême. Je suis catéchumène. Je serais baptisée en 2014, des mains d’un prêtre. Ma mère fait partie de mon équipe d’accompagnement, et nous partageons ces moments de joie de ma préparation au baptême !

Pourquoi voit-on, dans une des scènes, un drapeau français dans la chambre de ton héroïne ? Lorsqu’on est pupille de l’Etat, telle était ma condition jusqu’à mes 19 printemps, un lien indéfectible te lie à la France. C’est difficile à expliquer. Lors de toutes mes rentrées scolaires, je ne pouvais pas mettre le nom de mes parents, mais l’indication « Pupille de l’Etat ». Du coup j’ai grandi avec la conscience d’être une fille de la République Française. Les enfants dits « normaux » ne ressentent peut-être pas toujours ce lien qui les unit à leur pays.

Te sens-tu redevable envers quelqu’un, quelque chose ? Pas du tout. C’est plus important et intime que ça. « Redevable » c’est pour un service rendu, mais là nous parlons d’une dimension bien plus profonde. Prends l’exemple de mes parents : ils m’ont aimée, protégée et éduquée. Comme si j’étais leur fille de sang. Je ne me sens pas redevable, c’est plus puissant et métaphysique que cela : ils font partie de moi pour toujours. Et bien avec la France, il y a un peu de ce sentiment-là.

L’adolescence est généralement une période délicate à gérer. Comment l’as-tu vécue ? Je n’y ai pas échappé, ce fût le moment le plus douloureux de ma vie. À 16 ans, j’étais très mal dans ma peau. J’ai fait beaucoup de conneries. Je ne respectais aucune règle…sauf les miennes. J’ai été mise dans un foyer d’urgence. Il n’y avait que des jeunes à la dérive, des suicidaires, des paumés de la vie. Je me suis débrouillée pour avoir mon propre studio, un mois après mon arrivé au foyer. J’avais du tempérament à revendre.

As-tu gardé des relations avec ces camarades de jeux ? Non. J’ose espérer que certains d’entre eux ont pu s’en sortir, d’autres ont dû finir dans la rue. Il y a un pourcentage élevé de jeunes de la DDASS qui finissent SDF.

Après avoir quitté le foyer d’urgence, tu as possédé un appartement. Tu faisais des études ? J’allais rarement en cours, on m’avait mise dans une filière qui préparait à un CAP de secrétaire. Je me fichais totalement des cours. Je sortais beaucoup la nuit, et passais des journées entières à regarder des VHS.

Tu pensais déjà au cinéma à cette époque ? Non. J’aimais énormément regarder des films, mais moi mon idéal c’était la Légion. Parce que je cherchais la discipline, parce que je voulais changer d’identité et parce que j’avais un amour profond pour mon pays.

Tu voulais entrer dans l’Armée !!??? Absolument. À Valence, il y avait, à côté de chez moi, la caserne des militaires Latour-Maubourg. Je passais presque chaque jour devant pour aller au centre-ville. Un jour, j’ai poussé la porte. Je voulais m’engager dans la Légion. Je savais que là on pouvait repartir à zéro. On pouvait y trouver une nouvelle identité. Des militaires m’ont expliqué que la Légion n’acceptait pas les femmes.

Cette nouvelle identité, quand l’as-tu trouvée ? Ce fut un grand événement. Lorsque j’ai enfin pu être adoptée à ma majorité, j’ai immédiatement annoncé à ma famille que j’allais aussi changer de prénom. Comme je l’ai dit, mon petit frère adoré est un indien Maya. J’ai voulu tisser un lien naturel avec lui. J’ai cherché un prénom qui fasse référence aux Indiens. Je sondais dans les livres des prénoms : mais rien ne me parlait. Un jour, je suis tombée sur la VHS du film de John Ford, Les Cheyennes. J’ai su immédiatement, que mon identité était là. Je me suis choisi mon identité, comme je me suis choisi mon destin.

Il y a peu de rapport entre les Mayas et les Cheyennes ! Peu importe. Dans ma tête de jeune fille de 20 ans, « Cheyenne » était un joli prénom, et faisait référence aux Indiens. Ça me suffisait pour rendre hommage à mon frère chéri et répondre à mon besoin d’être connectée à lui en permanence.

Et ton petit frère, comment a-t-il réagi ? Il m’a dit que j’étais dingue ! Mais dans le fond, il sait que c’est la plus belle preuve d’amour que je lui ai offerte. Symboliquement, j’ai mêlé mon histoire à la sienne.

Et tes autres frères et sœurs ? Ma famille m’adore et j’adore ma famille. Même s’ils ne me comprennent peut-être pas toujours, ils respectent mes choix.

Pourquoi était-ce important pour toi de changer de prénom ? Je ne pouvais pas porter un prénom et un nom donnés par des gens qui m’ont abandonnée bébé. Ça n’avait pas de sens. Je me suis choisie mon identité. C’est un acte fort. Un acte qui m’a positionnée à l’endroit juste où je me trouvais. J’ai juste rectifié une situation qui me semblait injuste. Mes géniteurs m’ont abandonnée. Je me suis donné le droit à mon tour d’abandonner l’héritage d’un nom et d’un prénom qu’ils m’avaient procurés. Un nom et un prénom qui n’avaient aucun sens pour moi, qui n’étaient en rien reliés à moi.

Tes parents ont dû trouver ce choix quelque peu original… Mes parents ont respecté mes choix de vie. Ils en ont vite compris le sens. Ils ont d’ailleurs compris depuis le début, que je serais la seule décisionnaire de mon destin.

Il y a des jours heureux où un jugement t’offre le plus cadeau de la vie. Il y a eu deux jugements en fait. Le premier pour l’adoption et le deuxième pour mon changement de prénom. Lorsque mon adoption a été prononcée, j’ai enfin été la fille officielle de mes parents, j’ai pu penser à mon devenir. J’étais un membre à part entière de la famille Carron.

Ni une, ni deux ensuite, tu rejoins la capitale. J’ai rapidement décidé de monter à Paris. Pour y faire des films. Parce que le cinéma était le seul grand intérêt de ma vie à ce moment-là.

Ça n’a pas dû être facile de débarquer dans une ville où tu ne connaissais personne, et d’entrer dans le milieu du cinéma. Quand tu possèdes un passé comme le mien, ça n’est pas de monter à Paris, faire des films, qui peut t’angoisser !

Aujourd’hui, c’est ton quatrième long métrage, quel chemin parcouru ! J’ai fait preuve d’une discipline (presque) militaire !

Quels sont tes projets ? Je viens d’achever l’écriture d’un scénario qui aborde la question de la conversion d’un musulman en chrétien. Le film s’intitulera « Le musulman qui aimait Jésus ».


Le site de Cheyenne Carron, c’est ici.


Publié sur OSI Bouaké le mercredi 29 mai 2013

 

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