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Abidjan ou la terreur venue du ciel



Colette Braeckman , 5 Avril 2011 - Après avoir vidé les rues d’Abidjan, obligé les simples citoyens à se terrer chez eux, privés de nourriture, d’électricité, de médicaments, et sans accès à l’information, la terreur, lundi soir, est venue du ciel. Prenant pour cibles les armes lourdes utilisées par l’armée demeurée loyale à Laurent Gbagbo, les forces françaises sont entrées en action, épaulant les hélicoptères MI24 de l’ONUCI, la mission de l’ONU   en Côte d’Ivoire. But de l’opération : forcer le départ du président sortant, l’obliger à remettre le pouvoir entre les mains d’Alassane Ouattara, reconnu vainqueur du scrutin de novembre par la communauté internationale. En vertu de la résolution 1975 du Conseil de Sécurité, les Français de l’opération Licorne, entrés en guerre sur décision personnelle du président Sarkozy, ont bombardé Abidjan. Leur mandat était, en principe, de protéger les civils, mais en réalité, il s’agissait de forcer, en faveur de Ouattara, l’issue de l’épreuve de force. Les troupes de ce dernier, baptisées « forces républicaines » et grossies de soldats recrutés dans les pays voisins, n’avaient pas réussi jusque là à s’emparer du palais présidentiel, tandis que des milliers de prisonniers, libérés de la maison d’arrêt, s’étaient répandus dans la capitale économique, livrée au pillage.

Durant plusieurs jours, les combattants pro Ggagbo avaient été pris pour cibles par des snipers postés sur les toits et avaient tenté de bloquer l’accès au palais présidentiel.

D’après plusieurs témoignages recueillis par téléphone, les bombardements ont porté la peur à son paroxysme : « depuis trois jours je n’osais plus sortir pour gagner ma clinique » nous explique un médecin belge. « Tout à coup, dans le quartier Riviera où j’habite, nous avons entendu le bruit de bombardements intenses et ma famille, durant des heures, est demeurée couchée au sol. Nous avons compris que les hélicoptères prêtaient main forte aux rebelles en attaquant des points stratégiques, comme le siège de la radio télévision ivoirienne, afin de faciliter leur pénétration dans le centre ville. »

Le récit terrorisé et indigné de ce médecin belge rejoint le témoignage de MSF   : « l’insécurité empêche les ambulances de ramasser les blessés, nos équipes sont bloquées dans les hôpitaux, mais les stocks de matériel médical et de médicaments s’épuisent, d’autant plus que l’embargo décrété depuis décembre faisait sentir ses effets. Partout, des bandes armées se livrent à des pillages. »

Depuis son domicile de Yopougon, Mme K sanglote au téléphone, elle n’en peut plus : « nous avions cru que ces gens là, l’ONUCI et les Français étaient venus pour nous aider. Or leurs avions, leurs hélicoptères de combat crachent le feu sur notre quartier, mes vieux parents sont terrorisés, affamés car ils n’osent pas sortir pour chercher de la nourriture. » Privée de radio, de télévision, elle ne comprend pas ce qui se passe : « il y a trop de morts autour de ma maison, et personne pour les ramasser… »Elle n’accuse même pas les hommes de Ouattara, qualifiés de rebelles : « ils ont disparu, on le les voit même plus. Ceux qui tirent, sur Yopougon, sur les plateaux, sur Bingerville, ce sont les Français eux-mêmes. J’ignore pourquoi ils nous visent, car Gbagbo, on sait bien où il est, dans sa résidence, sur le Plateau… »

La terreur des habitants de la capitale est renforcée par les nouvelles éparses qui viennent des villes de province conquises lors de l’offensive éclair des forces de Ouattara : « le village de mon épouse, Adjamene, où vivent des Kroumen, a été entièrement rasé par les rebelles qui se dirigeaient vers le port de San Pedro » nous assure un médecin, et sur la route, le village de Baba a été brûlé lui aussi. D’autres rumeurs font état de tueries, à Guiglo, Daloa, Gagnoa, (la ville natale de Gbagbo), le village du footballeur Didier Drogba a été entièrement brûlé…

Même si la situation politique se clarifie à Abidjan, où Gbagbo négocierait sa reddition, MSF   croit que la crise sera longue encore : « un million de personnes ont fui Abidjan, 100.000 réfugiés sont arrivés au Liberia, des milliers de Burkinabe qui travaillaient dans le Sud remontent vers le Nord, les risques de violence intercommunautaire demeurent énormes… »

Même si l’optimisme prévaut à Paris, où la portée du soutien français à l’ONUCI est minimisée, l’émotion monte ailleurs : l’Union africaine, dont la médiation a été court-circuitée (après cinq échecs…)a condamné le recours à la force, la Russie « étudie » la légalité des frappes aériennes.


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 10 avril 2011

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