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L’Afrique francophone face au sida



Le Monde Diplomatique - Claire Brisset, - 1 juin 2013 - Pendant près de vingt ans, le sida   a été considéré comme une maladie mortelle, sans échappatoire possible. Mais depuis l’identification, en 1983, du virus de l’immunodéficience humaine (VIH  ), la recherche a effectué des progrès spectaculaires, permettant la mise au point de médicaments d’une grande efficacité, les antirétroviraux, très largement répandus depuis le début des années 2000.

Depuis 2005, selon les estimations fournies à la fin de 2012 par Onusida  , l’agence de l’Organisation des Nations unies (ONU  ) chargée de coordonner la lutte contre le sida  , les décès ont diminué de 25 % à travers le monde, ce qui représente cinq cent mille vies épargnées. Entre 2011 et 2013, le nombre de personnes traitées a augmenté de 63 %. Un chiffre qui s’explique très largement par les progrès réalisés en Chine, où, pour la seule année 2011, celui-ci a crû de 50 % (1).

Par ailleurs, alors que le sida   et plusieurs autres maladies, en particulier la tuberculose et l’hépatite C, se renforcent mutuellement, le nombre de ces coinfections diminue également. Enfin, autre bonne nouvelle, soulignée par le directeur général d’Onusida  , le Malien Michel Sidibé : « Le rythme des progrès s’accélère. Nous pouvons à présent réaliser en deux ans ce qui, auparavant, demandait une décennie (2). » Cet optimisme est partagé par M. Lelio Marmora, responsable de l’Afrique au Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme : « Dans les cent cinquante pays où nous travaillons, la prévalence de la maladie a considérablement diminué, en particulier depuis 2004, et surtout depuis 2006. » Au total, entre 2000 et 2012, elle a baissé, selon les pays, de 25 à 50 %.

Mais ce panorama global masque des inégalités frappantes ; inégalités géographiques, puisqu’elles concernent plus particulièrement certains pays du continent noir, et générationnelles, puisqu’elles touchent plus lourdement les enfants de ces mêmes pays, malgré les progrès constatés ailleurs.

En attente de traitements

C’est en Afrique francophone que la lutte contre le sida   prend du retard. Un constat présenté lors du sommet de la francophonie qui s’est tenu en octobre 2011 à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC), là où les ravages du sida   sont actuellement hors de contrôle. Les chiffres publiés conjointement par Onusida   et par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) parlent d’eux-mêmes : alors que les traitements antirétroviraux atteignent 59 % des personnes contaminées par le virus dans les pays subsahariens non francophones, seuls 43 % des patients y ont accès dans les pays africains membres de l’OIF. Le traitement des femmes enceintes séropositives, qui seul permet d’éviter la contamination de l’enfant tout en sauvant sa mère, est lui aussi beaucoup moins répandu en Afrique francophone (36 %) qu’ailleurs sur le continent (62 %). Ce constat a d’ailleurs été souligné au sommet de Kinshasa par le secrétaire général de l’OIF lui-même, M. Abdou Diouf : « 15 % seulement des enfants ont accès aux traitements antirétroviraux » dans les pays africains francophones, écrivait-il dans un document remis aux délégués. Et il ajoutait : « Parmi les femmes enceintes de ces mêmes pays, une sur cinq reçoit le traitement antirétroviral qui lui garantit la santé. » La santé et même la survie, la sienne et celle de son enfant.

Le village d’orphelins

Ce retard a une traduction directe : près d’un million de personnes, en Afrique francophone subsaharienne, attendent des médicaments. Lorsqu’ils sont nés porteurs du virus, c’est-à-dire lorsque leur mère n’a pas été traitée, la moitié des enfants n’atteignent pas l’âge de 1 an. Les autres survivent temporairement. Au total, dans le monde, trois millions et demi de jeunes de moins de 15 ans vivent avec le virus du sida  , dont 91 % en Afrique subsaharienne, avec une forte prédominance dans les pays francophones.

Selon M. Sidibé, ce retard tient notamment à l’histoire de l’épidémie, qui s’est répandue à la faveur des déplacements des travailleurs des mines d’Afrique australe. En particulier le long des « corridors miniers » (Botswana, Zambie, Swaziland, Lesotho, Mozambique, Afrique du Sud), où la population est très mobile et où l’épidémie a littéralement flambé. La situation était si grave, la mortalité par sida   telle que les gouvernements n’ont pu rester inactifs. Des villages entiers étaient composés d’orphelins dont s’occupaient des adolescents soutenus tant bien que mal par leurs grands-parents, la génération intermédiaire ayant été décimée. Dans toute l’Afrique australe, les populations se sont donc très fortement mobilisées. Par exemple, en Afrique du Sud, un million sept cent mille personnes sont actuellement sous traitement, soit une augmentation de 75 % en seulement quelques années (3).

En Afrique francophone, une telle mobilisation ne s’est pas produite car, à part en RDC, l’épidémie n’y a jamais pris de telles proportions. De plus, l’industrie s’est d’abord intéressée aux pays où des débouchés substantiels s’ouvraient à elle, à savoir l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, où l’épidémie était massive. Un élément que confirme M. Marmora : l’épidémie a été beaucoup plus violente en Afrique australe que partout ailleurs sur le continent — la RDC exceptée, où elle flambe —, et elle le demeure.

En outre, « dans dix-neuf pays africains francophones et en Haïti, rappelle M. Sidibé, l’homosexualité reste interdite par la loi ». Même si, en Afrique, le sida   est très majoritairement transmis par voie hétérosexuelle, « cet interdit entrave l’accès aux services de santé et nuit à l’égalité des droits ». Des résistances culturelles et la faiblesse de l’éducation sexuelle jouent donc un rôle dans ce retard. Entrent par ailleurs en ligne de compte les réflexes des soignants qui négligent, en Afrique francophone, les approches préventives, pourtant essentielles dans ce domaine.

La violence favorise également la diffusion du virus : troubles civils, guerres, violence envers les femmes… Ainsi, 30 % de tous les enfants contaminés du monde se concentrent en RDC, en proie depuis des années au chaos, et où l’Etat central est extrêmement faible. Seules 5 % des mères séropositives y reçoivent un traitement, contre 95 % en Afrique du Sud.

Pour M. Marmora, il y a là une explication essentielle. Selon lui, les financements à destination de l’Afrique francophone n’accusent pas de retard particulier, en tout cas en provenance du Fonds mondial ; ce qui pose une difficulté, en revanche, c’est la capacité d’absorption des sommes allouées lorsqu’un pays se trouve en proie à des troubles civils chroniques qui entravent leur utilisation.

Enfin, l’obstacle de la langue demeure puissant en matière de santé publique. Les publications, les constats et les analyses des experts circulent en anglais, et ne sont traduits en français que tardivement, quand ils le sont. Les appuis techniques et les financements suivent la même voie. L’Afrique francophone rencontre des difficultés chroniques pour se faire entendre dans les cénacles internationaux, y compris dans les diverses instances de l’ONU  , au mépris de toutes les règles. Combien de fonctionnaires internationaux sont-ils nommés dans des pays francophones sans parler le français ? Il est à noter que de telles aberrations sont très rares en Amérique latine à l’égard de l’espagnol.

L’ONU   a établi un plan à l’échelle mondiale pour éliminer les nouvelles infections d’ici à 2015, définissant comme prioritaires vingt-deux pays, dont vingt et un en Afrique subsaharienne, presque tous francophones. Pour réduire de moitié la mortalité des femmes liée au sida   et protéger leurs enfants, il serait nécessaire de traiter au plus tôt six cent vingt mille femmes enceintes dans ces pays. Un tel projet est-il réalisable ?

Une lutte contre l’inégalité

Rien ne permet de penser que les objectifs fixés sont hors d’atteinte, estime M. Sidibé. Mais il y a quelques préalables : « Le combat contre le sida   est aussi une lutte contre l’inégalité, y compris l’inégalité entre les hommes et les femmes, les enfants et les adultes, les pays pauvres et les autres. » Question d’apparence latérale, mais essentielle : l’industrie pharmaceutique maintiendra-t-elle son engagement contre cette maladie lorsque l’Inde et la Chine produiront elles-mêmes les médicaments dont elles ont besoin, ce qui ne saurait tarder ? Il faut désormais, en effet, considérer la lutte contre le sida   comme une composante des combats en faveur des droits humains, et non plus seulement comme un enjeu de santé publique.


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 1er juin 2013

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