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Huit questions que le Covid-19 pose aux immunologistes



Médiapart - 20 avril 2020 - Par Nicolas Chevassus-au-Louis -

La lutte contre le Covid-19   est d’abord et avant tout une question médicale. Mais le virus pose aussi des questions de fond aux chercheurs en immunologie. Des questions auxquelles il n’y a aujourd’hui aucune réponse, dans l’attente des résultats des travaux de la recherche.

En ce 20 avril 2020, plus de cinq mois après l’apparition du Covid-19   en Chine, les effets du virus sont loin d’être tous expliqués. La compréhension de la maladie est pourtant nécessaire pour envisager les modalités du déconfinement. Huit questions clés qui restent à ce jour en suspens.

1) Pourquoi l’infection s’emballe-t-elle parfois au bout d’une dizaine de jours ?

L’insuffisance respiratoire aiguë, cause la plus fréquente du décès des patients, est un des aspects de l’infection qui intrigue le plus les immunologistes. Son mécanisme est à peu près compris. Une grosse semaine après le début de l’infection, une certaine catégorie de cellules immunitaires, les lymphocytes (familièrement qualifiés de globules blancs) prolifèrent pour lutter contre le virus. Ces cellules libèrent des molécules de la famille des cytokines qui stimulent en retour la prolifération des leucocytes.

C’est le phénomène d’orage cytokinique, qui fait que les leucocytes envahissent les tissus les plus atteints par l’infection, et en particulier les poumons, au point de les empêcher de fonctionner. Une sorte d’emballement du système immunitaire est donc responsable des insuffisances respiratoires aiguës dans les cas les plus graves de l’infection par le Covid-19  .

Le phénomène est bien décrit dans d’autres situations, comme le choc septique en réaction à une infection bactérienne, ou encore comme effet secondaire de traitements, dits par immunothérapie, de certains cancers. Dans ce dernier cas, les médecins ont, ces dernières années, appris à prévenir la survenue de l’orage cytokinique. Mais pour pouvoir l’empêcher chez les patients infectés par le Covid-19  , il faudrait comprendre pourquoi le système immunitaire s’emballe parfois en réponse à la présence du virus. On en est loin aujourd’hui.

2) Pourquoi l’infection par le Covid-19   est-elle souvent plus grave chez les hommes que chez les femmes ?

Les informations sur ce point restent insuffisantes. Dans les données compilées par Santé publique France, le sexe de la personne malade n’est pas renseigné dans quasiment la moitié des cas. Mais dans la moitié restante, la prédominance masculine est très nette : 55 % des hospitalisés, 73 % des placés en réanimation et 61 % des décès (selon les données du 14 avril).

Laboratoire d’immunologie à Seattle (État de Washington). © Karen Ducey / Getty images/ AFP Laboratoire d’immunologie à Seattle (État de Washington). © Karen Ducey / Getty images/ AFP Deux grandes familles d’explication sont possibles. Soit il s’agit d’un effet social, les hommes fumant par exemple statistiquement plus, ce qui les rend en particulier à la fin de leur vie plus exposés aux infections virales ciblant les poumons. Soit il s’agit d’un effet biologique, nombre de pathologies du système immunitaire ayant un très net biais sexuel, comme le lupus, et d’autres maladies auto-immunes, qui frappent très majoritairement les femmes. Pourquoi ? Les hormones sexuelles jouent-elles un rôle ? On l’ignore. Tout comme on ignore s’il faut privilégier l’explication sociale ou l’explication biologique au constat que la maladie frappe davantage les hommes. Du moins en Europe, le phénomène semblant absent en Chine, ce qui pose d’autres questions tout aussi irrésolues sur les différentes formes que prend l’épidémie d’un pays à l’autre.

3) Pourquoi les personnes obèses sont-elles surreprésentées parmi les victimes du virus ?

Des études menées sur les patients hospitalisés pour des infections graves au Covid-19   à Shenzhen (Chine), à Vitoria (Espagne) ou dans un réseau d’hôpitaux à travers quatorze États aux États-Unis montrent une surreprésentation des personnes obèses, qui représentent entre 42 % et 48 % du total. L’effet est particulièrement net chez les patients de moins de 50 ans, où le surpoids est très souvent le seul facteur de risque identifié. Or, l’obésité est paradoxalement plutôt un facteur protecteur contre le syndrome de détresse respiratoire aigu, qui est une des manifestations des formes graves de la maladie. L’obésité entraîne-t-elle un risque plus élevé de contracter l’infection, peut-être parce que le virus passerait plus facilement dans les adipocytes (les cellules graisseuses) ? Ou le système immunitaire est-il moins efficace du fait du surpoids ou de ses conséquences (comme le diabète ou la carence en vitamine D, souvent associés) ?

4) Pourquoi les symptômes de l’infection sont-ils si différents d’une personne à l’autre ?

Au côté des facteurs de risque comme l’obésité ou l’existence de pathologies chroniques respiratoires ou cardiovasculaires, des facteurs génétiques pourraient expliquer la grande variété des symptômes d’une personne à l’autre. On sait depuis un siècle que, du fait même de notre constitution génétique, nous ne sommes pas tous égaux devant les maladies infectieuses. Depuis une quinzaine d’années, ces facteurs de prédisposition génétique ont été identifiés pour certaines formes de grippe ou d’encéphalite.

Quelles sont les combinaisons de gènes (car il est très improbable qu’un seul gène soit impliqué) qui rendent plus sensibles à l’infection ? Un consortium international met actuellement en commun les prélèvements d’ADN faits chez des patients atteints de Covid-19   en réanimation, mais l’analyse de ces séquences d’ADN prendra des mois. À terme, il s’agira aussi de rechercher les facteurs génétiques de résistance, et non plus de sensibilité, à l’infection.

5) Pourquoi l’infection par le Covid-19   est-elle, en général, presque sans gravité chez les enfants ?

Les conséquences de l’infection par le Covid-19   sont plus graves chez les personnes âgées. Mais elles le sont aussi beaucoup moins chez les enfants, qui semblent pourtant contracter tout autant l’infection. Y a-t-il un continuum de gravité croissante de l’infection avec l’âge ? Ou y a-t-il une spécificité du système immunitaire de l’enfant, qui le protégerait davantage contre certaines infections virales ?

Un argument en faveur de cette thèse est que le Covid-19   n’est pas le seul à avoir des conséquences moins graves chez l’enfant que chez l’adulte. C’était déjà le cas lors des précédentes épidémies de coronavirus respiratoires (le SARS-CoV en 2003 et le MERS-CoV en 2012). Mais c’est aussi le cas de virus de familles très différentes, comme ceux qui causent la varicelle ou la rougeole, maladies beaucoup plus graves chez l’adulte que chez l’enfant.

Dès lors, il est tentant de supposer que le système immunitaire de l’enfant possède certaines propriétés qui le rendent plus résistant aux conséquences des infections virales. Est-ce parce que l’immunité innée, avec laquelle naît l’enfant, est plus efficace ? Si oui, comment la renforcer chez l’adulte ?

6) En cas de guérison, comment et combien de temps fonctionne la mémoire immunitaire ?

Après une infection, le système immunitaire humain conserve une forme de mémoire, qui se manifeste à la fois sous la forme d’anticorps circulant dans le sang et de leucocytes capables de reconnaître l’agent infectieux. Dans certains cas, comme la varicelle ou la rougeole, cette protection est totale et comme éternelle. Il très exceptionnel d’attraper deux fois ces maladies.

Centre de recherche de l’institut Pasteur travaillant sur le Covid-19  . © Thomas Samson/ AFP Centre de recherche de l’institut Pasteur travaillant sur le Covid-19  . © Thomas Samson/ AFP Les infections liées à des coronavirus semblent induire des mémoires immunitaires plus complexes. Quelques études anciennes suggèrent qu’une infection bénigne par un coronavirus, c’est-à-dire ne se manifestant que par un simple rhume, ne protège d’une nouvelle infection contre le même coronavirus que pendant un ou deux ans. Est-ce parce que la souche du virus a entre-temps évolué ? Ou est-ce parce que le système immunitaire ne peut conserver durablement la mémoire de ces infections antérieures ? Et si c’est le cas, pendant combien de temps cette protection est-elle efficace ? Et y a-t-il un risque de réinfection par le Covid-19   chez des patients guéris, comme on l’observe avec le virus à l’origine de la dengue ? Ces questions sont loin de n’être que théoriques. Elles conditionnent la manière dont le déconfinement sera mené sur la durée, en attendant un vaccin.

7) Combien de personnes sont-elles aujourd’hui immunisées contre le Covid-19   ?

Pour savoir si une personne est ou non infectée, les tests actuels recherchent l’ARN du Covid-19  . Ils sont coûteux et pas toujours parfaitement fiables. Pour savoir si une personne a été infectée par le virus (y compris de manière asymptomatique), il faudrait disposer d’un test sérologique, qui permettrait non pas d’identifier l’ARN du virus, mais les anticorps produits contre ce dernier, circulant dans le sang.

De nombreux laboratoires travaillent à la conception et à la fabrication à l’échelle industrielle de tels tests, moins onéreux et plus fiables. Ils devraient être disponibles dans les prochaines semaines. En attendant, plusieurs questions se posent. Avoir été infecté, y compris de manière bénigne, par d’autres coronavirus protège-t-il contre le Covid-19   ? La vaccination BCG confère-t-elle une immunité contre le Covid-19   ? Les arguments en ce sens sont aujourd’hui de nature épidémiologique (les pays où la vaccination est obligatoire semblent être moins atteints) et non individuelle (on ne peut démontrer qu’un individu vacciné a moins de chance de contracter une forme grave de l’infection). Mais il est envisageable que ce vaccin, ou d’autres, tout comme l’existence d’infections antérieures confèrent une immunité contre le Covid-19   que l’on est aujourd’hui incapable de mesurer.

8) Comment moduler l’action du système immunitaire pour soigner les patients infectés ?

L’essai clinique Discovery lancé à l’échelle européenne pour évaluer l’efficacité de certains traitements, dont la fameuse chloroquine, ne s’est préoccupé que d’étudier l’action de molécules antivirales. C’est là un effet de la fragmentation du monde scientifique entre virologues et immunologistes. Or, ces derniers ont découvert lors des deux dernières décennies une vaste famille de molécules dites immunomodulatrices, capables d’orienter l’action du système immunitaire.

La meilleure stratégie serait à l’évidence de bloquer la réplication du virus dans l’organisme infecté – ce qui passe par l’action de molécules antivirales – tout en stimulant le système immunitaire pour lutter contre l’infection grâce à des molécules immunomodulatrices.

Mais virologues et immunologistes sont deux communautés scientifiques largement séparées par un fossé que le sous-financement récurrent de la recherche publique n’a pas aidé à résoudre. De même qu’il a démontré les failles béantes de l’hôpital public épuisé par les coupes budgétaires, le Covid-19   met au jour la vacuité d’une politique de recherche centrée sur la valorisation à court terme plus que sur les connaissances fondamentales… celles-là mêmes dont on manque cruellement aujourd’hui.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 11 mai 2020

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