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Sida : la « Prep » à portée de monde


Libération - Eric Favereau - 21 juillet 2016 - La conférence de Durban a consacré l’efficacité de la « Prep   » contre la propagation du VIH  . L’enjeu désormais : la diffusion de la molécule Truvada (à la base du traitement) auprès des populations à haut risque.

La Prep   pour casser la contamination ? Un rêve qui commence à apparaître. C’est en tout cas la star de la Conférence internationale sur le sida  , qui se termine ce vendredi à Durban, en Afrique du Sud. La Prep   - pour prophylaxie pré-exposition - est la nouvelle stratégie de prévention du VIH  , aussi efficace que le préservatif. Son principe ? Apparemment aussi simple qu’une pilule : il s’agit de proposer, pour une personne qui a un risque élevé d’être infectée par le virus du sida  , de prendre une molécule anti-VIH   quelques heures avant un rapport non protégé puis pendant deux jours, ou alors de prendre ce traitement en continu.

Les résultats sont impressionnants, comme l’ont encore révélé les études finales qui ont été présentées mercredi à Durban. Ainsi l’étude Ipergay sur la Prep   à la demande montre une efficacité de près de 100 % si la personne suit bien le schéma de prise. « C’est un changement essentiel. Pour la première fois depuis trente ans, nous avons, en termes de prévention, un nouvel outil au moins aussi utile que le préservatif », note le professeur Jean-Michel Molina, qui a coordonné l’essai Ipergay. Et cette avancée est d’autant plus importante qu’elle intervient à un moment très particulier de l’épidémie mondiale : aujourd’hui, c’est le volet prévention qui est en panne. Avec ce chiffre stable, voire en légère augmentation depuis quelques années : 2,3 millions de personnes supplémentaires infectées chaque année par le virus, d’après Onu  -sida   (1). « Sans faire baisser ce chiffre, on n’arrivera jamais à stopper l’épidémie », explique Michel Sidibé, le directeur exécutif de l’ONU  -sida  , chargé de coordonner les actions des Nations unies pour lutter contre le VIH  .

Sur le terrain, les choses commencent à se mettre en place. Dans une consultation Prep   à Paris, au service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon, Olivier, 45 ans, enseignant de métier, vient en urgence. Depuis quelques semaines, il prend du Truvada, la molécule antisida la plus utilisée pour la Prep  . Olivier dit qu’il lui arrive de prendre des risques, comme des relations anales sans préservatif. Avec les migrants, les hommes homosexuels sont la population la plus à risque. A Paris, 9 nouvelles contaminations sur 10 concernent l’un des deux profils. « Parfois, je prends des substances psychoactives, et je n’ai pas toute ma vigilance », raconte Olivier. Le voilà donc, depuis quatre mois, à prendre la pilule. Il a opté pour la méthode par intermittence : deux heures au moins avant la prise de risque, puis un comprimé pendant deux jours. « Cela me rassure, je n’ai presque pas d’effets secondaires, et je le dis à mes partenaires. » Il se montre satisfait. Il est toujours séronégatif. « Mais ce n’est pas rien, ajoute-t-il. Prendre un comprimé, c’est quand même bizarre, ce n’est pas qu’une prise de médicament, cela change dans la tête la notion de risque », avoue-t-il. Et le fait de prévoir la prise de risque deux heures avant ? « Au début, je croyais que cela allait être difficile, mais en fait non. On le sait. En tout cas, lâche-t-il, c’est tellement moins de contraintes. » Pour Olivier, c’est une petite révolution. S’il est repassé ce jour-là en urgence dans le service, c’est qu’il a pris un autre risque, une injection par voie intraveineuse. Il ne sait pas si le Truvada le protégeait ou non. « Je me sens rassuré », insiste-t-il. Et il y a de quoi.

Résultats spectaculaires

Mercredi, à Durban, le professeur Molina a rendu public les résultats globaux de l’essai Ipergay, un essai réalisé par l’Agence nationale de recherche sur le sida   décisif pour valider l’efficacité de la Prep  . Les résultats se révèlent encore plus spectaculaires que ceux de la première phase : sur les 362 volontaires qui y ont participé, une seule personne a été infectée, mais elle avait interrompu le traitement préventif. On n’est donc pas loin des 100 % d’efficacité quand le traitement est bien pris. « La question n’est plus de savoir si la Prep   est efficace et doit être utilisée, mais comment la mettre rapidement à disposition des personnes les plus à risque. » Et Jean-Michel Molina d’expliciter les enjeux à venir : « Nous avons montré l’intérêt individuel, il n’y a plus d’incertitudes sur ce point. Le défi est désormais le basculement vers le collectif. »

En France, depuis que la ministre de la Santé a autorisé en janvier le remboursement du Truvada, la demande est là, en hausse constante. La quasi-totalité des services de maladies infectieuses ont ainsi ouvert des consultations Prep  , et les centres de dépistage anonyme et gratuit peuvent maintenant la proposer. Près d’un millier de personnes sont actuellement sous Prep  . « Ce sont des gens qui veulent renforcer leur prévention », explique Marc, de l’association Aides, qui participe aux consultations Prep   de l’hôpital Tenon. « On est là, on écoute, on ne porte pas de jugement, on tente de créer un espace de parole centrée sur les pratiques de la personne. »

De fait, la Prep   ne s’adresse pas au tout-venant, mais à une population exposée, voire très exposée. A présent, ce sont les gays qui ont plébiscité ce nouvel outil. « A l’évidence, il va falloir ouvrir aux travailleurs du sexe, aux migrants », lâche Marc. Mais comment passer à une utilisation de masse de la Prep   ? Ce basculement est aujourd’hui dans toutes les stratégies internationales. Michel Sidibé a expliqué à Libération lors de l’ouverture de la conférence de Durban qu’aujourd’hui, « si on estime qu’il y a autour de 60 000 personnes sous Prep  , en grande majorité dans les pays du Nord, l’objectif est d’arriver à 3 millions en 2020 ». Et noté : « Dans les pays en voie de développement, en Afrique du Sud, et pour les jeunes filles en particulier, la Prep   peut aider beaucoup. » Mais est-ce possible ? « C’est vrai, note un activiste, que c’est un outil magnifique pour les femmes, elles ne dépendent plus du bon vouloir de l’homme comme avec le préservatif. » « La question, insiste Jean-Michel Molina, ce sont les populations clés. Aujourd’hui, l’épidémie est très centrée sur des groupes par ticuliers. Des groupes qui sont particulièrement exposés. C’est vers eux que la Prep   peut être un outil efficace de prévention. » Surtout , insiste-t-il, « les choses bougent beaucoup. Aujourd’hui, nous avons une pilule, mais bientôt seront disponibles des patchs qui pourraient vous protéger un ou deux mois. Voire des injections qui seraient efficaces plusieurs semaines. La Prep   ne fait que commencer. »

A Durban, nul ne veut manquer ce rendez-vous. « En 2000, la Conférence internationale avait marqué le début d’un mouvement mondial pour apporter un traitement contre le VIH   dans le monde en développement, souligne Linda-Gail Bekker, présidente de la Société internationale sur le sida  . Là, je suis convaincu que nous allons regarder cette conférence de 2016 comme l’aube de l’ère de la mondialisation Prep  . » Et elle en veut pour preuve la présentation d’une série d’études qui montre que la montée en puissance de la Prep   est possible. Aux Etats-Unis, son développement est assez bluffant : 3 746 personnes l’utilisaient en 2013, 14 756 en 2014 et 30 967 en 2015. La Prep   se révélant un des outils qui permet de casser l’épidémie dans la ville de San Francisco. L’autre outil est la mise sous traitement immédiate des personnes séropositives, car cela permet de les rendre non contaminantes.

Diffusion massive

Un autre travail, présenté à Durban, a montré que chez les adolescents « à risque » en Afrique du Sud, « l’utilisation de la Prep   était possible ». L’auteur, Katherine Gill de la fondation Desmond Tutu HIV, ainsi noté que « l’adhésion à la Prep   précoce était raisonnable parmi une population d’adolescents à haut risque ». Une autre étude sur les couples discordants (l’un est séropositif, l’autre non), réalisée au Kenya et en Ouganda, a montré que la combinaison de la Prep   et du traitement a conduit à la quasi-élimination de la transmission du VIH   chez ces couples sérodiscordants. Bref, les études commencent à s’accumuler. La diffusion massive de la Prep   est désormais « possible », souligne Michel Sidibé. « C’est à portée de main, et le signe le plus encourageant, c’est qu’un grand nombre de donateurs sont prêts à financer ces programmes aujourd’hui. »

(1) La revue scientifique The Lancet rend public, à l’occasion de la Conférence internationale sur le sida  , un travail de l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation de Seattle évoquant un chiffre supérieur à celui d’ONU  -sida   : 2,5 millions de nouvelles contaminations chaque année.

Photo Denis Darzacq. VU


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 30 juillet 2016

 

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