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"La psychiatrie, une destruction totale"

Témoignage de Christelle Rosar qui travaille dans une association pour anciens patients d’hôpitaux psychiatriques


Mots-Clés / Psy

LeMonde.fr | 04.03.11 | Flora Genoux

Christelle Rosar est employée à mi-temps d’une association pour anciens patients d’hôpitaux psychiatriques, Advocacy.

"Troubles du comportement liés à une carence affective grave". Les syllabes sont détachées mécaniquement, le regard baissé sur un dossier médical épais de 23 années de psychiatrie. Dans la voix de Christelle Rosar, 39 ans, ce diagnostic accolé à son cas dès son premier internement ont la résonance de mots étrangers : elle ne se reconnaît pas dans les "étiquettes" que lui ont données les psychiatres.

La parole abrupte, Christelle revient sur un passé qui l’a conduite dans les bureaux d’Advocacy, une association d’anciens patients. Impossible de compter le nombre de séjour en hôpital psychiatrique. Une vingtaine au moins, dont la moitié contre son gré. Elle découvre l’hôpital à l’âge de 16 ans, pour y rester internée jusqu’à la majorité.

"J’étais très révoltée, explique-t-elle, quand on m’agresse je réponds rapidement", avant de corriger : "je répondais". Elle évoque, avec difficulté, une enfance maltraitée. "Ça me prend à la gorge de vous dire ça", avance-t-elle, en esquissant un sourire gêné. Adolescente, elle voulait "tuer sa mère". Elle traîne l’amertume de ne pas "avoir eu de vie d’enfant, l’impression d’être née adulte".

Dès son premier internement, ce sont les séjours à l’hôpital qui cadencent sa vie. Deux fois, elle est hospitalisée d’office : elle a tenté d’incendier le cabinet de sa psychiatre, puis son centre médical psychiatrique (CMP). Elle dit subir les internements réclamés par son ami qui invoque des problèmes d’alcool, des tentatives de suicide. Mais loin de l’aider à se réinsérer, l’univers psychiatrique nourrit ses angoisses. Avec amertume, Christelle décrit ce qu’elle considère comme des stigmatisations : "parano", "psychopathe", "dangereuse" : "la totale".

Surtout, elle évoque l’impossibilité d’être écoutée. Elle affirme vouloir comprendre son histoire. On l’attache, lui injecte des produits. Elle reconnaît la nécessité d’être calmée "lorsqu’on pète un plomb" mais insiste sur ce qu’elle dit avoir vécu comme "une destruction totale" : des soins qui se résument à l’administration de médicaments.

C’est pourtant vers l’hôpital qu’elle se tourne de nombreuses fois, volontairement. Peur de l’échec, du regard des autres, le retour à la cité est tout aussi douloureux : "je ne pouvais pas rester dehors, le seul endroit où j’avais vécu, c’était l’hôpital". Entre stages et formations, Christelle continue de suivre des traitements médicamenteux. A ses rendez-vous au CMP, on la "forçait à ouvrir la bouche, pour voir si le médicament avait bien été pris". Une forme d’obligation de soins de facto. Si la contrainte des soins est systématisée par une loi, "c’est l’emprisonnement à vie", estime Christelle.

Dans l’association pour anciens "usagers de la santé mentale", Christelle Rosar affirme avoir trouvé de l’écoute.

Installée à son bureau, elle montre du regard un dessin posé sur la table : des oiseaux sur un arbre. "Avant je dessinais des tombes", dit-elle avec un sourire. Ce changement de symbole, elle l’attribue à Advocacy et son contrat dans l’association, qui lui a permis de retourner à la vie "ordinaire". Autour d’ateliers et d’activités, l’association affiche l’objectif d’offrir un espace à ceux qui se se sentent "insuffisamment respectés par les interlocuteurs institutionnels".

Dans les locaux, on rencontre d’anciens patients, des formateurs, des bénévoles, aucun psychiatre. Depuis son arrivée à l’association en 2009, Christelle assure se sentir "libre". Affirmant ne pas "trop connaître les psychothérapeutes", elle estime que c’est le dialogue qui l’aide désormais à résoudre les crises.

Avant son arrivée à Advocacy, elle "arrivait à peine à dire son prénom" ; elle prend maintenant la parole en public et acquiert du vocabulaire : "stipuler", "inaccessibilité", cite-t-elle, fièrement. Catégorique, Christelle Rosar rejette tout traitement médicamenteux : "C’est la parole qui m’a libérée et qui m’a fait avancer. Et je compte bien encore avancer."

Encadré : L’hospitalisation sans consentement

Il existe deux types d’hospitalisation sans consentement. L’hospitalisation sans consentement à la demande d’un tiers (HDT) : un membre de la famille ou un proche peut demander l’internement d’un malade, deux certificats médicaux à l’appui.

Le deuxième type d’hospitalisation sans consentement est l’hospitalisation d’office (HO). Elle est demandée par le préfet ou le maire en cas d’urgence. Elle est demandée lorsqu’un malade présente un trouble à l’ordre public et s’appuie sur un certificat médical.

En France, ces deux types d’hospitalisation ne concernent qu’un quart des patients de psychiatrie, la majorité se faisant interner de leur plein gré.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 31 mai 2011

 

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