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Au Cameroun, la décentralisation du traitement contre le VIH est efficace


Catherine Vincent, Le Monde, 14 Aout 2010 - Ils sont trois, tous séropositifs. Le premier, marié à une femme également séropositive, est père de deux enfants. "En dehors des personnes qui nous suivent à l’hôpital, personne n’est au courant", confie-t-il. La deuxième, mère de famille, préfère cacher sa maladie plutôt que se voir coller l’étiquette de femme légère. La troisième, 19 ans, espère devenir avocate, mais parle de renoncer à son projet au cas où son statut serait révélé...

Ces témoignages recueillis par des chercheurs de l’Institut de recherches socioanthropologiques de Yaoundé, en attestent : il n’est pas facile de vivre au grand jour, en Afrique, avec le virus du sida  . Même au Cameroun, un pays où de remarquables progrès ont été enregistrés ces dix dernières années en matière d’accès aux traitements contre le VIH  , progrès détaillés lors de la Conférence internationale sur le sida  , à Vienne en juillet.

A partir de 2001, le gouvernement camerounais a mis en oeuvre une politique de décentralisation de la prise en charge des personnes porteuses du VIH  , jusqu’alors concentrée à Yaoundé et à Douala, capitales administrative et économique du pays. De 2001 à 2003, vingt-quatre centres de traitement agréés pour la délivrance des antirétroviraux ont ainsi été créés dans les hôpitaux des chefs-lieux de province. Dans le même temps, le pays a bénéficié d’une aide financière, provenant notamment du Fonds mondial de lutte contre le sida  , le paludisme et la tuberculose.

De plus, à partir de 2005, des unités de prise en charge ont été mises en place dans les hôpitaux de district des dix provinces du pays. En dix ans, le Cameroun a ainsi connu une progression spectaculaire du nombre de patients bénéficiant d’un traitement contre le VIH   : de quelques centaines au début des années 2000, ils sont passés à 17 000 en 2005, et à 76 000 fin 2009. Soit un taux de couverture de 46 % des personnes éligibles pour le traitement, selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ).

Quelles ont été les conséquences effectives de cette décentralisation ? Quelles améliorations a-t-elle permises, quelles barrières a-t-elle révélées ? Souhaitant que sa politique soit évaluée de manière indépendante, le ministère camerounais de la santé a confié cette mission à l’Agence française de recherche sur le sida   (ANRS). Depuis 2006, une soixantaine de chercheurs français et camerounais mènent ainsi, dans le pays, un programme multidisciplinaire de "recherche opérationnelle".

Détaillées dans un ouvrage que vient de publier l’ANRS, les leçons de cette étude sont encourageantes. Quelles que soient "les faiblesses et les fragilités" du système, la décentralisation du traitement contre le sida   est "faisable et efficace". En dépit de ressources humaines et techniques plus limitées qu’en zone urbaine, en dépit de protocoles de prise en charge simplifiés, les hôpitaux de district font preuve "d’une aussi bonne, voire d’une meilleure qualité des soins que les services centraux".

Meilleure qualité de vie, meilleure observance du traitement, meilleur accès pour les populations rurales les plus vulnérables : globalement, la décentralisation fait ses preuves, et garantit une plus grande équité des soins. Elle n’en a pas moins ses limites, qui tiennent, pour l’essentiel, aux faiblesses structurelles du système de santé camerounais. Faiblesse économique, faiblesse au niveau de la chaîne de distribution des antirétroviraux, qui dépend en grande partie de la fabrication de médicaments génériques (70 % du total des achats) ; faiblesse dans l’accès aux médicaments "de seconde ligne", beaucoup plus chers mais indispensables quand le VIH   se met à résister au traitement standard.

Autant d’obstacles à une prise en charge optimale, qui se retrouvent peu ou prou dans tous les pays d’Afrique, et qui expliquent cette situation paradoxale : succès sans précédent dans l’histoire mondiale de la santé publique (3 millions de personnes vivant en Afrique subsaharienne bénéficient aujourd’hui des traitements anti-VIH  ), la lutte contre le sida   reste impuissante à enrayer l’épidémie. En effet, quand deux personnes commencent un traitement contre le sida  , cinq autres, dans le même temps, sont nouvellement infectées. La maladie continue de courir plus vite que les soins.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 16 août 2010

 

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