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Le « recyclage » des combattants en RDC



Goma, 2 septembre 2013 (IRIN) - Le M23, qui affronte actuellement l’armée de la République démocratique du Congo (RDC) et les forces des Nations Unies près de Goma, la capitale du Nord-Kivu, n’est que l’un des plus de 30 groupes armés opérants dans l’est du pays. Tous ces mouvements doivent constamment reconstituer leurs effectifs, amaigris par les pertes dues à des blessures ou des désertions. Aucune affiliation passée à une autre milice ne représente un obstacle au recrutement.

Après un an au service des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), basées en RDC, Céléstin Kabeya*, ancien combattant de 19 ans, a peur de rentrer chez lui. Il dit qu’il serait à nouveau recruté de force dans l’une des trois milices qui sévissent dans la région.

M. Kabeya a dit à IRIN qu’il avait été obligé de joindre les FDLR en 2012 lorsqu’une patrouille était passée dans la ferme de sa famille, sur le territoire de Rutshuru, dans le Nord-Kivu.

« Ils m’ont d’abord demandé de les aider à transporter de l’eau, puis ils m’ont demandé leur chemin. Je leur ai montré la direction et ils m’ont dit de ne pas rentrer. Ils ne m’ont donné aucune formation militaire. Ils m’ont juste remis une mitraillette », a-t-il expliqué.

M. Kabeya a ajouté qu’ils étaient sept Congolais dans une unité des FDLR d’environ 50 combattants - exilés rwandais pour la plupart - dont quatre étaient des enfants soldats. Non rémunérés, ils survivaient uniquement grâce au pillage.

« L’idée de rentrer chez moi m’inquiète. J’ai peur de rentrer, car il y a trois groupes [armés] là-bas. Je serais encore recruté de force. J’envisage de chercher un proche à Goma chez qui vivre », a-t-il dit. Les groupes opérants dans sa région d’origine sont les FDLR, les Forces de défense congolaise (FDC) et l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS).

Pris dans l’engrenage

Dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, il n’est pas rare de rejoindre successivement plusieurs milices différentes ou d’être « recyclé » dans d’autres groupes armés.

Rufin Kapiamba*, ancien combattant de 21 ans, a dit qu’il s’était engagé volontairement dans la Nduma Defence of Congo (NDC/Sheka) pour se venger des FDLR, dont il avait vu des membres décapiter son oncle près de Pinga, dans le Nord-Kivu. Il a intégré un détachement de 52 combattants, dont un tiers étaient des enfants.

Selon ses dires, Sheka Ntaberi, le chef du groupe, aurait d’abord intégré les FDLR avant de créer sa propre milice. Les deux groupes armés ont tout d’abord coexisté pacifiquement sur un territoire regorgeant de richesses minières avant de s’opposer sur le contrôle des ressources naturelles.

« Lorsque nous capturions des [combattants des] FDLR, nous les tuions en leur coupant la tête. J’avais peur de faire ça. Les enfants les tuaient par balle. Ils n’étaient pas prêts pour leur couper la tête », a dit M. Kapiamba.

Il a tenté de déserter quatre fois, en vain. « Mes deux amis se sont fait tuer [en essayant de s’échapper] », a-t-il dit en tirant sur son T-shirt détendu pour montrer sa cicatrice d’une blessure par balle juste sous la clavicule.

M. Kapiamba a fini par être capturé par l’APCLS lors d’échauffourées pour le contrôle d’une mine d’or. Sa connaissance de première main de la NDC/Sheka lui a valu d’être intégré à la milice en tant qu’officier de renseignement, ce qui lui a probablement sauvé la vie. Il s’est échappé un mois plus tard et a parcouru plus de 30 km pour se rendre à Kitchanga, où il s’est livré à la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO).

Il est actuellement en train de suivre le processus de démobilisation au centre de désarmement, démobilisation, réintégration, rapatriement et réinstallation (DDRRR) de la MONUSCO à Goma.

Il sera cependant difficile pour M. Kapiamba de réintégrer la vie civile. Il veut terminer les deux années d’école secondaire qui lui manquent et vivre avec sa soeur à Goma. Or il n’a d’autres possessions que les vêtements civils qu’il porte.

Lorsqu’il faisait partie des groupes armés, M. Kapiamba était payé entre 15 et 20 dollars tous les quelques mois. Il était chargé de tenir des postes de contrôle et d’imposer des « taxes » aux personnes qui se rendaient sur les marchés - 200 francs congolais (0,21 dollar), ou des denrées alimentaires - pour les remettre à ses supérieurs. Ses chances sont maigres de retrouver une source de revenus en tant que civil.

Démobilisation et intégration

Pendant près de dix ans, des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) ont été mis en oeuvre en RDC, à commencer par le programme de désarmement et réinsertion communautaire (DRC) en Ituri, qui a débuté en 2002. Ces programmes aidaient d’anciens combattants à réintégrer la vie civile par le biais de prestations en espèces ou en nature (en leur offrant des vélos ou des formations professionnelles, par exemple). Des dizaines de milliers d’anciens combattants au moins ont bénéficié d’un programme national de DDR.

Une autre stratégie consistait à intégrer les anciens rebelles aux services de sécurité. La Commission nationale pour le DDR a été créée en 2003. L’année suivante, après la signature d’un accord de paix par dix groupes armés, « 330 000 combattants étaient estimés pouvoir bénéficier » du programme de transition vers la vie civile, selon le rapport d’avril de Small Arms Survey (SAS).

Le programme a été étendu à 22 autres groupes armés après la signature d’une autre série d’accords de paix en 2008. Pourtant, « malgré la hausse du nombre de groupes armés pouvant bénéficier du DDR, le nombre de combattants ayant participé aux programmes de DDR menés par le gouvernement était moins élevé que prévu », est-il écrit dans le rapport. « Ceci s’explique par le choix du gouvernement de la RDC d’intégrer directement ces 22 groupes armés (soit environ 20 000 combattants) à l’armée et à la police nationales. »

Le programme national de DDR a pris fin en septembre 2011. Selon les analystes, ces deux processus - à savoir le DDR et l’intégration dans les FARDC - ont eu des résultats mitigés. Cependant, avec l’application récente du mandat offensif des Nations Unies de « neutraliser » les groupes armés dans les Kivu, des milliers de combattants pourraient bientôt quitter les rangs des rebelles - par défaite ou défection - sans disposer d’aucun autre moyen de subsistance.

Federico Borello, de la sous-commission sénatoriale américaine des affaires africaines, a dit dans une réunion d’information en avril qu’il était « impératif de concevoir et mettre en oeuvre un nouveau programme de DDR [...] et d’offrir des solutions alternatives pour le retour à la vie civile, telles que des projets de construction de routes ou d’autres opportunités professionnelles ».

Ceux qui opteraient pour une intégration au sein des FARDC « devraient être formés puis déployés dans des unités militaires à travers le pays ; ils ne devraient pas rester dans des unités opérant dans une zone où ils agissaient en tant que groupes armés », a-t-il précisé.

Par le passé, de telles propositions d’écarter les groupes armés de leur zone d’opération avaient rencontré une forte résistance, car elles empêchaient les milices de continuer à percevoir des rentes après avoir intégré les FARDC.

Selon M. Borello, une telle initiative d’intégration devrait également s’assurer que « les responsables de violations graves [des droits de l’homme] n’intègrent pas l’armée, mais soient arrêtés et poursuivis en justice ».

Perte d’attrait de l’intégration

Selon un rapport récent du Rift Valley Institute (RVI), le groupe Maï-Maï Yakutumba est sur le point d’être intégré aux FARDC, bien que cette stratégie d’intégration soit considérée comme étant loin d’être favorable.

« L’aspect unilatéral de l’intégration militaire des groupes rebelles a été un échec », estime le rapport, et il ne résout pas « le problème de l’impunité pour les chefs rebelles soupçonnés de crimes graves ».

Selon un analyste basé à Goma, qui a souhaité garder l’anonymat, l’expérience de l’intégration du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe armé qui serait soutenu par le Rwanda, a entaché la conception que le gouvernement se fait de l’intégration.

Un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec le CNDP prévoyait l’intégration du mouvement au sein des FARDC. Cependant, en 2012, d’anciens membres du CNDP avaient affirmé que le gouvernement avait manqué à ses obligations en ne leur accordant pas le grade prévu au sein de l’armée et en ne leur versant pas leur salaire. Ce différend avait conduit à la création de la milice du M23, qui tire son nom de l’accord de paix de 2009.

« Le [gouvernement de la] RDC ne veut pas intégrer les groupes armés à l’armée. La communauté internationale fait pression en ce sens, mais les Congolais ne le veulent pas », a dit l’analyste de Goma à IRIN.

Selon ce même analyste, l’objectif de l’intégration était de démanteler la structure de commandement des groupes armés, mais la précipitation de Kinshasa lui a valu la suspicion des anciens hauts gradés du CNDP. « Il aurait été mieux d’agir progressivement. De le faire subtilement. D’envoyer quelques [officiers du CNDP] à l’étranger pour être formés, d’en redéployer certains à Kinshasa [la capitale]. De faire quelque chose comme ça. »

En réalité, l’intégration en RDC a réuni des groupes armés entiers dans une seule et même unité des FARDC. La distribution d’uniformes des FARDC aux anciens rebelles devient ainsi essentiellement un camouflage pour l’absence d’autorité du gouvernement.

L’instabilité pour la sécurité

Le Rwanda, soutien présumé du M23, peut, grâce à cette force alliée à sa disposition, déstabiliser la région, a dit l’analyste de Goma. Ce que le pays n’hésite pas à faire « chaque fois que la situation s’améliore [dans les Kivu] ».

Selon cet analyste, la stabilité dans les Kivu est vue comme une plus grande menace contre la sécurité du Rwanda que l’instabilité, qui permet au Rwanda d’exercer son influence sur la région.

À cause du cycle de violence dans les Kivu, un nombre incalculable de jeunes hommes sont exposés au recrutement, volontaire ou non, par les milices et passent ensuite fréquemment d’un groupe armé à l’autre.

Un ancien combattant de 22 ans, qui a souhaité garder l’anonymat, a dit avoir rejoint volontairement un groupe armé après avoir été témoin du viol de sa soeur et de sa mère par des combattants Maï-Maï affiliés au CNDP. Il a ensuite passé quatre ans à servir au sein de groupes armés - d’abord les FDLR, puis les Nyatura, une milice hutu. Il prévoit maintenant d’échapper au « recyclage » dans un autre groupe armé.

« Je retourne à Nyamilima [dans le Nord-Kivu] pour aider ma mère à la ferme », a-t-il dit à IRIN. « Les FARDC contrôlent la zone, mais si [les groupes armés] reviennent, je m’échapperai en civil. »

*noms fictifs


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 2 septembre 2013

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