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Les pédopsychiatres de Seine-Saint-Denis en détresse



Libération - Eric FAVEREAU - 9 juin 2015

Le délai d’attente – entre sept et douze mois – pour obtenir une consultation pour un enfant a poussé les praticiens à faire grève ce lundi.

Voilà des enfants qui ont simplement du mal avec la vie, certains décrochent dès la maternelle, d’autres piétinent dans leur contact avec les autres, d’autres encore se replient ou s’agitent trop. Ils sont mis à l’écart, ils souffrent. Des enfants un peu perturbés qui vivent en Seine-Saint-Denis, ce département le plus peuplé et le plus précaire de France, situé au nord de Paris. Ceux qui s’occupent d’eux ont décidé de s’arrêter : « On ne peut plus assurer », lâche une psychologue.

Dans les beaux quartiers, il y a toujours le secteur privé qui peut prendre le relais. Dans le périmètre qui couvre Saint-Ouen, Saint-Denis et Pierrefitte, il n’y a aucune échappatoire. « Quand une école nous appelle pour nous demander un rendez-vous pour un enfant qui ne va pas bien, c’est au minimum neuf mois d’attente, et plutôt un an », explique Marie Cousein, psychologue. « Qu’est-ce que vous voulez que l’on fasse ? Et en plus, cela empire, des postes sont supprimés. » Hier, lundi, toute la pédopsychiatrie du secteur de Saint-Denis s’est arrêtée. En grève 24 heures « pour interpeller les autorités sur les effets dévastateurs des conditions de travail du secteur de pédopsychiatrie pour ses enfants et leurs familles ».

« Nous ne pouvons plus assurer nos missions de service public »

Il y a deux ans s’étaient déjà tenus des états généraux de la pédopsychiatrie en Seine-Saint-Denis, déclarée en état d’urgence, et des promesses avaient été faites. L’Agence régionale de santé d’Ile-de-France avait répété que combattre les inégalités de santé était la priorité. Dans les faits, cela n’a pas été franchement le cas, en tout cas en pédopsychiatrie. Des exemples ? Ce secteur de Saint-Denis a créé un jardin d’enfants thérapeutique, où plusieurs soignants s’occupent d’un petit nombre de bambins en difficulté de sociabilisation. La psychologue en charge de ce jardin est en congé maternité et ne sera pas remplacée. « Que fait-on ? On ferme », lâche une infirmière. Plus grave encore, des enfants avec de lourds troubles sont pris en charge par demi-journée dans un centre ; plusieurs psychologues, épuisés, sont partis, remplacés par deux CDD. Elles viennent d’apprendre que leur contrat s’arrête à la fin de la semaine. « Ces enfants autistes vont devoir rester chez eux, tout le temps. Et lorsque l’on connaît les difficultés familiales… »

L’équipe de pédopsychiatrie a fait le calcul : ce sont 400 familles renvoyées en détresse avant que les structures de soins ne puissent les accueillir et les écouter. « Nous ne pouvons plus assurer nos missions de service public », insiste le personnel. Dans ce département, le taux de natalité a augmenté de 30% en trois ans, alimentant une demande croissante, de plus en lourde, avec la précarité extrême de la population. « La prise en charge tardive va à l’encontre des dépistages précoces recommandés », insiste une pédopsychiatre. « Les troubles qui s’enkystent sont susceptibles d’aggraver le retard dans les apprentissages scolaires et de rendre le lien aux autres de plus en plus délétère. Pour les parents, c’est un sentiment de rejet et d’abandon par notre institution massif. Ils sont face à un désarroi avec lequel ils n’arrivent plus à composer. »

Voilà. Le secteur de Seine-Saint-Denis a décidé de porter plainte pour « discrimination territoriale ». « La direction de l’hôpital, dont on dépend, est très gentille, lâche, perplexe une psychologue. Elle dit nous comprendre, mais elle dit qu’elle ne peut rien faire d’autre. »


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 12 juin 2015