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Gilles Yabi : « Montrer que la Côte d’Ivoire peut sortir d’une crise politique profonde par une élection démocratique »



RFI, 27 Octobre 2010 - Le premier tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, reportée à maintes reprises depuis la fin du mandat du président Laurent Gbagbo en octobre 2005, est toujours prévu le 31 octobre. Gilles Yabi, journaliste et consultant, analyse les grands enjeux du scrutin.

Suspicion tous azimuts

Malgré les déclarations et les promesses des uns et des autres, le doute aura subsisté jusqu’au dernier jour sur la tenue du premier tour la présidentielle en Côte d’Ivoire. Ainsi, à dix jours du scrutin, les représentants des partis d’opposition au sein de la CEI ont contesté le rôle technique mais crucial confié à une société privée, filiale d’un bureau d’étude national dirigé par un proche du président Gbagbo, dans le traitement informatique des résultats issus des urnes. Après plusieurs réunions de crise, la commission électorale a annoncé avoir renoncé au traitement informatique et adopté le comptage manuel sur la base des procès-verbaux de dépouillement qui seront établis dans chaque bureau de vote. Le Front patriotique ivoirien (FPI) du candidat-président Gbagbo, en minorité au sein de commission électorale, a immédiatement qualifié cette décision d’inacceptable. Le Premier ministre Guillaume Soro a enfilé une énième fois son costume de négociateur et a fini par parvenir à une solution consensuelle sur le comptage des voix qui intègre finalement un traitement informatique mais sous le contrôle d’un comité d’expert, ce qui donnerait bien plus de chances à la commission électorale de proclamer les résultats provisoires dans le délai de trois jours maximum fixé par la loi. Cette soudaine montée de fièvre illustre la fragilité de la cohésion au sein d’une commission électorale qui est une agrégation des intérêts des partis politiques.

Quels sont les risques d’incidents le jour de l’élection ?

Le 31 octobre, le risque de dérapages violents devrait être plutôt faible, si les agents électoraux dépêchés dans tous les bureaux ont été bien formés sur les procédures et que le matériel électoral complet ne fait défaut nulle part. Les erreurs constatées sur un nombre apparemment non négligeable de cartes d’électeurs – noms mal orthographiés, inversion du nom et du prénom, voire erreur sur la photo -, risquent cependant d’empêcher certains de voter, et bien sûr de générer des frustrations. Le calme et la maîtrise des agents électoraux ainsi que la présence effective des forces chargées de la sécurisation des bureaux de vote seront déterminants pour contenir d’inévitables accès de nervosité d’électeurs déçus ici et là.

Il n’y a cependant, à priori, pas de raison de s’attendre à une multiplication d’incidents le jour de vote de nature à remettre en cause l’ensemble du scrutin. Par contre, dans les fiefs électoraux des trois candidats favoris, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, il n’est pas exclu que des groupes de militants veuillent empêcher les électeurs présumés des adversaires de leur candidat de voter librement. On courrait alors le risque de passer d’incidents mineurs à des dérapages majeurs susceptibles de conduire à des demandes d’annulations de la totalité des suffrages dans de grandes circonscriptions électorales. Dans ce cas, le scénario d’un déchirement au sein de la CEI entre la fin du vote et la proclamation des résultats provisoires et d’une contestation par anticipation de l’arbitrage ultime d’un Conseil constitutionnel présumé favorable au président sortant, sera - hélas- le plus probable.

Faut-il s’attendre à une contestation postélectorale ?

Une excellente organisation du scrutin de l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à la fin du dépouillement des bulletins éliminerait à l’évidence une bonne partie des sources de contestations postélectorales. Mais même dans ce cas, le risque d’une crise ne sera pas écarté jusqu’à la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel et la certification de cette dernière étape par le chef de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Le processus électoral aura alors traversé trois phases critiques : celle de la centralisation des résultats issus des urnes et consignés dans les procès-verbaux au niveau départemental, régional puis national ; celle de la proclamation des résultats provisoires par la CEI et celle de la validation de ces résultats par le Conseil constitutionnel après examen des éventuelles contestations des différents candidats auprès de cette institution qui est l’ultime juge électoral.

Comme la crise au sein de la CEI au sujet du mode de comptage électronique ou manuel des résultats l’a montré, les représentants des partis des trois favoris, PDCI, RDR et FPI, seront extrêmement vigilants tout au long du processus. En Côte d’Ivoire plus qu’ailleurs dans la région, les grands partis – et pas seulement celui du président sortant - ont mobilisé des moyens humains, techniques et financiers conséquents pour livrer une bataille électorale à laquelle ils se préparent depuis plusieurs années. Les candidats éliminés à l’issue du premier tour – et en particulier celui des trois « grands » qui ne passera pas cette étape-, n’accepteront facilement le verdict que si les conditions de l’organisation de l’élection à chaque phase se rapprochent de la perfection.

L’enjeu démocratique

La Côte d’Ivoire peut y arriver. Avec l’assistance de ses partenaires internationaux, à commencer par la mission civile et militaire des Nations unies forte de 10 000 personnes qui pourra enfin convaincre tous les Ivoiriens de l’importance décisive de sa longue et coûteuse présence sur leur territoire. Montrer que ce pays africain à l’immense potentiel peut sortir d’un conflit armé et d’une crise politique profonde par un processus électoral démocratique qui ne laisse pas de place à la tricherie à grande échelle et à la violence, tel est le réel enjeu de l’épreuve du 31 octobre 2010. Il est bien plus important que celui de savoir si le prochain président s’appellera Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié ou Alassane Ouattara. L’élection présidentielle ne sera après tout que le premier d’une série de rendez-vous électoraux. Il y aura encore beaucoup de bonnes places à prendre pour les élites politiques ivoiriennes à l’occasion des élections législatives, départementales et municipales à venir. Ceux qui prendraient le risque de faire replonger le pays dans le chaos dès le lendemain de la première échéance ne s’en relèveront probablement jamais.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 27 octobre 2010

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