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En Ouganda, le sort des jeunes Nigérianes enlevées fait douloureusement écho



AFP - 5 janvier 2015 -

Quand une jeune Ougandaise, Jane Kade, a entendu parler il y a plus de huit mois des lycéennes nigérianes kidnappées par des hommes armés dans leur dortoir, de douloureux souvenirs sont remontés à la surface.

« J’ai eu des cauchemars cette nuit-là », confesse la jeune fille de 25 ans, dont un bras entier est marqué d’une cicatrice. « Elles aussi souffrent, comme moi ».

Près de deux décennies avant que la rébellion islamiste Boko Haram n’enlève plus de 200 lycéennes dans la ville nigériane de Chibok, 139 jeunes filles étaient kidnappées dans leur école secondaire d’Aboke, dans le nord ougandais.

Quelques années plus tard, 16 autres, dont Jane, étaient à leur tour enlevées dans un pensionnat d’Adjumani, à quelque 450 km au nord de la capitale ougandaise Kampala.

Toutes ont été victimes de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), la sanguinaire milice de Joseph Kony.

Avant d’être enlevée en juin 2003, à l’âge de 16 ans, Jane Kade vivait dans le petit village de Manyola, avec ses parents agriculteurs et ses jeunes frère et soeur. Elle avait terminé l’école primaire, et aimait chanter.

Une fois entre les mains de la LRA, ses jours se sont résumés à cuire du maïs et des haricots pour des hommes qui affamaient leurs prisonnières.

La nuit, elle portait de lourds sacs : les rebelles changeaient constamment d’endroit pour éviter de se faire prendre.

Un jour, ses ravisseurs lui ont demandé de tuer sa propre amie. Elle a refusé. En guise de punition, ils l’ont attachée à un arbre, arrosée de pétrole, et brûlée.

« J’ai cru que j’allais mourir », se souvient Jane. C’est une autre otage qui l’a aidée, nettoyée.

La jeune fille a finalement réussi à s’échapper environ un an plus tard, profitant de combats entre la LRA et l’armée ougandaise.

  • Stigmatisées -

Mais le retour à la liberté a eu un goût doux-amer.

A cause des cicatrices qui criblaient le côté gauche de son corps, principalement le bras et la jambe. Et parce que sa famille, dont plus personne n’avait de nouvelles, avait sans doute été tuée par les hommes de Kony.

Au cours d’une convalescence de six mois dans un hôpital d’Adjumani, Jane a rencontré une amie de sa mère et est partie vivre avec elle. Elle n’est cependant pas retournée à l’école : par manque d’argent, mais aussi par peur d’y être stigmatisée, comme la plupart des victimes de la LRA.

« Les gens m’auraient traitée de +lemur+ (éclopée en dialecte local) parce que j’avais perdu des orteils », raconte-t-elle. « C’est difficile de se réadapter à une vie normale après la captivité ».

En 2011, une amie couturière travaillant à Entebbe, à quelque 40 km au sud-ouest de Kampala, lui a proposé de venir s’installer avec elle.

Jane a alors décroché un diplôme de styliste grâce à une NGO basée à Entebbe, Mindset Development, et vend désormais ses sacs et des robes kitenge (vêtement africain ressemblant à un sarong asiatique) colorées sur des marchés. Elle rêve d’un jour pouvoir rentrer à Adjumani, et d’y ouvrir sa propre boutique.

« Même si j’ai peur, ça reste ma maison », dit la jeune fille, qui craint également de marcher seule dans la brousse : « J’ai l’impression d’y être avec les rebelles, ou qu’ils vont venir me capturer ».

Aujourd’hui encore, elle se demande ce que sont devenus ses frère et soeur, et deux jeunes filles kidnappées dans son orphelinat en même temps qu’elle et qui n’ont elles jamais retrouvé la liberté.

Elle prie aussi pour les 219 lycéennes enlevées au Nigeria le 14 avril, toujours portées disparues. « Qu’elles soient fortes », glisse-t-elle.

  • Enlèvements en hausse -

Aujourd’hui âgée d’une trentaine d’années, Grace Achan, enlevée à 15 ans dans l’école secondaire d’Aboke en 1996, pense elle aussi aux jeunes Nigérianes. « Quand j’étais détenue par la LRA, mon rêve c’était de retourner à l’école », dit-elle.

Grace et la plupart de ses camarades avaient été libérées peu après l’attaque contre leur école. Mais une trentaine sont restées de longues années entre les mains de la rébellion. Quatre ont été tuées, une est toujours portée disparue.

Certaines de celles qui sont rentrées étudient aujourd’hui la médecine, la science ou l’agriculture. D’autre finissent, difficilement, l’école secondaire.

« Le gouvernement ne nous aide pas, nous avons besoin de bourses », déplore Consy Ogwal, la mère de Grace. Selon elle, 12 jeunes filles ne vont à l’école que grâce à l’aide financière d’une ONG canadienne, Children of Hope Uganda.

Après des années de combats, le Parlement ougandais n’a approuvé qu’en avril la création d’un fonds pour les victimes de la LRA.

Chassée en 2006 d’Ouganda par une offensive de l’armée, la rébellion s’est depuis scindée en plusieurs petits groupes éparpillés dans les forêts des pays voisins. Elle est désormais présente en République démocratique du Congo (RDC), en Centrafrique et au Soudan du Sud.

Selon l’ONU  , en trois décennies, la LRA a tué plus de 100.000 personnes et kidnappé plus de 60.000 enfants.

Toujours selon les Nations unies, les enlèvements perpétrés par la sinistre milice sont actuellement en hausse : en novembre, 432 personnes avaient déjà été kidnappées depuis le début de l’année. C’était déjà deux fois plus que sur l’ensemble de l’année 2012.

Joseph Kony est recherché par la Cour pénale internationale (CPI  ) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, dont ceux de meurtres, viols, esclavagisme et enrôlement d’enfants.

Le département d’Etat américain offre cinq millions de dollars pour toute information pouvant mener à son arrestation et l’armée ougandaise est à la tête d’une force de l’Union africaine chargée de sa traque, avec l’aide des Etats-Unis.

Selon Kasper Agger, chercheur pour l’ONG Enough Project, les efforts déployés pour traquer la LRA ont permis d’affaiblir la milice.

Kony est certainement encore en vie mais « joue la montre », estime-t-il. « S’il peut rester caché, alors un jour les Américains, fatigués, rentreront chez eux », dit-il. Car le traquer, « c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. »


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 12 janvier 2015

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