Auteurs : ALEXANDRE GRANGEIRO est chercheur de l’Institut de Santé et Directeur du Programme National de Sida entre 2003 et 2004 (Brésil).
MARIA CLARA GIANNA est médecin, coordonnatrice adjointe du Programme de Sida de l’Etat de Sao Paulo (Brésil).
En 1996, le Bresil a adopté une loi de propriété intélectuelle avec
l’espoir d’obtenir des progrès technologiques et de développer l’industrie. Après neuf ans, ce que l’on a obtenu c’est une augmentation des dépenses en santé et le risque d’extinction du Programme Brésilien sur le Sida . Et ce n’est pas seulement le Brésil que vit cette situation. La même chose se passe en Afrique, Amérique Latine, Asie...La raison ? Les laboratoires brésiliens, indiens et chinois, grands producteurs de génériques ne peuvent pas produire
et commercialiser les nouveaux médicaments contre le Sida . Pendant 20
ans, ce sera un droit exclusif des grands laboratoires qui auront des
bénéfices exorbitants et rendront difficile l’acces aux médicaments à plus de six millions de personnes vivant avec le VIH et le Sida .
Avec cette loi sur les brevets, le droit à la vie s’est transformé en
commerce et seul celui qui a de l’argent peut l’acheter. Un exemple ? Le
traitement avec les médicaments des grandes industries pharmaceutiques
peut couter jusqu’à 12 mille US$ par an. Une quantite quatre fois plus
importante que le PIB per capita d’un pays africain, près de 3,4 mille US$ par an.
L’industrie allegue que les prix servent au financement des coûts de la
recherche et du développement de nouveaux médicaments, mais si l’on
regarde rapidement le bilan financier des compagnies, nous pouvons avoir des doutes sur l’affectation de cet argent. Les Laboratoires Merck, qui vendent l’un des plus chers medicaments pour le traitement du Sida , a dépensé en 2002 trois fois plus en marketing qu’en recherche. Une question : Est-ce que le malade a besoin de publicité pour le convaincre à utiliser des médicaments qui sont essentiels pour sa vie ? Non, bien sur. Le marketing est essentiel pour que les compagnies incitent l’utilisation d’un médicament au lieu d’un autre, pour augmenter leurs ventes et, après, augmenter les prix.
Cette combinaison" éthique douteuse, prix élevés et pauvreté des pays en
développement " est catastrophique. Sans les médicaments, 129 millions
de personnes vont mourir dans le monde d’ici 2015, l’économie augmentera de 3% moins que l’on peut l’esperer et les personnes qui naitront dans l’un des sept pays les plus frappés par l’épidemie, auront une espérance de vie égale à celle de l’Europe il y a 600 ans : 40 ans.
Mais la solution est simple. En 2001, l’Organisation Mondiale du
Commerce(OMC) a adopté une résolution pour que les pays puissent défendre le droit à la sante de leurs habitants malgré les accords de commerce. La résolution prévoit la production nationale de génériques ou l’importation de médicaments des pays qui les produisent à des meilleurs prix. Le principal instrument pour cela est la license obligatoire, appelée “rupture des patentes”.
L’OMC a dit : quand la santé d’une population est en danger, les gouvernements peuvent appliquer la license obligatoire et autoriser les
laboratoires nationaux à produire les médicaments bon marché. Selon la
législation brésilienne, cela peut se faire avec une simple action du
ministre de la Santé. Et c est exactement ce qu’attend la population
brésilienne de son gouvernement.
Pour ces raisons, le programme de Sida au Brésil peut être menacé et des
milliers de personnes peuvent rester sans médicaments. Les données sont
irréfutables. Le gouvernement dépense R$ 590 millions chaque année pour
acheter des antirétroviraux et les couts augmentent systématiquement.
Trois médicaments importés consomment plus de 70% de cette somme. Pour
couvrir les dépenses de l’année 2005, il a été nécessaire d’augmenter le budget de la santé en plus de R$ 300 millions. Cela represente assez d’argent pour doubler les ressources envoyées aux 150 municipalités les plus frappées par le Sida et pour tripler l’aide financière aux projets des ONGs.
Quelques secteurs plus naïfs de la société peuvent se demander :
pourquoi rompre les brevets des médicaments contre le Sida pour en faire bénéficier à seulement 200 milles personnes qui vivent avec cette maladie ? Pourquoi se disputer avec les laboratoires pharmaceutiques et supporter les représailles des Etats Unis ? La réponse est simple : en plus de réduire les couts et garantir la vie des malades, l’accès aux médicaments est important pour la prévention. C’est pour cela que le Brésil est arrivé à l’an 2000 avec seulement la moitié des 1,2 millions d’infectés prévus par la Banque Mondiale.
La santé est un bien qui doit être protégé, c’est un probleme des
droits de l’homme. Le gouvernement ne peut pas hésiter et ajourner la décision s’il ne veut pas être considéré responsable de la mise en danger de la vie de la population. L’industrie pharmaceutique doit avoir une attitude plus éthique, réduire ses marges bénéficiaires et créer des processus de transfert de technologie aux pays pauvres, pour éviter, à l’avenir, des situations comme celle qui existe actuellement.