OSI Bouaké - En Afrique, le manioc est rongé par la striure brune Accueil >>  Et en Afrique, on dit quoi ?

En Afrique, le manioc est rongé par la striure brune



Le Monde | 13.05.2013 à 15h10 • Par Gilles van Kote

Claude Fauquet n’en est toujours pas revenu. "En quarante ans de recherches sur le manioc en Afrique, c’est la première fois que je vois une telle progression", affirme le virologue français, cheville ouvrière de la réunion consacrée à la maladie de la striure brune du manioc qui s’est achevée le 9 mai à Bellagio (Italie), sur les rives du lac de Côme. Le phénomène évoqué par l’expert n’est pas tant la progression de la striure brune, qui sévit aujourd’hui dans une dizaine de pays de l’est et du centre de l’Afrique, que "l’explosion de la population des mouches blanches" (Bemisia tabaci ou aleurode du tabac), vecteurs du virus. "On peut en trouver des centaines, voire des milliers sur une plante, là où il n’y avait auparavant que quelques individus. C’est ce qui a permis à la striure de passer de maladie occasionnelle au stade pandémique."

Même s’il reconnaît que les études sur le sujet manquent, l’expert est catégorique : le phénomène est une conséquence de la hausse des températures moyennes en Afrique ces dernières années. "Les mouches blanches sont désormais en Zambie, en Centrafrique et au Cameroun, avance-t-il. La striure brune n’y a pas encore été signalée, mais on ne voit pas ce qui l’empêcherait d’y arriver."

C’est bien ce qui inquiète les spécialistes. Décrite pour la première fois en 1936 au Tanganyika (actuelle Tanzanie), la striure brune s’est propagée ces dernières années du littoral de l’océan Indien à la région des Grands Lacs et sa présence a été signalée en Angola et en République démocratique du Congo. La menace se rapproche du Nigeria, le premier producteur mondial. Or le manioc constitue un aliment de base pour environ 250 millions d’Africains. Se manifestant par une nécrose des tubercules de manioc et – parfois – un flétrissement des feuilles, qui les rendent impropres à la consommation, la maladie se transmet aussi par l’échange entre agriculteurs de boutures de plantes infectées.

L’AFRIQUE A PRODUIT 140 MILLIONS DE TONNES DE MANIOC EN 2011

Selon un article publié en 2012 dans la revue Advances in Virology, les pertes provoquées chez les petits producteurs africains par la striure brune s’élèveraient à plus de 100 millions de dollars (77 millions d’euros) par an. Bien que cet arbuste soit originaire du bassin amazonien, l’Afrique a produit 140 millions de tonnes de manioc en 2011, soit davantage que toute autre culture.

Considéré sur le continent comme la culture et l’aliment des pauvres, le manioc est une plante négligée : pas de centre international de recherches comme il en existe pour le blé, le riz, le maïs ou la pomme de terre ; une quasi-absence d’intérêt du secteur privé... Face à la menace que représente pour la sécurité alimentaire de l’Afrique subsaharienne la propagation de la striure brune, les organisations du Partenariat mondial du manioc pour le XXIe siècle, plate-forme dont Claude Fauquet coordonne les travaux, ont décidé de tirer le signal d’alarme.

"L’objectif de la réunion de Bellagio était de trouver un accord pour lutter contre les maladies virales du manioc, ce qui a été fait, résume le scientifique. Il faut maintenant rédiger un plan d’action, mettre au point un système de collecte et de transmission des informations afin d’éradiquer la striure brune, ainsi qu’un réseau de distribution de boutures certifiées de haute qualité tout en travaillant sur des variétés plus résistantes aux maladies virales. Cela représenterait une révolution pour la culture de cette plante."

LE MANIOC CONTRIBUE À NOURRIR 800 MILLIONS D’HUMAINS

Même si le prix de cette révolution reste à calculer, la présence active, à Bellagio, de la Banque mondiale, de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid  ), de la Fondation Bill & Melinda Gates, qui consacre déjà 60 millions de dollars par an à des actions concernant la culture du manioc, ou encore des agences onusiennes concernées a rassuré les experts.

L’enjeu est de taille et va croître avec le réchauffement : dans un rapport publié en 2012, le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) décrit le manioc comme une des plantes les mieux armées pour s’adapter aux sécheresses et aux températures élevées, en raison de sa rusticité, qui lui vaut le surnom de "Rambo des cultures alimentaires".

"Ce n’est pas le moment pour qu’une plante comme le manioc soit affaiblie", estime Claude Fauquet, qui travaille sur des variétés de manioc transgéniques testées en Ouganda et au Kenya. "Le changement climatique favorisera l’émergence de nouvelles maladies, il faut se préparer dès maintenant à les combattre pour en limiter les effets", reprend-il.

Le manioc contribue à nourrir 800 millions d’humains, selon les estimations. Ils pourraient être 2,2 milliards à consommer cette plante en 2050. A condition de relever le défi posé par la maladie de la striure brune.

Encadré - 800 000 Nigériens en insécurité alimentaire

Les Nations unies ont rappelé à Niamey (Niger), dimanche 12 mai, que, malgré la bonne campagne agricole de 2012, "près de 800 000 personnes se trouvaient en insécurité alimentaire" au Niger dans la période de soudure qui précède les prochaines récoltes.

De son côté, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) organise à Paris, les 14 et 15 mai, une conférence sur la malnutrition infantile en Afrique subsaharienne. Objectif ? Pousser la question de l’insécurité alimentaire sur l’agenda international avant la journée "Nutrition et Croissance" organisée le 8 juin par Londres, en prélude au G8 qui aura lieu en Irlande du Nord.


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le mardi 14 mai 2013



LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE


vendredi 23 novembre