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Casablanca 2010 : Réflexions sur une conférence sur le sida atypique



1 Avril 2010 - Christophe Martet - Yagg Les conférences sur le sida   se suivent… et ne se ressemblent pas ! Quelques réflexions sur la 5e conférence francophone VIH  /sida  , qui s’est achevée hier à Casablanca.

Dès l’ouverture, le Pr Christine Katlama, présidente de l’AFRAVIH, a insisté sur le caractère particulier de cette conférence, en cela qu’elle réunissait plus de 1500 personnes venues de pays francophones. La francophonie était dans toutes les bouches, pour en souligner les bienfaits. Personne n’a relevé que la francophonie n’est pas née de l’altruisme ou de la générosité, mais bien du drame de la colonisation et de la domination de dizaines de pays africains. Une histoire qui pèse encore aujourd’hui.

Une parole libre

Une conférence en terre africaine, qui réunit Nord et Sud, ce n’est pas non plus si fréquent. Le fait que le Maroc ait été choisi était bien sûr un motif de satisfaction pour la présidente de la conférence, Hakimma Himmich, inlassable combattante, fondatrice de l’Association marocaine de lutte contre le sida   (ALCS). Dans un pays musulman, où l’homosexualité est toujours pénalisée, où les droits des femmes et des minorités, et plus généralement les droits humains ne sont pas toujours respectés, la parole a été libre. Et j’espère que pour les militants de l’ALCS, cette possibilité de parler ouvertement et d’échanger avec d’autres associations aura été un plus indéniable.

La prévalence 30 à 50 50 fois plus élevée chez les homos

L’homosexualité, il en a été beaucoup question à Casablanca, comme si, après des années de déni, on découvrait l’étendue du problème de l’infection par le VIH   chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH). Dans certains pays, la prévalence du VIH   chez les HSH est de 30 voire 50 fois plus élevée que dans la population générale. Le contexte de criminalisation y est pour beaucoup, l’homophobie ambiante aussi. Cheikh Ibrahima Niang, sociologue à Dakar, a bien souligné que la criminalisation est souvent une survivance de la période coloniale : des lois homophobes rédigées en France ou au Royaume-Uni se sont retrouvées dans les arsenaux législatifs des pays africains, dans un parfait copié-collé. “Nous sommes en retard d’une décolonisation”, a-t-il lancé, provoquant les applaudissements nourris de l’assistance.

Prévention Sida   et lutte pour les droits

Le constat est désormais connu, les moyens de lutter contre le sida   chez les HSH existent. Mais c’est sur l’approche à adopter que des divergences apparaissent. Faut-il, en suivant l’exemple du Maroc, “faire avec”, mener des actions de sensibilisation et de prévention auprès des HSH sans essayer de faire changer la loi ? Faut-il promouvoir au contraire la visibilité des homosexuels et la lutte pour leurs droits afin de faire bouger les choses ? Cette deuxième option semble aujourd’hui compromise : la répression féroce qui s’est abattue sur des militants homos à Dakar, fin 2008, l’introduction dans l’appareil législatif burundais de dispositions homophobes, le raidissement de nombreux pays sur cette question ont jeté un froid sur les tentatives de lier la question de la prévention du VIH   à celle de la lutte pour les droits des homos. Même si Vincent Pelletier, directeur général de Aides, a pu affirmer, lors d’un symposium organisé par Aides et Sidaction sur ce thème, que dans toute lutte, “il y a de la casse”, le malaise au sein des associations françaises, qui viennent en aide à leurs homologues du Sud, est palpable.

Une chose est de promouvoir l’accès aux antirétroviraux, à la prévention et aux soins, mais cela doit-il se faire en mettant en danger ceux qui militent ? L’activisme au Nord s’est développé dans le contexte de pays démocratiques, ce n’est pas le cas dans de nombreux pays du Sud. L’histoire de la lutte contre le sida   nous apprend que même les plus radicaux des activistes veillaient toujours à ce que leurs actions ne mettent pas en danger leur sécurité et celle d’autrui. Une chose est sûre : la stratégie de la lutte contre le sida   parmi les HSH devrait certainement occuper pendant de nombreuses années l’agenda politique des associations.

Casablanca 2010 sera suivie de Genève, en 2012. D’ici là, il y aura eu d’autres conférences. D’ici là, d’autres discours mobilisateurs seront prononcés, devant des congressistes convaincus d’avance. Éric Fleutelot, de Sidaction a eu raison de souligner dans son discours de clôture que c’est de retour dans son pays que chaque participant doit mettre en pratique ce qu’il a déclaré ou entendu pendant la conférence. Ainsi, c’est d’abord à eux-mêmes que les participants pourraient appliquer ce slogan d’Act Up-Paris : “moins de paroles, des actes”.


Publié sur OSI Bouaké le mardi 6 avril 2010



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