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La désobéissance civile met-elle la démocratie en danger ?


Telerama - 29 Octobre 2010 - Un agent EDF qui rebranche des foyers démunis, des employés de Pôle emploi qui ne signalent pas les étrangers, des directeurs d’école qui refusent d’utiliser le fichier “Base élève”. Les exemples de désobéissance civile se multiplient un peu partout en France. Certains parlent d’une menace contre la démocratie. Mais n’est-ce pas plutôt une défense salutaire face à l’omniprésente logique du résultat ?

Eric est le héros du dernier roman de Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages. Electricien dans un groupe de télécommunications, il est brutalement affecté à une plate-forme de téléopérateurs, contraint de répondre aux clients qui appellent en récitant, mot à mot, le « script » qui s’affiche sur son ordinateur. Avec mission de parvenir aux résultats chiffrés qui lui sont imposés, car son job consiste moins à satisfaire les demandes de ses interlocuteurs qu’à leur vendre des options et des forfaits toujours plus coûteux. Elevé dans une certaine idée du service public, dépossédé de son métier, Eric va désobéir aux consignes, retrouver ses propres mots pour venir en aide à un client fragilisé. Et même aller le voir chez lui pour le dépanner.

Fiction ? Réalité ? Les appels à la désobéissance civile se sont multipliés ces dernières années en France. Le mensuel Regards de ce mois d’octobre, qui consacre un dossier au sujet, en présente quelques-uns. Babette, par exemple, caissière dans un supermarché d’Orléans, qui, en cachette, faisait crédit de produits de première nécessité à des personnes en difficulté. Jusqu’au jour où elle fut licenciée. Ou Dominique, agent d’ERDF (filiale d’EDF) à Toulouse, qui rebranche discrètement des foyers démunis dont l’électricité a été coupée.

Défense des étrangers sans papiers, rejet du fichage des enfants à travers le fichier « Base élèves » par des directeurs d’école, refus des agents de Pôle emploi de signaler à la préfecture les étrangers qui viennent s’inscrire comme chômeurs : la désobéissance, c’est-à-dire le « refus délibéré de suivre les prescriptions d’une loi, d’un décret ou d’une circulaire tenus pour indignes ou injustes », semble devenue une forme courante d’action politique, écrivent Albert Ogien et Sandra Laugier dans un livre passionnant qui fait le point sur cette question, Pourquoi désobéir en démocratie ?

La désobéissance s’inscrit de plus en plus souvent dans un refus de la logique du résultat.

Si la désobéissance civile n’est pas nouvelle – on peut remonter à Thoreau, au XIXe siècle, refusant de payer ses impôts pour s’opposer à la guerre des Etats-Unis au Mexique –, elle suscite en effet, légitimement, de la méfiance. Soit parce qu’elle serait une action sans lendemain car sans projet de changement politique. Soit parce qu’elle mettrait la démocratie en danger en bafouant l’Etat de droit. Elle est pourtant bien une forme d’action politique que l’on peut rapprocher des nouvelles pratiques, parfois ludiques, de la contestation sociale. Ne faut-il pas en lier la multiplication à la baisse d’influence des partis politiques et des syndicats ou à l’usure des formes traditionnelles d’actions de revendication, la grève ou la manifestation ?

Dans leur livre, Albert Ogien et Sandra Laugier montrent comment la désobéissance s’inscrit de plus en plus souvent dans un refus de la logique du résultat, qui s’impose désormais à l’école, à l’hôpital ou à l’université. Loin d’être une menace pour la démocratie, elle en serait alors, au contraire, une expression radicale. Une volonté pour l’individu de se revendiquer citoyen face à la dégradation des prérogatives et des services de l’Etat. . Michel Abescat - Télérama n° 3171

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“Pourquoi désobéir en démocratie ?”, d’Albert Ogien et Sandra Laugier, éd. La Découverte, 212 p., 20 euros.

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Publié sur OSI Bouaké le mardi 2 novembre 2010

 

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