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Comment le "marketing santé" use et abuse des photos d’enfants

Les professionnels de la communication tâtonnent encore dans le choix des mots et du registre émotionnel de leurs campagnes de solidarité.


Huffingtonpost, Caroline Pastorelli, 7 mai 2018 -

"Bonne nouvelle : la faim est plus facile à guérir qu’à regarder"(Actions contre la faim – 2011)

jusqu’où doit aller le marketing santé ?

Aujourd’hui, 7 mai 2018, c’est la journée mondiale des orphelins du Sida  . Et personne n’en parlera. Pourquoi ?

Parce qu’il y a peu d’orphelins du Sida   en France. Parce l’"empathie kilométrique" fait que, plus les choses se passent loin, moins on s’en sent proche. Les enfants orphelins du sida   qui sont pourtant 15 millions dans le monde (principalement en Afrique subsaharienne) n’auront pas le droit de cité dans nos pays développés. Ou si peu. Faut-il s’en offusquer ? Assurément. Le traitement médiatique de l’information en décalage avec la réalité est l’occasion toute trouvée pour interroger la place et la représentation de l’enfant dans nos sociétés ainsi que les dispositifs déployés pour leur permettre de jouir d’un droit à la santé.

"21% des personnes sollicitées ne peuvent pas aider cette petite fille parce que pardon, mais là, leur métro arrive". C’est en ces termes, visuel tragique à l’appui - une enfant en mauvaise santé, sale, juchée sur un tas d’ordures, le regard malheureux et fixe -l’air de vous supplier ou de vous culpabiliser au choix- que l’ONG Médecins du Monde s’est adressée aux usagers du métro en 2015.

Vous avez dit "mauvais goût" ?

Un bébé de couleur noire, une bouille à croquer, un sourire qui l’est tout autant, visiblement en pleine santé, joyeusement suspendu dans un porte-bébé bleu, couleur de paix et de sérénité. Une image dynamique, positive, qui énonce que "Chaque enfant a le droit d’être en bonne santé".

Vous avez dit "démago" ?

Ces exemples nous montrent, si besoin était, à quel point les professionnels de la communication tâtonnent encore dans le choix des mots et du registre émotionnel de leurs campagnes de solidarité. Plus d’information : juste de l’émotion. Mais jusqu’où aller ? Quelles limites ne pas franchir ?

Les enfants en bonne santé : un bon départ dans la vie

Ils sont 2.2 milliards dans le monde.

Les 3/4 d’entre eux sont victimes de la pauvreté. 7 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année. Les ¾ de causes évitables.

Peut-on inverser la tendance ?

Oui à condition que la santé des enfants soit notre priorité. Et justement, elle l’est.

"L’enfant, c’est l’homme avant la lettre", "un ange dont les ailes ne sont pas encore tombées". En 1959, la Déclaration des Droits de l’enfant le reconnaît en tant qu’être humain. Il a désormais des droits. Mieux, "l’Humanité se doit de (lui) donner le meilleur d’elle-même" : combattre les maladies infectieuses. Lui offrir des dispositifs de vaccination. L’informer sur ses comportements à risques. Voilà les grandes lignes de son ordonnance santé. L’enfant a un droit à la santé et, selon l’Unicef, l’absence d’exercice de ce droit "constitue une injustice flagrante et une violation de ses droits.".

Partant de ce postulat, les campagnes de santé à destination des enfants sont un devoir. Mais comment leur parler ? Comment changer leur sort quand celui-ci dépend du pays dans lequel ils grandissent ? Et quelle représentation de l’enfant donne-t-on à travers le monde ? Est-elle juste ? Fidèle à la réalité ? Derrière l’enfant au sens large c’est bien des millions d’enfants et des millions de réalités qui se cachent.

Les enfants en souffrance : l’émotion marketing d’abord

Mettre en photo un enfant (plus impactant qu’un groupe d’enfants), en très gros plan, dans les couloirs de métro ou sur les flancs de bus, les yeux bien ronds comme des gros points d’interrogation jetés à l’injustice de la vie, c’est s’assurer un impact émotionnel fort pour qui veut, dans un contexte caritatif très concurrentiel, attirer l’attention du public et collecter des dons. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Oui. L’AFM Téléthon, l’Unicef et Médecins sans frontières ont récolté, chacune, 52 millions d’euros de dons en 2016. C’est dire si le choix de la photo et la taille de la typo ont leur importance sur les affiches.

Ferez-vous un don parce qu’un enfant, porteur d’espoir, vous sourit ou parce qu’un enfant pauvre, figure du malheur, vous touche ? Quelle fibre déclencher ? Quel registre choisir ? Quel sentiment faire naître ? C’est selon. Le marketing santé a ses raisons que nos raisons ignorent.

Une étude menée en 2015 s’est intéressée au bien-fondé des campagnes chocs -notamment la mise en scène de la souffrance des enfants- et leur réception. Pour mesurer l’intérêt de cette étude, notons que l’image de l’enfant habituellement projetée, notamment dans les publicités, est positive – l’enfant synonyme de pureté, d’insouciance et d’innocence. Les messages -les images d’abord, les textes ensuite- violents, dramatiques, tragiques nous confrontent à notre propre culpabilité, nos propres erreurs, nos propres manquements. Supportable ? Acceptable ? Défendable ? Oui pour le grand public, qui pour 57%, juge nécessaire d’avoir recours à des images chocs pour sensibiliser. Non pour le Conseil de l’Ethique Publicitaire, qui, en 2009, a considéré que "dénoncer des actes intolérables (...) ne justifia(ient) pas de les montrer avec toute leur brutalité". Au risque de les voir se banaliser. Au risque de les voir même attirantes pour certains esprits malades ou pervers. Au risque de choquer les publics sensibles, à commencer par les enfants.

Profusion des messages, profusion des combats

Des journées mondiales consacrées aux enfants il y en a pléthore (enfants orphelins, enfants victimes d’agression, enfants soldats, etc.) ; des associations qui défendent les enfants il y en a beaucoup aussi. Autant de messages à délivrer, d’actions de prévention à déployer sur la violence verbale, les accidents domestiques, la défenestration, les activités physiques, la nutrition, l’hygiène de vie, la sexualité, les violences, la fessée, les jeux dangereux, etc. La thématique santé des enfants ne cesse d’année en année de s’allonger. Plus que le ton des messages c’est sans doute leur surabondance qui limite leur efficacité. Trop de communication tue la communication.

Tout de même l’effort paie : les enfants se portent mieux (voir le rapport de l’UNICEF). Grâce à la prévention, la vaccination et la couverture des soins. Malheureusement le cercle vicieux de la pauvreté est tel dans certains pays pauvres que plusieurs générations se trouvent coincées dans un cycle qui les prédestine à des risques accrus de maladie. Sans compter les effets néfastes de certaines pratiques culturelles, tels que le mariage d’enfants ou les mutilations génitales féminines.

Le choix des mots : à qui parler ?

Le choix de la cible est intéressant : faut-il s’adresser aux enfants ou aux parents ? A défaut d’une réponse claire, on optera pour les deux. Comment ? En utilisant un vocabulaire intergénérationnel. Des mots simples, infantilisants parfois, culpabilisants souvent, délivrés indifféremment aux parents et aux enfants pour s’assurer une meilleure réceptivité.

"Il ne sait pas parler mais il tousse déjà très bien" (tabagisme passif, 2011), "Les enfants ne sont pas des objets sexuels" (2004), "Crier sur un enfant c’est le marquer pour longtemps" (violences verbales, 2017) ; "Lui ne peut pas parler, vous, vous pouvez" (2015) ; "Longues soirées, journées gâchées" (2013), "Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré" (2009), "Le portable avant 12 ans c’est non" (2008).

À ces slogans pourtant efficaces et audibles se heurte une autre réalité : comment les enfants peuvent-ils s’approprier ces messages et se sentir concernés par des problèmes de santé quand leur vie, longue et riche, est encore devant eux ?

"L’innocence est encore sans doute la meilleure défense de l’enfance."


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 8 mai 2018

 

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