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Convoqué par la police après avoir sauvé du froid une femme enceinte et deux enfants



Basta - 13 mars 2018 - Le week-end dernier, lors d’une maraude dans les Alpes, à la recherche de migrants perdus dans le froid de l’hiver,
un citoyen a secouru une famille transie et épuisée. Il a donné aux deux jeunes enfants de 2 et 4 ans et à leurs parents de quoi se réchauffer. Puis, comprenant que la femme est enceinte de 8 mois et demi, il décide de l’emmener à l’hôpital. Arrêté en chemin par les douaniers, il se voit reprocher de transporter des personnes en situation irrégulières et il est sommé de se présenter à la Police aux frontières le mercredi 14 mars à 9h. Un rassemblement de soutien aura lieu ce même jour. Témoignage.

Samedi 10 mars 2018, Montgenèvre (station de ski située à la frontière franco-italienne à 1 800 mètres d’altitude, ndlr), aux alentours de 21h.

Une maraude ordinaire comme il s’en passe tous les jours depuis le début de l’hiver. Au pied de l’obélisque, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l’autre, à travers la tempête. Nous sommes deux maraudeurs à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l’autre.

Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent. En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C’est l’alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’ emmener au plus vite à l’hôpital. Dans la voiture, tout se déclenche. Arrivés au niveau de la Vachette (à 4km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là… c’est l’urgence. J’ accélère à tout berzingue. C’est la panique à bord.

Barrage douanier

Lancé à 90km/h, j’ arrive à l’entrée de Briançon... et là, barrage de douane. Il est 22h. « Bon sang, c’est pas possible, merde les flics ! ». Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu’est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez nous vos papiers ? Où est ce que vous avez trouvé ces migrants ? Vous savez qu’ils sont en situation irrégulière !? Vous êtes en infraction !!! »… Un truc devenu habituel dans le Briançonnais. Je les presse de me laisser l’emmener à l’hôpital dans l’urgence la plus totale. Refus !

Une douanière me lance tout d’abord : « Comment vous savez qu’elle est enceinte de 8 mois et demi ? » puis elle me stipule que je n’ai jamais accouché, et que par conséquent je suis incapable de juger de l’urgence ou non de la situation. Cela m’exaspère, je lui rétorque que je suis pisteur secouriste et que je suis à même d’évaluer une situation d’urgence. Rien à faire, la voiture ne redécollera pas. Ils finissent par appeler les pompiers. Ces derniers mettent plus d’une heure à arriver. On est à 500 mètres de l’hôpital. La maman continue de se tordre sur le siège passager, les enfants pleurent sur la banquette arrière. J’en peux plus. Une situation absurde de plus.

Convocation par la Police des frontières

Il est 23h passés, les pompiers sont là... Ils emmènent après plus d’une heure de supplice la maman à l’hosto [1]. Les enfants, le père et moi-même sommes conduits au poste de police de Briançon à quelques centaines de mètres de là. Fouille du véhicule, de mes affaires personnelles, contrôle de mon identité, questions diverses et variées, on me remet une convocation pour mercredi prochain à la PAF de Montgenèvre. C’est à ce moment-là qu’on m’explique que les douaniers étaient-là pour arrêter des passeurs.

Le père et les deux petits sont expulsés vers l’Italie [2]. Pendant ce temps-là , le premier bébé des maraudes vient de naître à Briançon. C’est un petit garçon, né par césarienne. Séparé de son père et de ses frères, l’hôpital somme la PAF de les faire revenir pour être au côté de la maman. Les flics finissent par obtempérer. Dans la nuit, la famille est à nouveau réunie.

La capacité des douaniers à évaluer une situation de détresse nous laisse perplexes et confirme l’incapacité de l’État à comprendre le drame qui se trame à nos maudites frontières.

Quant à nous, cela nous renforce dans la légitimité et la nécessité de continuer à marauder... toutes les nuits.

Signé : Un maraudeur en infraction.

Rassemblement devant la PAF de Montgenèvre ce mercredi à 9 h pour soutenir tous les maraudeurs et les veilleurs d’humanité.


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 15 mars 2018

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