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Sida : « Il faut mourir, sinon on retourne en prison »



Sonya Faure - Liberation, 3 juin 2010 - Tony a été libéré pour raisons médicales. Il raconte les difficultés pour bénéficier de la loi Kouchner, qui permet des suspensions de peine.

Tony [1], 59 ans, aura passé 16 ans en prison. Il en est sorti il y a quelques mois grâce à une suspension de peine pour raison médicale. Alors que l’association Aides organise mercredi une journée consacrée aux détenus séropositifs, il raconte la maladie qu’il faut cacher, les soins parfois erratiques. Le terrifiant paradoxe qu’il y a à se battre pour obtenir une suspension de peine… qui suppose de recevoir l’attestation de sa mort à court terme. D’une maison d’arrêt à l’autre, de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes à une Unité hospitalière sécurisée interrégionales (UHSI) de région, il raconte la maladie qu’il faut cacher, les soins parfois erratiques. Tout dit en lui le terrifiant paradoxe qu’il y a à se battre pour obtenir une suspension de peine pour raisons médicales… qui suppose de recevoir l’attestation de votre probable mort à court terme. A côté de lui, Corinne Castellano, militante de Aides qui l’a suivi durant une grande partie de sa détention, hoche la tête, acquiesce et appuie la véracité des propos de Tony.

Avoir le VIH   en prison

« Pendant plusieurs années, j’ai réussi là le cacher. Le cacher, ça veut dire ne pas se rendre aux consultations du médecin spécialiste VIH  , qui vient régulièrement d’un hôpital alentours pour assurer une permanence. Ca veut dire ne pas bénéficier d’une surveillance médicale appropriée : radios, compléments alimentaires... Et puis ça s’est su. Du jour au lendemain, des détenus ne vous parlent plus, ou alors vous insultent, vous traitent de pédé ou de drogué. Les surveillants aussi, parfois : “Toi, le sidaïque…”, me disait l’un d’eux. Ils mettent des gants pour faire les fouilles de cellules ou vous mettre les menottes, alors qu’ils ne le faisaient pas quelques jours plutôt. »

Le secret médical

« Moi, c’est quand j’ai fini par aller voir le médecin spécialiste que les gens ont su. Sans doute une fuite d’un infirmier ou d’un surveillant de l’infirmerie… Parfois, même pas besoin de fuite ! Prenez ce qui m’est arrivé dans une maison d’arrêt : nous étions vingt détenus dans la salle d’attente, certains pour voir le dentiste, d’autres l’ophtalmo, quand un infirmier m’interpelle très fort, devant tous les autres : “Monsieur Tony F. , le médecin spécialiste VIH   vient d’arriver, il va vous recevoir !”.

En détention, le secret médical n’existe pas. Quand on arrive au poste d’infirmerie, on voit les dossiers médicaux des détenus précédents posés sur le bureau. Sur le mien il y avait écrit en gros et en rouge : “Tony F., VIH  .” Les surveillants attendent devant la porte ouverte, ils peuvent très bien écouter. D’ailleurs, le médecin spécialiste qui m’a d’abord soigné, une femme formidable, a préféré quitter le milieu carcéral : elle n’a pas supporté non que ses prescriptions ne puissent être suivies en détention, que le secret médical ne soit pas respecté. »

Les soins

« Quand ils ont commencé à distribuer des tri-thérapies, au début des années 2000, je restais sans cachets pendant des semaines entre deux ordonnances, faute de pouvoir décrocher un rendez-vous chez le médecin : ils sont débordés. L’infirmière me répondait : “Je ne les fabrique pas, moi, les médicaments !” Je lui répondais : “Vous pouvez les commander.” Et elle : “N’oubliez pas que vous êtes détenu.” [Corinne Castellano : “A cette époque, les infirmières connaissaient très peu le VIH   et ne voulaient pas en savoir plus. Le rôle des associations a été de faire comprendre que la régularité du traitement était essentielle.” ] En 2007, j’ai attrapé un sarcome de Kaposi [une tumeur de la peau, ndlr]. Je savais ce que c’était : à l’infirmerie ils distribuaient des plaquettes, mais le médecin me répondait : “Mais non, des grains de beauté, tout ça.”

Puis, l’année dernière, je me suis mis à tousser. Il me disait que c’était les restes d’une pneumonie. Huit mois plus tard, on m’a diagnostiqué un cytomégalovirus (CMV), qui, faute d’avoir été pris à temps, a favorisé la tumeur au poumon qu’on m’a diagnostiquée depuis. [Corinne Castellano, une militante de l’association Aides qui a accompagné Tony pendant des années, intervient : « Quand on insistait auprès du médecin, il nous répondait : “Ne le croyez pas, ils disent tous les mêmes choses.”] Mon état se dégradait. Un surveillant plus attentionné m’a vu dans mon lit, s’est inquiété : je ne pouvais plus parler, à peine respirer. J’étais en train de mourir. J’ai été envoyé à l’hôpital Bicêtre. C’est seulement là qu’on a détecté le CMV. » [Corinne Castellano : “Lorsqu’on est bien traité du VIH  , le but c’est justement de retarder l’apparition de maladies opportunistes. Il est par exemple relativement rare aujourd’hui de voir un sarcome de Kaposi.” ] » L’hospitalisation en UHSI

« A l’UHSI, les soins, les infirmières, les médecins… c’est mieux qu’au dehors ![l’Unité hospitalière sécurisée interrégionale est chargée d’hospitaliser les détenus, au sein des CHU, ndlr]. Mais l’administration pénitentiaire a tellement peur des évasions que les conditions d’enfermement sont pires qu’au mitard. Pas le droit de fumer, de téléphoner, d’aller en promenade. Les fenêtres sont bloquées alors qu’elles ont des barreaux et qu’on est au douzième étage ! Quand les surveillants ouvrent les fenêtres, c’est seulement pour taper sur les barreaux et vérifier qu’ils ne sont pas sciés. Ca fait rire les infirmières… Au moins les animaux, derrière leur barreau, ils ont droit à de l’air. Aucun contact avec les autres malades, comme si c’était interdit. Quand il y en a un qui regagne sa chambre, ils attendent qu’il soit rentré pour ouvrir votre porte et vous emmener faire un examen.

Normalement, les UHSI sont prévues pour de courtes hospitalisations. J’y allais une fois par mois vu mon état, et j’ai fini par y rester 40 jours d’affilée. Au bout de 30 jours, j’ai complètement craqué. J’avais déjà trouvé l’endroit où me pendre, commencé à tresser un morceau de drap. Je surveillais les passages des surveillants pour repérer le moment où personne ne viendrait me décrocher. Je ne pensais plus qu’à ça. Certains préfèrent se laisser mourir en prison plutôt qu’aller se faire soigner en UHSI. J’ai rencontré en centre de détention un homme de 86 ans, un autre de 72 ans, tous deux cancéreux, de la prostate ou de la vessie, qui ne pouvaient plus bouger. Mais ils refusaient de retourner en UHSI. Ils ont abandonné. Ils vont mourir au fond de leur cellule. Je ne vois pas en quoi ils seraient dangereux dehors, vraiment. »

La suspension de peine

« A la fin de ma détention, j’étais allongé 21 heures sur 24. Je suis devenu aveugle d’un œil, mes dents se sont déchaussées. Pour ma première demande de suspension de peine, les deux experts sont venus ensemble - c’est illégal : leurs expertises doivent être menées à 15 jours d’écart. Ils n’ont pas demandé mon dossier médical. Conclusion : “Pronostic vital engagé mais compatible avec la détention.” [alors que la loi précise que la suspension est accordée si le pronostique vital est engagé ou si l’état du détenu est incompatible avec l’enfermement, ndlr].

Six mois après, nouvelle demande, nouveaux experts, qui eux, prennent connaissance de mon dossier. “Pathologie engageant le diagnostic vital probablement à court terme.” Je suis dehors, mais à tout moment, le juge peut demander une expertise et revenir sur ma libération. Suspension, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Il faut mourir, sinon on retourne en prison. »

Quand il est sorti de prison, Tony pesait 50 kilos. Il en a repris quelques uns. Il est heureux, le dit, et juste après : « Mais si le juge demande une expertise, ils vont trouver que je vais bien ? ». Se rassure : « Le médecin m’a bien expliqué : dès que la radiothérapie ne fera plus effet, je risque de rechuter. » Puis s’assombrit de nouveau : « Je crois bien que je suis foutu. »


[1] Le prénom a été modifié


Publié sur OSI Bouaké le jeudi 3 juin 2010

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