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Éthiopie : l’écologie en graines dans des camps de réfugiés


Kaizen, 5 avril 2016 - Justine Boulo et Antoine Galindo - Seul État stable de la corne de l’Afrique, l’Éthiopie accueille actuellement 500 000 réfugiés. Face à cet afflux, la capitale Addis Abeba a pris conscience de la nécessité de protéger ses ressources et ainsi d’aider les populations déplacées. Ses camps de réfugiés deviennent de plus en plus éco-responsables.

Sans une pancarte camouflée par un eucalyptus, l’entrée du camp de réfugiés de Sherkole passerait presque inaperçue. Des huttes traditionnelles en torchis ne dépasse que le chaume, le reste est enfoui sous une végétation luxuriante. Sherkole est un camp de réfugiés éco-responsable, situé à l’extrême ouest de l’Éthiopie. Ici, les déplacés affluent depuis 1997 du Soudan voisin, où le conflit sudiste dans le Kordofan et l’Etat du Nil Bleu s’éternise.

« L’installation d’un camp coïncide avec une importante déforestation. Les réfugiés coupent du bois pour construire leur logement, cuisiner et se chauffer. Pour le pays hôte, le coût environnemental est élevé ». Ce constat, c’est Isayas Wolde Giorgis, directeur de l’agence éthiopienne pour les réfugiés (ARRA) qui le dresse. Sherkole n’échappe pas à la règle, un réfugié y consomme en moyenne cinq à sept kilos de bois par jour. Mais une particularité le différencie des autres camps de réfugiés : son ouverture a été accompagnée d’un programme national de reforestation piloté par le Plan de protection de l’environnement et de développement des ressources naturelles (NRDEP).

« On pense généralement à la réhabilitation après le départ des réfugiés. La nouveauté consiste ici à réhabiliter le camp en temps réel », explique Mahamadou Guindo, agent de terrain du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Les résultats sont probants : « Depuis 1997, nous avons transformé 600 hectares de terres dégradées en forêt. Nous avons planté des arbres à croissance rapide pour le bois de construction, mais aussi des espèces fruitières pour la consommation » détaille Getachew Tiluhum, responsable du programme de reforestation, en arpentant les hautes herbes. En 2013, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a fourni 300 logements équipés de fours solaires aux personnes les plus marginalisées du camp (personnes handicapées ou âgées et mères célibataires).

Le partage des ressources sous tension

Les après-midi s’écoulent au rythme des matchs de foot et des parties d’awalé. En déplaçant une cosse verte sur un plateau de jeu dessiné dans le sable, Djadja Aiouf, 18 ans, explique qu’il vit à Sherkole depuis deux ans. « La vie est meilleure ici, nous avons l’éducation pour les enfants. Et il n’y a pas la guerre… ». Ici, pas de guerre non plus avec le voisinage. Habituellement les locaux accueillent assez mal la construction d’un camp, déplorant que les réfugiés coupent leur bois, fassent paître les vaches sur leurs terres, puisent l’eau dans leur rivière. « Il y a toujours une bonne raison de se plaindre : ces deux populations partagent les mêmes ressources ! Mais nous tentons d’arrondir les angles en ouvrant nos services aux Éthiopiens avoisinants », explique Mahamadou Guindo. Les taxis-brousse affluent même vers le marché de Sherkole, beaucoup de ses fruits et légumes proviennent des zones reboisées ou des fermes à petite échelle. Derrière sa cahute, Alesima s’apprête à récolter ses aubergines bien grasses et une livre de tomates.

A l’initiative du NRC, les réfugiés ont en effet la possibilité d’apprendre les rudiments du maraichage durant deux semaines. Des graines leur sont ensuite distribuées : ils reçoivent ainsi un soutien plus durable que la seule aide alimentaire du HCR. « C’est mon mari qui savait cultiver », ajoute Alesima. Il n’y a pas d’homme dans sa maison. Il n’y en a plus. Son mari est mort pendant la guerre.

La plupart des 10 000 Soudanais réfugiés à Sherkole sont des femmes et des enfants. Ils ont été éleveurs ou fermiers, dans un temps reculé qu’ils préfèrent oublier, puisque « là-bas, il y a la guerre ». En contrebas de la pépinière, cinq hommes aux biceps fatigués travaillent la terre autour des pieds de maïs. « Cela les aide psychologiquement à surmonter le choc. Ils poursuivent ici ce qu’ils faisaient avant », confirme Mahamadou Guindo. « L’Éthiopie, un exemple à suivre »

« L’Ethiopie accompagne les réfugiés au-delà des camps. Dans cette région de la corne de l’Afrique la situation est dramatique, mais l’Ethiopie est un pilier. C’est un exemple à suivre », expliquait en août dernier Antonio Guteres, président de l’UNHCR.

En 1997, Sherkole était une terre désertée par les hommes et les arbres. Aujourd’hui c’est un village au milieu de la forêt. A 50 km, Bambasi, le camp le plus récent de la région, a ouvert en 2011. L’argile craquelée dégage de la poussière dans ses allées dénuées de vie. Depuis l’embrasement du Soudan du sud en décembre 2013, de nouveaux réfugiés ne cessent de passer la frontière, venant chaque jour saturer un peu plus Bambasi. Pour éviter la surpopulation, une extension est déjà à l’œuvre ; là aussi, des programmes de reforestation ont essaimé. L’Éthiopie a pris conscience que tant que les combats se poursuivent de l’autre côté de la frontière, la protection des ressources naturelles et le bien-être des réfugiés sont deux concepts indissociables.


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 15 avril 2016

 

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