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Côte d’Ivoire : La récolte de cacao confrontée à la pourriture brune


Abidjan, 27 juillet 2010 (IRIN) - Dans la région productrice de cacao du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, les récoltes de milliers de producteurs locaux sont actuellement décimées par une attaque de pourriture brune des cabosses du cacaoyer.

La maladie s’est déclarée dans les villes côtières de San Pedro, Tabou et Sassandra, situées entre 380 et 500 kilomètres à l’ouest d’Abidjan, capitale économique du pays.

Chaque ville a enregistré 10 jours de pluie en 20 jours fin juin et début juillet, selon la Direction de la météorologie nationale ; or, la maladie de la pourriture brune (également connue sous le nom de pourriture des cabosses) prolifère dans l’humidité : elle rend les cabosses de cacaoyers noires et visqueuses, et les fèves immangeables et invendables.

Ces derniers jours, des spéculateurs financiers se sont déclarés inquiets de ce que ces fortes précipitations puissent entraîner une augmentation du prix du cacao sur les marchés internationaux. Les prix mondiaux du cacao ont atteint des sommets jamais égalés depuis 33 ans, mais en Côte d’Ivoire, ils ont profité aux intermédiaires et aux exportateurs, plutôt qu’aux producteurs.

Six millions d’Ivoiriens dépendent de la production de cacao pour survivre. La Côte d’Ivoire compte environ 900 000 cultivateurs de cacao et a produit 1,22 million de tonnes de cacao en 2009, soit 36 pour cent de la production mondiale, d’après l’International Cocoa Organization. Le cacao est une des principales sources de devises du pays, auquel il a rapporté un milliard de dollars en 2006, contre 1,3 milliard pour le pétrole et autres produits raffinés, selon le Fonds monétaire international.

Or, cette année, la récolte devrait être équivalente ou inférieure à celle de 2009, qui était la moins abondante des cinq dernières années, selon la Fairtrade Foundation.

Si l’attaque actuelle de pourriture brune ne touche qu’un pourcentage relativement faible de producteurs, nombre d’entre eux craignent qu’une propagation de la maladie n’ait des conséquences dévastatrices.

Anais Koffi, producteur de cacao près de la petite ville portuaire animée de San Pedro, a rapporté qu’il avait abattu un arbre sur 10 pour tenter de maîtriser la propagation de la maladie.

« En cette période de l’année, normalement, je devrais pouvoir remplir de fèves quatre sacs de jute, mais pour l’instant, je n’ai réussi qu’à en remplir un seul ; voilà la gravité de la situation. Actuellement, la pourriture brune est en train de dévorer la région de San Pedro ».

Les producteurs de cacao ivoiriens ont connu de nombreux revers ces 10 dernières années, notamment l’attaque de swollen shoot, une maladie virale transmise par des cochenilles, qui a décimé les plantations du centre de la Côte d’Ivoire, ainsi que le déplacement forcé de milliers de fermiers, qui ont quitté leurs plantations dans l’ouest, pendant la guerre civile de 2002-2004.

Lutter contre la pourriture brune

Les organismes publics de Côte d’Ivoire doivent en faire plus pour aider les producteurs à lutter contre la pourriture brune des cabosses, a estimé Bile Bile, vice-président de l’ANAPROCI, premier syndicat de producteurs du pays.

« Les organismes publics qui devraient jouer leur rôle ne le font pas. Ils sont comme des médecins qui réagissent après la mort du patient », a dit M. Bile à IRIN.

Pour traiter la maladie de la pourriture brune, il faut pulvériser les cacaoyers d’insecticide et de fongicide une fois par mois, mais à ce jour, seul un petit nombre de plantations a été pulvérisé.

Le Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao (FDPCC), un organisme public, prévoit de distribuer des substances chimiques pour permettre de traiter 550 hectares à l’insecticide et 225 au fongicide, cette année, pendant la période de production du cacao, qui débute le 1er octobre, a déclaré à IRIN Patrice Rox, porte-parole du FDPCC.

« Cela ne suffit pas pour traiter les trois millions d’hectares du pays. Ce traitement est tellement coûteux que les producteurs ont recours à des méthodes précaires et dépassées - le retrait des cabosses pourries ou l’abattage des arbres pour faire passer l’air », a-t-il expliqué.

Seuls, les producteurs n’ont pas les moyens de pulvériser leurs plantations, a dit à IRIN M. Koffi à San Pedro, en désignant d’un geste sa récolte de cabosses de cacaoyer noircies et gluantes : « Le traitement est difficile et coûteux. Il faut penser au coût mensuel de location du pulvérisateur, et au coût du carburant pour aller en ville chercher la machine, et pour faire fonctionner la machine elle-même. Ce n’est pas facile ».

Où vont les impôts ?

Les exportateurs doivent s’acquitter de taxes exorbitantes sur le cacao qu’ils exportent, des frais qui se répercutent sur les producteurs, réduisant leurs revenus et ne leur permettant de dégager que de maigres bénéfices à réinvestir dans leurs plantations, selon Bile Bile.

Une taxe spécifique - environ deux centimes de dollar le kilo - est imposée pour couvrir les frais annuels de pulvérisation de pesticides sur les cacaoyers.

« Les frais de pulvérisation de pesticides sont perçus pendant toute l’année ; alors, pourquoi les produits ne peuvent-ils pas aussi être distribués convenablement pendant l’année ? Nous ne comprenons pas comment plusieurs milliards de francs de frais peuvent être perçus à chaque fois, sans que l’on ait assez de fonds pour traiter ne serait-ce qu’un million d’hectares », s’est étonné M. Bile de l’ANAPROCI.

Le prix au producteur - prix que paient les intermédiaires pour acheter leurs fèves aux producteurs - s’élevait en moyenne à 1,99 dollar le kilo le 18 juillet, selon les marchés boursiers internationaux. Au Ghana voisin, où les intermédiaires versent le double de ce prix aux producteurs, la production annuelle a augmenté pour atteindre environ 700 000 tonnes, contre 500 000 tonnes il y a trois ans, d’après le Cocobod, l’organisme responsable de la commercialisation du cacao au Ghana.

La Banque mondiale réclame la réduction des taxes ivoiriennes afin que « les revenus du cacao soient perçus d’abord et avant tout par le producteur », pouvait-on lire dans un rapport publié cette année par le représentant national de l’organisme.

Des maladies négligées

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement doit lutter contre une maladie touchant le secteur de la production cacaoyère. En 2000, les producteurs de la région centre-sud de Sinfra ont été frappés par le virus du swollen shoot - parfois désigné sous le nom du sida   du cacao - qui a détruit 40 pour cent des plantations de la région.

Le pays se trouvait encore au plus fort de la guerre civile, « alors personne n’y a fait attention [à l’attaque du virus du swollen shoot] », a raconté Adou Ebotie, directeur de la branche de l’Agence nationale d’appui au développement rural (connue sous le nom d’Anader) à Sinfra.

« Une fois que le swollen shoot s’est déclaré dans une région, trois ans plus tard, cette région est dévastée », a dit M. Ebotie à IRIN.

Un projet public de recherches sur le swollen shoot, doté d’un budget de 1,67 million de dollars, a été suspendu en juin 2008, lorsque 23 membres des organismes responsables de la production de cacao, qui avaient contribué à définir les plans de recherche, ont été arrêtés pour corruption. De même, les travaux d’une commission formée pour examiner les différentes pratiques observées dans le secteur ivoirien du cacao sont retardés, en partie parce que les producteurs sont mécontents de bon nombre des recommandations de la commission.

Cette année, Kouassi N’Guessan, cultivateur dans la ville voisine de Bouaflé, a abandonné la plantation de cacaoyers de son père, après la destruction de 16 de ses 17 hectares de cacao. « Je plante des hévéas à la place, mais il faut compter deux ans pour qu’ils arrivent à maturité et puissent nous rapporter de l’argent. C’est dur d’avoir de l’espoir. Nous sommes malheureux parce que nous avons perdu notre moyen de subsistance ».


Publié sur OSI Bouaké le jeudi 2 septembre 2010

 

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