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Quand la France prive l’Afrique de médecins


Ils sont des milliers à exercer dans l’Hexagone, alors que leurs pays manquent de docteurs. L’ONG Oxfam France-Agir ici s’attaque à ce non-sens. Fière des « french doctors » de Médecins sans frontières ou de Médecins du Monde, la France oublie que les « african doctors » sont bien plus nombreux aujourd’hui à venir soigner les Français ! À cause de la pénurie - bien relative - qui frappe nos hôpitaux et nos campagnes et du désir de ces médecins de mieux vivre, selon la double justification habituelle. En réalité, le phénomène, observé dans les pays riches depuis vingt-cinq ans, est organisé. En témoigne l’ONG Oxfam France - Agir ici, qui en a fait un cheval de bataille [1]

Une saignée organisée

La France est le 3e pays au monde à attirer ainsi - en les sous-payant - des médecins des pays pauvres, derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne. Selon l’OCDE, l’organisation des pays industrialisés, « 18 000 médecins exerçant en France, soit 6 % des effectifs totaux, ont été formés hors de l’Union européenne », indique Jean-Denis Crola, qui pilote l’action d’Oxfam France - Agir ici. En vingt-cinq ans, la part des professionnels de santé (médecins, infirmières, etc.) formés à l’étranger a été multipliée par six. C’est ainsi que l’Île-de-France compte aujourd’hui plus de médecins béninois que le Bénin...

Les pays d’Europe de l’Est sont aussi saignés. « L’année dernière, 450 médecins roumains, soit trois promotions annuelles d’une fac de médecine, ont été recrutés pour s’installer en France ! », ajoute Jean-Denis Crola. Des recruteurs, comme Medical Agency ou Arime (Association pour la recherche et l’installation de médecins européens), démarchent à Bucarest, Varsovie, Budapest...

Mais c’est bien sûr en Afrique, dont la moitié des médecins s’expatrient dans les cinq ans qui suivent leurs études, que cet exode médical tue le plus. Il explique en partie pourquoi, depuis quinze ans, au sud du Sahara, l’espérance de vie a chuté de 50 ans à 46 ans. Si l’accès aux médicaments contre le sida   a bien progressé, sous la pression de l’opinion, on manque cruellement de personnels pour les administrer...

Ces médecins qui s’exilent, les pays africains les ont pourtant formés. « Ils font sur place leurs cinq premières années d’études, les plus coûteuses, poursuit Jean-Denis Crola ; s’ils passent les trois dernières en France, ils travaillent en même temps à l’hôpital. » L’Afrique forme donc des médecins pour la France. Un pillage pour résorber une pénurie clairement programmée : jusqu’en 2002, la France a limité à moins de 5 000 par an le nombre de nouveaux médecins. Ce « numerus clausus » (lire ci-dessous) doit repasser au-dessus de 8 000, l’an prochain, mais le mal va durer longtemps, amplifié par la masse des départs en retraite.

Rembourser le pays d’origine

La principale proposition d’Oxfam France - Agir ici est donc de compenser le coût supporté indûment par les pays africains. « L’Afrique perd ainsi quelque 500 millions d’euros par an sans compter les coûts indirects : ces cerveaux qui s’en vont pourraient développer leur pays ». La France doit aussi augmenter le secteur santé de son aide au développement : elle est en dessous de la moyenne (7 %, contre 11 % dans les autres pays riches). Pour l’ONG, il n’est donc pas question, bien sûr, de fermer les frontières aux médecins africains. Elle ne table guère, par ailleurs, sur les chartes ou codes « éthiques » non contraignants, qui ont montré leur inefficacité en Grande-Bretagne. Simplement, la France doit d’abord payer son dû puis aider à la hauteur des autres.

Pour faire quoi ? « Il faut investir massivement dans les systèmes de santé (en Afrique), dans le fonctionnement, les coûts salariaux ; la France refuse aujourd’hui de le faire, elle préfère construire un hôpital que d’aider à le faire fonctionner... » C’est pourtant la seule façon de retenir des médecins aujourd’hui mal payés, mal équipés, soumis aux risques sanitaires : « À cause du sida  , l’Afrique va sans doute perdre 20 % de ses personnels soignants au cours des prochaines années. »

Michel ROUGER. lundi 24 mars 2008


[1] www.oxfamfrance.org (Action : « Immigration : qui choisit ? »).


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 28 mars 2008

 

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