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Confinement : des enfants placés racontent



Médiapart - 8 mai 2020 - Par Sophie Boutboul -

Mediapart donne la parole à quelques-un·es des 180 000 enfants placés, qui subissent un confinement à part, loin de tout domicile parental. Ces adolescentes racontent ce qu’est leur vie confinée : stress, éducateurs épuisés… « C’est hyper dur. »

Leur voix est souvent étouffée, leurs vies invisibilisées. Mediapart donne la parole à quelques-un·es des 180 000 enfants placés (mineurs ou jeunes majeurs), qui subissent un confinement très à part, loin de tout domicile parental. Confiés aux services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE  ) des départements, ils sont hébergés en foyers, familles d’accueil ou en MECS (maisons d’enfants à caractère social associatives), avec une prise en charge souvent dégradée depuis sept semaines, déconnectés du repère que constitue l’école. Une épreuve inédite qui laissera des traces. Tranches de vie confinées.

-* Ova*, 15 ans, dans un lieu de vie de l’Orne : « Je stresse, je dors mal »

« Ma souffrance et mon stress ont augmenté avec le confinement. Il y a beaucoup de désorganisation, on ne se comprend pas toujours avec les éducateurs. Aujourd’hui, j’ai pleuré devant une éducatrice. Elle m’a dit que ça lui faisait quelque chose de me voir comme ça. On a échangé et ça s’est bien passé, mais ce n’est pas toujours le cas. La plupart du temps, quand on est triste, les éducs ne le remarquent pas. Ils te posent une question ; tu ne veux pas répondre ; ils se braquent. Alors, nous, on se referme et après on est obligé de faire semblant de rigoler.

Parfois, il y a des gros quiproquos. J’ai cru entendre “vous me faites chier” ou “vous me cassez les couilles” de la part d’une éduc. Vu qu’on est enfermé, ça arrive plus souvent, on ne se comprend plus trop, on ne se fait plus confiance. Moi, je ne leur fais plus confiance en tout cas.

Je stresse, je dors mal, je mange mal, et c’est plus extrême avec le confinement.

En plus, il y a trop de changements avec le coronavirus. Il y a beaucoup plus de remplaçants que d’habitude, ça part, ça vient, et il manque des effectifs. Moi, ça me déséquilibre un peu. Quand je vois ça, je n’ai plus trop envie de m’attacher aux éducs. Malheureusement, on est des êtres humains et on n’arrive pas à ne pas s’attacher… Même si les enfants placés sont à plaindre, je sais que c’est difficile aussi pour les éducs, vu que c’est mal organisé. C’est hyper dur.

Il y a des gens sur qui je comptais, et je me sens trahie. Je suis déçue par certains éducateurs. Si un jour il m’arrive vraiment quelque chose, je ne sais pas s’ils agiront vraiment.

Dans notre service, il n’y a jamais eu de viols ou de violences physiques : le chef de service est très vigilant. Mais il n’y a pas que les coups qui peuvent faire souffrir en foyer. Moi, j’ai mal à l’intérieur. Heureusement, il y a les psys qui sont présents par téléphone en ce moment. Ils prennent ma défense. Comme hier soir : j’ai dû négocier avec la veilleuse de nuit pour qu’elle veuille bien noter que je demandais des médicaments pour les douleurs de règles, pour que ce soit bien transmis au médecin. Elle ne voulait pas l’écrire dans le cahier de transmissions disant qu’ils avaient de quoi faire ici, mais moi je voulais avoir l’avis du docteur avant de prendre quelque chose.

Je tiens à dire : c’est pas parce qu’on est en foyer qu’on n’est pas des gens comme les autres, c’est juste qu’on n’a pas eu les mêmes opportunités. Et parfois, on a juste envie de dénoncer le système de l’ASE  , qui peut être hypocrite et mensonger au lieu de nous protéger avec amour. »

-* Awa, 12 ans et demi, dans une MECS du Val-de-Marne : « Les éducs en ont marre »

« C’est un peu chiant : en gros, tous les jours on fait la même chose. On sort dans le jardin, on fait nos devoirs, on mange. Quand je suis en cours, j’arrive à écouter ce que dit la prof, mais là, c’est plus dur, on enchaîne beaucoup les exercices sur des matières différentes. Heureusement, j’ai une chambre toute seule depuis deux semaines.

On sent que pour les éducs, c’est un peu difficile, qu’ils en ont marre : ils ont de la fatigue et ils sont pressés de rentrer chez eux.

Avant, je voyais mes parents toutes les deux semaines et maintenant, c’est que des appels. Je suis pressée que ça finisse.

Les éducs nous ont expliqué que c’était à cause du coronavirus qu’on ne pouvait plus les voir, plus sortir, pour ne pas l’attraper, pour être en sécurité. Même, parfois, ils portent des masques. Moi, ça me fait rien, mais les petits, ça leur fait peur. C’est pour pas nous rejeter leurs microbes de quand ils vont chez eux.

Ici, c’est impossible, on ne peut pas respecter les distances de sécurité. Quand un petit tombe, les éducs sont obligés de l’aider, et quand quelqu’un leur saute dans les bras, c’est difficile de garder ses distances. »

-* Agatha, 18 ans, en terminale, placée dès sa naissance, aujourd’hui en famille d’accueil : « Des tensions avec ma mère »

« J’ai de la chance actuellement d’être dans une famille d’accueil avec un grand jardin et beaucoup d’espace. Dans mon ancienne famille d’accueil, ça se passait très mal, j’étais obligée de faire le ménage tout le temps, les mercredis, les week-ends, quand j’avais pas cours. En été ou en hiver, l’assistante familiale nous enfermait dehors la journée, on ne pouvait pas rentrer et, pour les repas, elle nous donnait des restes à chaque fois. Heureusement, depuis, j’ai pu en parler à mon éducateur, partir, et désormais, depuis deux ans, j’ai une vraie vie de famille.

Depuis que les cours se sont arrêtés, je travaille seule. Je n’ai pas trop d’aide de ma famille d’accueil, car ils n’ont pas beaucoup fait d’études, mais je me débrouille, j’appelle mes amis.

Le confinement ajoute surtout des tensions avec ma mère. Elle me dit que je pourrais trouver un moyen de lui rendre visite chez elle et m’en veut de ne pas avoir pu me déplacer pour la voir à Noël à cause des grèves.

Heureusement, ici, on est bien protégés. Je ne suis pas sortie depuis le début du confinement et mon assistante familiale n’est allée que deux fois faire les courses. Avec sa fille et les deux autres petits de 13 et 14 ans placés ici, on n’avait pas le droit d’y toucher tant que c’était pas désinfecté.

C’est ma vie, je suis une enfant placée, et je ne trouve pas ça honteux. J’ai commencé un peu à lire mon dossier avec des rendez-vous en présence d’une psychologue et je me dis que c’était mieux que je sois placée, sincèrement.

Mais je m’inquiète pour mon « contrat jeune majeur » [avec le département – ndlr] qui s’arrête au mois de juin. Je dois le renouveler tous les six mois, mais si les inscriptions en école d’aide-soignante sont reportées, on risque de ne pas me le renouveler. Mon éducatrice m’appelle environ une fois par semaine pour savoir comment ça se passe pour le bac. J’espère que ça ira. »


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 11 mai 2020

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