Infosud/Tribune des droits humains | 13/10/2010 | Par Carole Vann
(De Genève) Avec 2,1 milliards d’euros de pertes, le Mondial 2010 a été un gouffre pour l’Afrique du Sud. En revanche, la Fédération internationale de football (Fifa), sise à Zurich, se porte comme un charme.
Source d’immenses espoirs sur le continent africain, le Mondial de foot a fait grimper le tourisme en Afrique du Sud de 25% en juin par rapport à la même période l’année précédente. Parmi les améliorations notables, le pays a été doté d’infrastructures publiques de transport et d’énergie. Et pourtant…
Principales conclusions du rapport d’Oseo.Début septembre, l’œuvre suisse d’entraide ouvrière (Oseo) a publié un rapport accablant sur les conséquences sociales et économiques de cet événement inédit sur sol africain.
Selon l’étude, les coûts pour le gouvernement sud-africain s’élèvent à 4,1 milliards d’euros au lieu des 241 millions prévus ! Les projections initiales prévoyaient que le pays, en raison principalement de rentrées fiscales supplémentaires, bénéficie d’un gain de 526 millions.
En réalité, le Mondial a entraîné une perte nette de 2,1 milliards. (Télécharger les principales conclusions de l’Oseo)
Les bénéfices de la Fifa
Le rapport assure en revanche que la Fifa a enregistré un gain de plus de 2,2 milliards d’euros, soit une hausse de 50% de ses bénéfices par rapport à la Coupe de 2006 en Allemagne.
La somme est confirmée par le département médias de la Fifa, même si la fédération précise dans son mail que ce chiffre recouvre l’ensemble des recettes budgétisées pour la période 2007-2010. Comparé à la période financière 2003-2006, le revenu réalisé a effectivement doublé.
Selon la Fifa, celui-ci est réalisé grâce à la commercialisation de droits TV et marketing. Un domaine dans lequel la Fifa refuse de partager. Détenant les droits sur les marques officielles, elle a ainsi imposé des règles mercantiles draconiennes, à commencer par des zones de restriction d’un kilomètre autour des stades accueillant les matches. Les marchands ambulants sud-africains étant les grands perdants de l’opération.
Il nous a été impossible d’obtenir un interlocuteur nominatif auprès de la Fifa pour répondre à nos questions. Toutefois, le mail reçu explique que les recettes générées ne servent pas seulement à financer les compétitions, mais aussi à soutenir les six confédérations et les 208 membres de l’organisation.
« La Fifa est une association à but non lucratif, donc toutes les recettes − sauf quelques réserves nécessaires − sont réinvesties dans le football.
Plus de 75% des revenus sont directement investis dans des projets de développement et d’organisation des compétitions… »
Le rapport de l’Oseo relève également que la Fifa a obtenu du gouvernement sud-africain que ses gains, ainsi que ceux de ses partenaires, soient exemptés d’impôt.
Réponse de la Fifa :
« Les exonérations d’impôt concernent essentiellement les importations et exportations de matériel, surtout en ce qui concerne la couverture de l’événement auprès de millions de spectateurs dans le monde.
Au final, c’est le pays hôte qui en bénéficie en termes d’image, donc de tourisme et d’opportunités commerciales. »
Des stades trop coûteux
Seulement, la réalité montre que la Fifa et le gouvernement ne tiennent pas leurs promesses faites sur le long terme à la population, corrige Cédric Wermuth, collaborateur de l’Oseo.
« Il y a, en effet, de nouvelles infrastructures, mais elles sont copiées sur les pays riches et les communes n’ont pas les moyens de les entretenir.
Par exemple, parmi les dix stades construits ou agrandis en vue du Mondial, on sait qu’au moins trois d’entre eux ne pourront pas être utilisés car trop coûteux.
Ces stades ont d’ailleurs été construits suite aux pressions de la Fifa et en dépit des objections de la Fédération sud-africaine de football et des ligues de football et de cricket. »
Autre constat malheureux du rapport : contrairement aux projections officielles, le Mondial n’a pas généré de nouvelles places de travail.
Fin juillet, le taux d’occupation a même diminué de 4,9% en un an. Dans le secteur de la construction, 111 000 emplois ont disparu entre juin 2009 et juin 2010. La construction d’infrastructures, et en particulier de stades, a abouti, selon des estimations de l’ONU , à ce qu’environ 20 000 personnes soient expulsées de leur logement.
En revanche, les cinq plus grandes sociétés de construction du pays ont vu leurs bénéfices augmenter de 80 millions en 2004 à 1 milliard en 2009.
Cédric Wermuth affirme :
« Beaucoup d’emplois ont été créés au début des constructions en 2006 et 2007. Mais ces places ont disparu dès le Mondial terminé.
Aujourd’hui, les municipalités sont fauchées et doivent opérer des coupes budgétaires. »
Un Mondial profitable à la population
Les 4 milliards de francs investis en vue du Mondial auraient pu être affectés à d’autres priorités, déclare l’Oseo, rappelant que 40% de la population sud-africaine (7,5 millions de personnes) est sans emploi, que 8,4 millions de personnes vivent dans des bidonvilles et que des logements sont nécessaires pour au moins 12 millions de personnes.
Cédric Wermuth affirme :
« La Fifa exige une exemption totale de tout impôt direct ou indirect lors du prochain Mondial, arguant qu’elle paie déjà des impôts en Suisse, c’est pourtant faux.
La Fifa est considérée comme une “organisation d’utilité publique” donc exemptée de tout impôt fédéral direct. Le parlement a refusé, en juin de cette année, d’abolir ce privilège. »
Le même scénario que celui du dernier Mondial risque de se répéter au Brésil, lors de la prochaine Coupe du monde, en 2014, s’inquiète-t-il.
« La Fifa doit user de son influence pour faire en sorte que le Mondial ne profite pas uniquement à elle-même et aux entreprises de la construction, mais aussi aux habitants du pays organisateur. »