LE MONDE | 20.11.2014 | Par Rémi Barroux (Macenta et Guéckédou (Guinée), envoyé spécial) -
Jean Segbé Bavogui, 41 ans est tailleur à Banizé, un quartier un peu éloigné du centre de Macenta, grosse ville de 44 000 habitants au cœur de la Guinée forestière. Il y a quelques mois les femmes se pressaient dans son échoppe. On faisait la queue pour choisir parmi ses étoffes. Désormais, le petit atelier est vide. Jean n’a reçu ni cliente ni commande depuis plus d’un mois. A la porte de sa maison, le puits qui permettait à ses voisins de se ravitailler en eau a été déserté. Jean Segbé est un miraculé d’Ebola. Et un damné.
L’homme a été infecté au contact de sa femme Jeanne. Il est tombé malade le 28 septembre, alors que son épouse venait tout juste de sortir guérie de l’hôpital. Le virus de la fièvre hémorragique se transmet par les fluides corporels, sang, salive, sperme, sueur. Dès les premiers symptômes, il s’est précipité au centre de traitement de Guéckédou, géré par Médecins sans frontières (MSF ). Avant de plonger dans l’enfer de la maladie, vomissement, diarrhées, fièvre, saignements. « J’ai cru que j’allais mourir. Trois de mes voisins de lit ont été emportés. J’ai voulu appeler mon frère à qui j’avais confié mes enfants pour lui dire au revoir », raconte l’homme, dans son atelier désert.
Mais le tailleur de Banizé fait partie des chanceux. Les taux de létalité de l’épidémie varient de 50 % à plus de 80 % et, selon le ministère de la santé guinéen, sur 1 971 cas enregistrés depuis le début de l’épidémie en mars, 1 192 malades sont morts. Le 5 octobre, les médecins ont déclaré Jean « sain » et lui ont délivré un certificat de guérison, synonyme, selon les épidémiologistes, d’immunité contre le virus.
C’est muni de cette feuille de papier appelée « certificat de décharge », qui précise la date de sortie autorisée, qu’il regagne le quartier Banizé. A son arrivée, Jean retrouve sa femme, mais ses voisins ont préféré quitter leur maison. Les habitants le saluent de loin lorsqu’ils ne se détournent pas. Avec Jeanne, le tailleur travaille désormais à la crèche du centre de traitement qui recueille les enfants de parents malades. Comme lui, une poignée de miraculés participe auprès des humanitaires à la lutte contre Ebola.
Guérir ne suffit plus
Chaque jour, le docteur Abdul Fadiya croise des survivants. « Même avec le certificat, je vois des mamans, guéries, obligées de partir avec leurs enfants, expulsées par leur propre mari qui s’ils ont une autre femme et d’autres enfants ne veulent pas prendre de risque », raconte ce responsable de l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance.
Dans la région, d’où l’épidémie est partie en mars 2014, le taux d’analphabétisme frôle les 80 %. Et depuis des mois, on raconte dans les villages qu’on ne ressort jamais vivant des centres de traitement. Les autorités accusent les chefs des communautés de colporter dans les villages les pires rumeurs sur la maladie. « Si on leur dit que le charbon est blanc, ils disent qu’il est blanc, si on leur dit attaquez, ils attaquent, alors quand une personne malade revient, si le chef du village ne l’aide pas, elle n’a plus sa place », témoigne Sékou, un enseignant, lui-même malade guéri.
Et ce n’est pas l’état du rescapé qui peut restaurer la confiance. Dans la grande majorité des cas, c’est affaibli, diminué, amaigri, l’air souffrant, gardant le lit que le guéri revient chez lui. « A Balisia, un enfant de 13 ans, guéri, était resté extrêmement faible. Même sa mère doutait de sa guérison, explique le pasteur Jérémy Boré, qui sillonne les pistes de la préfecture de Macenta sur sa moto. Je lui ai dit que la fatigue était normale et qu’il fallait lui donner à manger des fruits, bien le nourrir. » Après quelques jours de soins et d’attention, le jeune garçon a pu retourner jouer au football avec ses amis.
Guérir les malades ne suffit plus. Les ONG, débordées par l’urgence des soins, ont dû apprendre à gérer le retour des patients guéris. L’Unicef, MSF ou la Croix-Rouge dégagent désormais des moyens à cette mission. Le Programme alimentaire mondial (PAM) distribue des vivres (riz, huile d’arachide, sel et lentilles) aux ménages dans les villages qui ont connu au moins cinq cas Ebola. Des kits de nutrition sont mis à disposition par l’Unicef.
Vaincre les réticences des villageois hostiles
Le centre de traitement de Guéckédou prend désormais en charge chambre d’hôtel et repas pour les guéris à leur sortie. Il a fallu aussi sensibiliser les chauffeurs de bus de la gare routière pour éviter que les survivants ne soient refoulés des transports en commun. « Mais dans les taxis-brousse, les autres voyageurs refusent de cohabiter avec un malade guéri, il faut donc que celui-ci paye seul la course : trop cher, raconte Pascal Piguet, responsable terrain MSF à Guéckédou. Les malades trop fatigués sont emmenés dans une voiture banalisée, plus discrète, jusqu’au car. »
Jeudi 20 novembre, c’est une véritable expédition que doit mener l’OMS pour ramener un jeune jusqu’à son village, non loin de Kissidougou, à plus de deux heures de route. Au préalable, il faudra vaincre les réticences des villageois hostiles. Ce travail de sensibilisation, patient, est mené par des délégations, sous l’égide de l’Association des animateurs de communautés de Guinée, réunissant des leaders d’opinion, autorités locales, imams, pasteurs, accompagnés de malades guéris venant témoigner.
Depuis quelques jours, la question du retour des guéris a pris un tour encore plus dramatique. Une femme, sortie « saine » du centre de Guéckédou, a été ramenée dans son village à Djomba Koïdou. Mais quelques jours plus tard, de nouveaux symptômes sont apparus : une grande fatigue, aisément explicable, et des saignements importants au niveau des gencives. Les villageois ont aussitôt suspecté la maladie. La Croix-Rouge guinéenne est venue la chercher. Après les tests, la femme a été identifiée de nouveau comme porteuse du virus Ebola. Elle est décédée dimanche 16 novembre. En visite dans le village ce même jour, les ONG ont dû partir précipitamment de peur que la population, furieuse, ne les retienne en otage.
Première rechute suspectée
Le cas de cette patiente, première rechute suspectée, inquiète les autorités. Jusque-là, la communauté scientifique a toujours affirmé qu’un malade guéri était immunisé contre le virus et non contagieux. « C’est un cas exceptionnel et on doit reprendre tout le dossier clinique de la malade, déclare Saverio Bellizzi, médecin épidémiologiste de MSF à Macenta. La localisation du virus peut-être exceptionnelle, par exemple dans une zone comme le cerveau, plus protégé des anticorps. » On sait que le virus est présent plus longtemps par exemple dans les testicules et que le sperme reste infecté durant deux à trois mois après la guérison. Une erreur de manipulation durant un des tests pourrait aussi expliquer le cas. Mais le laboratoire qui a réalisé les analyses à Guéckédou élimine cette éventualité.
« C’est la première fois que nous disposons d’une cohorte importante de guéris d’Ebola et, surtout, qui reste confrontée à une épidémie toujours active : nous avons beaucoup à apprendre, explique le professeur Jean-François Delfraissy, immunologiste et coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola. Nous allons pouvoir étudier quand et comment les anticorps apparaissent et agissent. Les guéris ne sont pas une population homogène. Cette femme a-t-elle succombé à la première infection, à une deuxième après son retour ? » La nouvelle, restée confidentielle, pourrait faire l’effet d’une bombe et compliquer le travail de sensibilisation, rendant le retour des guéris plus difficile encore. En attendant les résultats de l’enquête en cours, la règle reste la même : dans 99,99 % des cas, le guéri n’est pas infectieux et est immunisé contre le virus, affirment d’une même voix les responsables de la lutte contre Ebola.
Photo : Fanta Cherif, 25 ans, fait partie des premières personnes qui ont été soignées au centre de traitement du virus Ebola de l’hôpital Donka, à Conakry. Elle est la vice présidente de l’association des personnes infectées et guéries d’Ebola en Guinée. Ses études sont compromises car elle est tombée malades lors des évaluations qu’elle n’a pas pu repasser. Son oncle et ses femmes pensaient que c’était incurable, ils ne comprenaient pas qu’elle soit sortie. Elle mangeait seule, buvais seule, les enfants ne l’approchaient pas. Elle vit à Conakry. Prise de vue : octobre 2014 Fanta Cherif, 25 ans, fait partie des premières personnes qui ont été soignées au centre de traitement du virus Ebola de l’hôpital Donka, à Conakry. Elle est la vice présidente de l’association des personnes infectées et guéries d’Ebola en Guinée. Ses études sont compromises car elle est tombée malades lors des évaluations qu’elle n’a pas pu repasser. Son oncle et ses femmes pensaient que c’était incurable, ils ne comprenaient pas qu’elle soit sortie. Elle mangeait seule, buvais seule, les enfants ne l’approchaient pas. Elle vit à Conakry. Prise de vue : octobre 2014 | Livia Saavedra