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Duch le maitre des forges de l’enfer : les aveux du bourreau filmés par Rithy Panh



La Croix - 16 Mai 2011 - Rithy Panh a filmé en tête à tête l’un des responsables du génocide cambodgien. Douch explique, sans états d’âme excessifs, le fonctionnement d’une idéologie de l’extermination. C’est un document pour l’Histoire. Austère, dépouillé, glaçant, terrifiant. Pendant près de deux heures, assis derrière un bureau, des papiers administratifs et des photos sous la main, Douch (ou Duch) raconte, analyse, dissèque les rouages et les mécanismes idéologiques d’un crime de masse dont il fut l’un des redoutables bras armés. En quatre années, entre 1975 et 1979, le régime khmer rouge a massacré 1,8 million de personnes. Un Cambodgien sur quatre !

Militant convaincu, pénétré de l’idéologie khmère rouge, dérivée du maoïsme et de la croyance marxiste en la nécessaire dictature du prolétariat, Douch a été nommé à la tête du sinistre S 21 à Phnom Penh où les prisonniers étaient systématiquement torturés, puis exécutés. D’après les archives restantes, on a dénombré, dans ce centre, 12 380 morts et disparus. Mais on sait aussi que d’autres ont été « écrasés, réduits en poussière » sans qu’on puisse retrouver trace de leur passage.

Premier responsable khmer rouge sommé par la justice de répondre de ses actes, traduit devant une cour spéciale entre février et novembre 2009, Douch a été condamné à trente-cinq ans de prison. Il a fait appel. Son sort sera définitivement scellé dans un mois.

Douch, un rouage déterminé et zélé

Quelques semaines avant le procès, le cinéaste cambodgien Rithy Panh, sauvé in extremis de ce génocide, a obtenu de filmer en tête en tête Douch et de lui demander comment ce massacre de masse avait pu se perpétrer. Rithy Panh n’intervient jamais à l’image.

Toute l’attention est concentrée sur le visage et la parole de ce bourreau qui, méthodiquement, décrit, explique, justifie, assume (en partie) le fonctionnement de cette machine à broyer des hommes et des femmes, soupçonnés, dans une ambiance de paranoïa idéologique, d’être des «  enne­mis  » ou des agents de la CIA.

Douch se présente comme l’un des rouages déterminés et zélés de l’Angkar, l’organisation toute-puissante et sans visage. Il décortique le carcan idéologique auquel il adhérait pleinement puis se désigne comme « l’otage du gouvernement khmer », répétant qu’il ne pouvait « fuir ». Et pourtant, il revendique ses décisions de mort, d’appel à la torture, les interrogatoires systématiques poussés jusqu’aux limites, le jeu cruel des questions sur des individus qui ne pouvaient répondre, innocents des crimes dont on les accusait.

Il éloigne toute idée d’émotion. Donnant des ordres, exigeant qu’ils fussent suivis d’effet sans vouloir assister lui-même à leur macabre mise en œuvre. Mais impitoyable et précis dans l’accomplissement du plan d’extermination.

En prison depuis dix ans, Douch a peur de mourir

De son propre aveu, et sans remords excessifs – ils arrivent à la fin du film, tardifs et sujets à caution –, il a été l’agent idéal  : cet intellectuel, intelligent et précis, aime le « travail bien fait », s’applique en tout, a le souci d’être apprécié, sollicite les honneurs. L’efficacité de la discipline le subjugue et il revendique d’avoir su former, dès leur plus jeune âge, les parfaits ouvriers de ce crime collectif.

En prison depuis dix ans, Douch a peur de mourir. Il «  veut vivre  ». Devant les documents administratifs où son écriture et sa signature ordonnent de «  détruire  » les accusés, il ne se dérobe pas. Il explique les raisons de ses décisions, réfugié derrière l’idéologie qu’il servait. Douch s’est converti au christianisme. Rithy Panh le filme dans sa cellule, priant et communiant seul.

Ce film terrible, ponctué d’images d’archives et de témoignages, vient compléter le puzzle de la mémoire remis en place par Rithy Panh, inlassable fouilleur des traces disparues. Avec une rigueur implacable, opiniâtre, il ne cesse de remonter aux sources de cette tragédie inimaginable dont il fut victime lui-même ainsi que sa famille.

Avec une intelligence exceptionnelle du dispositif, déjà à l’œuvre dans Bophana, une tragédie cambodgienne (1996), La Terre des âmes errantes (1999), S 21, la machine de mort khmère (2002), il reconstitue, froidement, avec les acteurs et victimes de l’époque, l’infernal enchaînement. Il contient sa haine, muselle ses propres sentiments et se tient à une ligne implacable de reconstitution. Cette œuvre majeure, capitale, fera date. Elle vient combler un trou noir dans l’histoire de l’humanité.

La Croix - Jean Claude Raspiengeas


DUCH le Maître des forges de l’Enfer De Rithy Panh Film français, 1 h 43. Présenté au Festival de Cannes. Hors compétition. Devrait sortie en France en salle à l’automne 2011.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 24 mai 2011



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