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Sida, entre la vie et les mots



Libération, Eric Favereau - 10 septembre 2012 - Les mots sont-ils malades de la maladie ? Plus de trente ans après l’arrivée des premiers cas de sida  , plus de quinze ans après la découverte puis la prescription de médicaments qui ont radicalement transformé l’infection à VIH   en une maladie chronique, on aurait pu croire que les mots sur la maladie allaient se banaliser. Et qu’ainsi l’annonce de la séropositivité deviendrait comparable à l’annonce d’autres maladies. Il n’en est rien.

C’est un choc, une rupture, comme le montre l’association Actions Traitements qui publie « un recueil de témoignages de personnes ayant appris leur séropositivité au cours de ces dernières années » (1). Vivre avec le sida   reste à part. Est-ce le poids dramatique de l’histoire de l’épidémie qui est encore trop présent ? Ou la question de la contamination (dans les deux sens) empêche-t-elle toute banalisation ? Les témoignages sont lourds, comme d’ailleurs ceux du livre, sorti au printemps, d’Hervé Latapie : Génération trithérapie (2).

Se découvrir séropositif, c’est comme un équilibre qui s’effondre. « Il y eut une cascade de choses : l’annoncer à ma femme qui, en faisant le test, se découvre séropositive - depuis elle m’a quitté. J’ai dû également liquider mon commerce. Du jour au lendemain, plus rien et une grave dépression », raconte ainsi Abdel, qui a découvert sa séropositivité lors d’une hospitalisation. Ou encore : « J’ai été bénévole à Aides [association de lutte contre le VIH  , ndlr], je connaissais les risques… Je me suis effondré… J’ai été muté loin de mes proches, j’étais seul. Les CD4 [cellules de l’immunité] sont tombées, j’ai fait une dépression, j’ai perdu mon travail », raconte Jérôme, contaminé à la suite d’un accident de préservatif. Ou enfin : « Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir pris de risque… La personne avec qui je vivais […] m’a affirmé que j’étais contaminé, laissant ces mots avant de partir : "Je t’ai crevé." Après un test, l’annonce de ma séropositivité fut très brutale. C’était l’échec. »

« L’annonce de la séropositivité, écrit Actions Traitements, reste un événement à haute charge traumatique, provoquant un sentiment d’angoisse, voire de danger de mort. »

Le dire ensuite ? Ou ne pas le dire ? La réponse est ouverte, et, surtout, très personnelle. Et la décision de révéler ou non sa maladie, et du comment le faire, entre en porte-à-faux avec le discours de certaines associations qui privilégient l’image du séropositif qui le dit et l’assume. Ainsi le séropositif le dit, mais il le dit un peu, à moitié, aux amis mais pas à la famille, ou bien l’inverse. Ainsi, David : « Personne n’est au courant dans ma famille. Ce que j’ai apprécié, c’est le comportement de mes amis à qui je l’ai annoncé, ils n’ont pas changé. » Ou Julien : « Comment réagirait ma famille ? Cela leur rapporterait quoi de le savoir ? Moi, cela me soulagerait, et m’éviterait de mentir, et de planquer mes médocs au risque de les oublier. »

D’où ce paradoxe : le sida   sera banalisé quand on pourra ne pas le dire sans que ne perce aussitôt le reproche de ne pas l’avoir dit.

(1) « Info traitements », juillet-août 2012. (2) « Génération trithérapie, rencontre avec des jeunes gays séropositifs », Editions le Gueuloir.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 1er octobre 2012

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