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La planète est assez riche. Vers la gratuité de l’alimentation



l’Humanité, Vendredi 12 Avril, 2019 - Paul Ariès - Alors que le gouvernement pense faire œuvre utile avec le repas scolaire à 1 euro pour les plus pauvres, l’Observatoire international de la gratuité (OIG) défend le principe de sa gratuité pour tous.

La grande question au XXIe siècle n’est pas de savoir si les humains pourraient coloniser Mars mais comment nourrir 8 à 10 milliards d’humains. La faim dans le monde n’est pas la conséquence d’un régime alimentaire trop carné mais d’un système économique qui a breveté le vivant, cassé l’agriculture vivrière, généralisé le gaspillage, fait de l’alimentation une marchandise. La gratuité de l’alimentation est la seule façon de respecter le droit à l’alimentation reconnu internationalement depuis 1964.

Ce droit n’est pas celui à une ration minimale de calories, ce n’est pas le droit à être nourri mais à se nourrir, c’est-à-dire à disposer d’une alimentation suffisante, de qualité et choisie. Ce droit est pourtant violé par le système marchand, un humain sur huit est sous-alimenté, un enfant sur six souffre dans les pays pauvres d’insuffisance pondérale, un sur quatre connaît un retard de croissance. Les pays riches comme la France sont également concernés puisque la population mal nourrie oscille entre 3,7 et 7,1 millions de personnes. Nous pouvons, dans le secteur de l’alimentation, comme dans les autres domaines, penser que l’avenir est à une civilisation de la gratuité. Soutenir que l’alimentation devrait être gratuite pourrait sembler être une provocation, mais c’est alors une provocation à rêver, à penser, à agir.

Cette utopie est réaliste puisque le seul gaspillage alimentaire nord-américain (100 milliards de dollars par an) dépasse ce qui serait nécessaire, selon des experts de l’ONU  , pour résoudre le drame de la faim dans le monde (30 milliards de dollars par an pendant vingt-cinq ans). Cette gratuité de l’alimentation sera, bien sûr, construite, et d’abord sur le plan économique, comme l’est celle de l’école. La gratuité, ce n’est pas en effet le produit débarrassé du coût mais du prix. Cette gratuité sera également culturellement et politiquement construite. Il ne s’agit pas de rendre toute alimentation gratuite, mais celle qui correspond à notre conception de l’agriculture et de l’élevage, à notre conception de la table. Il ne s’agit pas, bien sûr, de songer à instaurer du jour au lendemain la gratuité de l’alimentation, mais de construire le passage du tout-marchand au un peu moins marchand, puis au plus marchand du tout. Ce passage à la gratuité de l’alimentation pourrait suivre trois grandes étapes.

Première étape  : la gratuité de la restauration scolaire. L’instauration de la gratuité serait la seule façon de rendre effectif le droit à la cantine pour tous, longtemps refusé par la droite, reconnu par la loi depuis janvier 2018, mais sans cesse bafoué, car il ne s’applique que si le service de cantine existe déjà et que si le nombre de places est suffisant. Il faut donc aller plus loin et instaurer pour les communes l’obligation de créer des cantines et d’y accueillir tous les enfants. On n’imagine pas une école refuser un enfant sous prétexte qu’elle n’aurait pas assez de bancs, pourquoi l’accepter pour la cantine  ? Cette gratuité de la restauration scolaire est recommandée par l’Unicef car c’est un instrument essentiel de scolarisation, notamment des jeunes filles.

Au Kenya, 1,3 million d’enfants ont regagné les bancs de l’école grâce au repas gratuit  ! De nombreux pays du nord de l’Europe, comme la Suède, pratiquent la gratuité de la restauration scolaire depuis plus de dix ans et durant les neuf années d’enseignements obligatoires. L’objectif n’est pas seulement diététique mais culturel, car apprendre à bien manger est aussi important que d’apprendre à lire et à compter. La Suède le peut  ! Pourquoi pas la France  ? Il ne s’agit pas bien sûr de rendre gratuite l’alimentation telle qu’elle existe mais d’utiliser la gratuité pour repenser notre alimentation et donc aussi notre système agricole, pour défendre, par exemple, une agriculture et un élevage paysans, pour aller vers une alimentation relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, assurant la biodiversité, une cuisine faite sur place et servie à table, etc.

La deuxième étape pour avancer vers la gratuité de toute l’alimentation sera d’instaurer la gratuité de toute la restauration sociale, à commencer par celle de la restauration d’entreprise, hospitalière, des maisons de retraite, des Ehpad, etc.

La grande chance de la France, c’est que ce secteur social représente plus d’un repas hors foyer sur deux. La restauration sociale peut donc être un excellent levier pour développer d’autres politiques agricoles. Il suffirait de modifier le cahier des charges du Code des marchés publics pour réussir la transition écologique.

La troisième étape pourrait prendre la forme de paniers bio locaux à la disposition des citoyens, un peu sur le modèle des Amap. Ce serait la seule façon d’instaurer le droit au bio pour tous et un levier pour la relocalisation. On pourrait, pour cela, généraliser le modèle des régies municipales fermières, permettant d’installer des paysans, les grandes villes privées de terres suffisantes pourraient s’accorder avec des communes périurbaines ou rurales. J’entends déjà les durs-à-jouir  : la gratuité serait contraire à la qualité de l’alimentation. Allons donc  : la malbouffe est bien payante que je sache  ! J’entends les mêmes pisse-froid dire  : ce qui est gratuit n’aurait pas de valeur  ! Allons donc  : l’alimentation mondiale est marchande mais 36 % sont gaspillés  ! Prenons l’exemple de la ville de Mouans-Sartoux, qui a développé une restauration scolaire 100 % bio local avec une réduction de 75 % des quantités gaspillées et un coût matière plus faible que la moyenne des cantines  ! L’heure est bien à multiplier ces îlots de gratuité avec l’espoir qu’ils deviennent demain des archipels et après-demain de nouveaux continents. La planète est assez riche pour donner à chacun de quoi vivre bien, et ce «  vivre bien  » comprend, bien sûr, l’éducation, la santé, le logement, mais aussi l’alimentation. Il s’agit de créer une sécurité sociale de l’alimentation.

Paul Ariès

Directeur de l’Observatoire international de la gratuité (OIG) Auteur de Gratuité vs capitalisme (Larousse, septembre 2018).


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 22 mai 2019

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