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Duékoué, une ville en deuil



Duékué, 18 avril 2011 (IRIN) - A la mission catholique de Duékoué, une ville située dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les femmes au crâne rasé sont partout ; se raser le crâne est un rite funéraire que les populations réfugiées à la mission continuent d’observer. Elles ont dû renoncer à bien d’autres rituels de ce type, notamment aux enterrements en bonne et due forme, de craintes de subir de violentes attaques comme celles qui les ont forcées à fuir et à abandonner leurs domiciles, dans cette ville ou dans les villages voisins.

« Je n’ai même pas pleuré, » raconte Bah Bonao Sidonie, 41 ans, dont le petit-fils d’un an est récemment décédé à la mission, après un bref épisode diarrhéique. « Les gens ne voulaient même pas que je pleure. On m’a dit, "non, il ne faut pas pleurer - ici, nous sommes déjà préoccupés par notre situation, donc il ne faut pas pleurer" ».

A la mission, de nombreux habitants, décédés des suites de maladies ou de blessures, n’ont pas été enterrés dans le respect des coutumes, de craintes d’attaques armées ; le cimetière est en effet situé près d’un quartier où des centaines de personnes ont été tuées à la fin du mois de mars. Dernièrement, les corps de quatre personnes décédées des suites de maladies à la mission ont été déposés à proximité, pour être recueillis par les travailleurs humanitaires ou les Casques bleus stationnés à Duékoué, qui aident régulièrement les familles à enterrer leurs morts.

La mission accueille environ 27 400 personnes, principalement issues de la communauté Guéré ; ces derniers mois, cette communauté a rapporté avoir été victime d’attaques menées par les Malinké, les Baoulé et d’autres groupes ethniques qui cultivent la terre fertile de la région. Ici, les plantations de café et de cacao appartiennent en bonne partie aux Guéré, leurs terrains étant souvent cultivés par des ouvriers agricoles originaires d’autres régions ou d’autres pays ; la région est le théâtre de querelles foncières depuis de nombreuses années.

« Dernièrement, la politique s’en est mêlée », explique Téhé Fié Ernest, 42 ans, qui a fui avec sa famille le village voisin de Toa-Zéo à la suite des flambées de violence qui ont éclaté au deuxième tour des élections présidentielles, en novembre 2010.

A la mort de son petit-fils, Bah avait déjà le crâne rasé. Trois de ses frères avaient en effet été tués au Carrefour, un quartier de Duékoué, en mars, « quand des soldats [des forces anti-Gbagbo] sont venus ». Elle a enterré l’enfant elle-même, seule.

« J’étais obligée d’aller demander [de l’aide] aux habitants de la région et aux Casques bleus...Ils ne voulaient pas », confie-t-elle. « Les jeunes ici ne peuvent pas sortir. S’ils sortent, les Dioula [Malinké] les attaquent. Donc moi-même, j’ai mis l’enfant sur mon dos pour aller l’enterrer au [cimetière près de] Carrefour. Seule. C’est Dieu qui m’a accompagnée ».

« J’ai demandé à Dieu de me protéger, ajoute-t-elle. Arrivée là-bas, j’ai creusé avec un daba [une houe traditionnelle], j’ai enterré l’enfant puis je suis revenue ».

Des populations forcées de renoncer à leurs rites funéraires

Si les adultes sont enterrés quelques jours après leur décès, les enfants sont normalement inhumés immédiatement (par les hommes de la famille), « pour que [leurs] papa[s] et [leurs] maman[s] n’aient pas à regarder [leurs] corps », explique Téhé à IRIN. Puis les aînés de la famille lavent les parents avec des plantes cueillies dans la brousse. Ceux qui en ont les moyens abattent une vache ou une chèvre pour la cérémonie funéraire.

« Mais [en cette période] de guerre, on ne peut pas faire tout ça », dit Téhé. Son beau-fils Hervé, assis à ses côtés, veille sur son fils de deux ans, que la famille soupçonne d’être atteint de varicelle. Le frère jumeau de ce dernier présentait en effet les mêmes symptômes lors de son décès, le 11 avril.

« Ce jour-là, il y avait trois corps. On est parti les enterrer », raconte Téhé. « Les Casques bleus sont restés à nos côtés là-bas et nous ont accompagnés, et on est tous revenus ».

« A l’enterrement, on a prié pour qu’ils aient quand même une bonne place. Malgré la situation, tu ne peux pas aller jeter [le corps de] ton parent puis revenir. Il faut prier pour qu’il ait une bonne place ».

« Comme la situation n’est pas stable, on ne peut pas les laver avec les médicaments traditionnels », ajoute-t-il en désignant du doigt son gendre et sa fille, la mère des jumeaux. « Personne ici n’ose aller en brousse pour chercher les plantes. Réellement, [le père et la mère] ne devaient même pas rester à la maison ici, sous le toit où ils ont perdu leur bébé. Durant une semaine, ils devaient rester ailleurs. Ca fait mal [de ne pouvoir observer ces coutumes], mais on est obligé d’accepter le mal ».

Il est difficile de marcher dans l’enceinte de la mission sans croiser d’autres personnes ou trébucher sur une casserole ou de petits tas de charbon ou de poivrons à vendre. Ici, selon le père Cyprien Ahouré, directeur de la mission, la surpopulation est l’un des problèmes les plus urgents.

« On doit reloger les gens ailleurs », dit-il. « Ici, on pourrait accueillir un millier de personnes ».

Pressé contre la paroi d’une tente, un groupe est assis autour d’une femme qui gémit. Elle vient d’apprendre que son frère a été tué, expliquent des passants. Et on la laisse pleurer.


Publié sur OSI Bouaké le mardi 19 avril 2011

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