Libération avec MSF - mise à jour 18 décembre 2013 -
Des dizaines de milliers de personnes sont réfugiées à Bossangoa, en Centrafrique. (Photo Juan Carlos Tomasi. MSF )
Depuis dix jours, l’organisation humanitaire a publié sur Libération.fr un bulletin détaillé de ses interventions à Bangui et dans le reste du pays.
Carte de Centrafrique avec Bangui, Bossangoa, BatangafoPour cette dernière chronique, Médecins sans frontières publie le témoignage de Sabine Roquefort, médecin de retour de Centrafrique.
« CE QUI SE PASSE EN RCA AUJOURD’HUI EST DRAMATIQUE »
Le 5 décembre, de violents affrontements secouaient Bangui, capitale de la République Centrafricaine (RCA). Dans les heures qui ont suivi le début des combats, des équipes MSF ont rejoint l’hôpital Communautaire de la ville afin de répondre à l’afflux de centaines de blessés. Seize personnes se partagent alors dans les services des urgences, de chirurgie et d’hospitalisation. Sabine Roquefort, médecin, est l’une d’entre elles. De retour à Paris, elle raconte les semaines passées sur place.
« Je travaille depuis longtemps avec MSF . Je suis arrivée le 15 novembre à Bangui. C’était déjà très tendu, il y avait beaucoup de tirs en ville. J’étais responsable des activités médicales d’urgence de MSF pour toute la RCA. Nous pensions déjà qu’il serait pertinent de positionner une équipe chirurgicale dans un des hôpitaux de la ville. En une semaine, nous avons mis en place cette activité à l’hôpital Communautaire, qui est une structure centrale, proche de notre base de vie, ce qui est important en cas d’insécurité. Nous y avions déjà travaillé en avril et mai derniers, suite à la prise de la capitale par les forces de l’ex-Séléka. Le personnel de l’hôpital nous connaissait, cela a facilité notre mise en place.
« Il pleuvait dans les blocs opératoires »
« Il a fallu d’abord lancer des travaux logistiques. Il pleuvait dans les blocs opératoires, la peinture était écaillée et il y avait des grappes de champignons au plafond. Nous avons commencé par réhabiliter une des salles du bloc opératoire. En une semaine, les commandes internationales de médicaments et de matériels médicaux étaient là. Une équipe chirurgicale (un chirurgien, une infirmière anesthésiste et un infirmier de bloc) est également arrivée très vite. Le samedi 30 novembre, nous étions prêts à recevoir des blessés.
« Le 2 décembre, Bouali, un campement de nomades peuls situé à 3 heures de Bangui, a été attaqué. Selon les gens, des groupes d’autodéfense (« anti-balakas ») les avaient attaqués. Les blessés ont marché dans la brousse et ont attrapé une voiture sur la route principale pour rejoindre l’hôpital. Une femme nous a raconté que son bébé de 6 mois avait été tué à la machette. Elle-même avait le cuir chevelu lacéré. Un autre de ses enfants était blessé, nous l’avons opéré. En fait, contrairement à ce qu’on envisageait au départ, ce projet nous permettait de prendre aussi en charge les victimes de violences venant de l’extérieur de Bangui.
« Le 5 décembre, les affrontements ont commencé vers 5 heures du matin, dans Bangui même, et se sont intensifiés au cours de la journée. Ce jour-là, nous avons reçu 120 personnes à l’hôpital Communautaire ; 8 étaient déjà morts à leur arrivée. Ces blessés ont été pris en charge essentiellement par des expatriés MSF car, du fait de l’insécurité, le personnel centrafricain n’a pas pu nous rejoindre. Seul le directeur a pu venir. Il a opéré en même temps que nous, épaulé par une de nos infirmières anesthésistes et avec notre matériel.
« Une balle dans chaque genou »
« Certains blessés devaient être pris en charge immédiatement. Les plaies thoraciques ou abdominales par exemple, qui prennent beaucoup de temps parce qu’il faut faire une laparotomie exploratrice, c’est-à-dire ouvrir le ventre et aller voir s’il n’y a pas de balle à l’intérieur. Cela peut prendre trois à quatre heures. La majorité des cas que nous avons reçus étaient des fractures ouvertes : des balles dans les articulations ou dans les os. J’ai moi-même pris en charge une vieille dame à qui on avait tiré une balle dans chaque genou. Elle aura des séquelles toute sa vie.
« Des hommes armés allaient et venaient dans l’hôpital. Il y avait beaucoup de tensions, des menaces, des pressions… Nous ne pouvions pas rester après le couvre-feu (18 heures), c’était trop dangereux. Nous avions peur que des patients soient tués la nuit, heureusement cela n’a pas été le cas, nous avons évité le pire.
« Dehors, nous entendions les tirs, cela donnait un sentiment de chaos, ça l’était d’ailleurs. Il fallait faire très attention quand on se déplaçait, c’était dangereux. Il y avait des cadavres dans les rues. On avait le sentiment que la ville était vidée de ses habitants, personne dans les rues, les gens avaient fui ou bien se cachaient chez eux.
« Le 8 décembre, nous avons fait face à un nouvel afflux de blessés suite à des combats vers l’aéroport, plus éloigné de l’hôpital. Des petits groupes étaient amenés par ambulance, ce qui nous permettait finalement de gérer les arrivées. Il y avait beaucoup de blessés légers, maisla foule était impressionnante. C’était la confusion la plus totale. Il a fallu faire un gros travail de triage, demander que chaque patient ne soit accompagné que d’un membre de sa famille, pour que les soins soient organisés au mieux et que les médecins puissent travailler dans un calme relatif. C’était assez stressant cet afflux et ce mélange : blessés, hommes en armes, familles, personnels….
« L’hôpital de l’Amitié a été pillé »
« Au fil des jours, le personnel de santé centrafricain a pu revenir travailler. Mais il faut garder en tête que pour les Centrafricains c’est extrêmement dangereux, ils ont été directement menacés. Nous ne pouvons pas leur demander de prendre des risques inconsidérés. Il faut qu’ils soient entourés d’expatriés car notre présence les protège, en tous cas pour le moment.
« Le principal hôpital de Bangui, celui de l’Amitié, a été attaqué le 5 décembre. Nous nous y sommes rendus quelques jours plus tard et il était complètement pillé, vide de personnel et de matériel. Il ne fonctionne plus depuis. L’hôpital Communautaire est la seule structure, pour les adultes, actuellement opérationnelle. Nous avons ouvert un projet sur la maternité Castor pour la petite chirurgie, les soins obstétriques, les césariennes et avons initié des dispensaires mobiles. Mais cela ne suffit pas.
« Le système de santé fonctionnait déjà très mal avant les dernières crises. Tout doit être relancé, d’autant qu’avec les événements, les besoins sont encore plus importants. Les populations sont extrêmement vulnérables aujourd’hui. Il faut une offre de soins primaires, de base, mais aussi secondaires : où hospitaliser, aujourd’hui à Bangui, quelqu’un qui serait gravement malade ? A l’heure actuelle, à part Castor – qui a des capacités d’accueil limitées – il n’y a par exemple aucune maternité en ville.
« L’approvisionnement reste aussi très problématique, notamment pour le fuel dont on a besoin pour alimenter les groupes électrogènes de l’hôpital. L’essence manque, ce qui pose un souci aussi pour nos voitures, les ambulances, nos déplacements…
« Les journalistes, pourtant chevronnés, étaient décomposés »
« Nous avons l’habitude de travailler dans des contextes très violents, mais cette intention volontaire et organisée de mutiler, blesser, tuer m’a choquée. L’histoire d’une famille : 20 hommes armés sont entrés chez eux et ont tout pillé. Le fils, âgé d’une trentaine d’années, a été blessé aux deux bras à la machette. Ils ont fui vers l’aéroport situé à plusieurs kilomètres de chez eux, ils ont dû traverser une rivière, de l’eau jusqu’à la poitrine et il a dû lever les bras avec une double fracture ouverte ! Ce niveau de violence et de souffrance c’est ça qui m’a le plus frappée par rapport à d’autres contextes de conflit où j’ai pu travailler…
« Nous avons rencontré des journalistes qui avaient été sur Bossangoa le 5 décembre, ils ont eu extrêmement peur. Ce sont pourtant des journalistes chevronnés, mais ils étaient décomposés en nous racontant ce qu’ils ont vu, des hommes emmenés de force dans la nature, par exemple.
« Bangui n’est pas la seule concernée par l’extrême violence, c’est toute la RCA et cela fait des mois que ça dure. Il va y avoir beaucoup à faire en termes de recueil de témoignages. Sans glisser vers le catastrophisme et en se gardant de raccourcis simplistes comme "génocide" ou "chrétiens vs musulmans", il faut que l’on puisse nommer, qualifier ce qui se passe en Centrafrique aujourd’hui. Et ce qui s’y passe est grave et dramatique ».
Le 5 décembre, les premiers soins sont délivrés à même le sol à l’hôpital Communautaire de Bangui par les équipes de MSF (Sabine Roquefort est debout, de dos). Photo Samuel Hanryon.MSF
BOSSANGOA, LE 16 DÉCEMBRE 2013
« Nous avons rarement vu une telle détresse »
La ville de Bossangoa, située dans la préfecture de l’Ouham dans l’ouest du pays, est depuis plusieurs mois le théâtre régulier de violents affrontements entre groupes armés. La quasi-totalité de la population de la zone a fui les attaques, exactions et violences pour se réfugier en brousse. Exposés au paludisme et à la malnutrition, les déplacés sont aujourd’hui dans une situation de grande détresse. Récit de Julian Donald, responsable des projets MSF à Bossangoa.
« En septembre, des affrontements entre groupes d’autodéfense (« anti-balakas ») et forces de l’ex-Séléka ont poussé environ 30 000 personnes (soit presque l’intégralité des habitants de la ville) à se réfugier dans l’enceinte de la mission catholique de la ville de Bossangoa. Avec la promiscuité, les conditions d’hygiène étaient désastreuses. Pour éviter l’émergence d’épidémies et améliorer les conditions de vie de ces déplacés, MSF a immédiatement lancé la construction de latrines, assuré l’approvisionnement en eau et géré le drainage ainsi que la collecte des déchets.
« Dans les semaines qui ont suivi, la situation sur la ville elle-même a été plus calme, mais quasiment chaque jour des attaques étaient rapportées dans les environs. Beaucoup de petits villages ont alors été incendiés, pillés et, la plupart du temps, les villageois fuyaient en brousse. Actuellement, dans toute la préfecture de l’Ouham, on estime à près de 157 000 le nombre de personnes déplacées.
« Maisons brûlées, les exactions, les assassinats… »
« Il y a quelques semaines, MSF a lancé des dispensaires mobiles dans cinq localités autour de Bossangoa. Nous nous rendons dans les villages abandonnés et marchons à travers la brousse jusqu’à ce que nous rencontrions quelqu’un qui prévient les autres et ainsi de suite. Les mamans amènent leurs enfants. Nos équipes ont pu constater la détresse des populations réfugiées en brousse. Tous racontent les maisons brûlées, les exactions, les assassinats… Beaucoup ont perdu tous leurs biens matériels, brûlés ou pillés ; leur bétail, tué ou volé. La plupart des récoltes ont été perdues et, alors que la saison sèche se profile, l’insécurité alimentaire menace.
« Les familles dorment dans la forêt ou dans les marécages, sans abris ni moustiquaires. Le paludisme fait des ravages. Nous concentrons nos efforts sur les enfants âgés de moins de 5 ans, les plus vulnérables. Avec, en plus, les diarrhées provoquées par l’ingestion d’eau impropre à la consommation et le manque de nourriture, certains enfants sont extrêmement maigres et doivent être pris en charge pour soigner leur malnutrition sévère. Beaucoup ont des plaies ouvertes sur les jambes et les bras. Nous soignons aussi pas mal d’infections parasitaires. Nous nous sommes rendus dans une localité nommée Boubou, à 34 km à l’est de Bossangoa. Nous y avons trouvé 180 enfants âgés de moins de 5 ans. 169 souffraient du paludisme, 7 étaient sévèrement malnutris et 20 étaient sur le point de l’être. Nous avons distribué des aliments thérapeutiques, des antipaludéens et des antiparasitaires.
« Seuls, nous ne pouvons pas tout faire… »
« Nous avons rarement vu des patients dans une situation aussi critique. Malheureusement, nous pensons que les plus malades et affaiblis n’ont pas la force de parvenir jusqu’à nous. Il est très difficile d’obtenir des données fiables sur la mortalité, mais le nombre de décès déclarés est en nette augmentation. La plupart concernent des enfants ou des personnes âgées : paludisme et/ou malnutrition tuent les plus vulnérables en premier lieu. En revenant aux mêmes endroits, toutes les semaines, nous espérons (re)voir plus de monde.
« La réponse de la communauté humanitaire sur Bossangoa reste minimale. A part Action contre la faim (ACF), toutes les organisations que l’on attendrait sur une telle situation humanitaire sont encore trop absentes… Seuls, nous ne pouvons simplement pas tout faire. »
Dans la préfecture de l’Ouham, 157 000 personnes ont fui leurs villages pour se réfugier dans la brousse ou à Bossangoa (ici des enfants hospitalisés, en octobre 2013). A Bossangoa, en Centrafrique, en octobre 2013. (Photo Juan Carlos Tomasi. MSF )
CENTRAFRIQUE, LE 15 DÉCEMBRE 2013
« Les conditions de vie se dégradent à l’aéroport de Bangui »
Hôpital communautaire : Aujourd’hui, 7 patients ont été reçus aux urgences. Au total, depuis le 5 décembre, nous avons pris en charge 390 blessés et plus de 200 opérations chirurgicales ont été effectuées. 109 patients sont toujours hospitalisés.
Maternité Castor : MSF mène des activités de santé maternelle (consultations prénatales et accouchements) et des activités chirurgicales afin d’accroître les capacités de prise en charge des blessés dans la capitale. Depuis le 7 décembre, 124 blessés ont reçu des soins et une vingtaine d’opérations ont été effectuées.
A compter d’aujourd’hui, l’Institut Pasteur de Bangui peut faire des analyses laboratoires pour les ONG. A nous d’assurer l’acheminement des échantillons. A Bangui, un habitant sur quatre est déplacé par les violences. Selon Ocha (bureau des Nations Unies en charge de la coordination des affaires humanitaires), dix jours après le début des violences à Bangui, 189 000 personnes seraient déplacées, fuyant les violences, soit un habitant sur quatre. Une quarantaine de sites de regroupement ont été répertoriés sur Bangui. MSF travaille dans 3 d’entre eux, et se concentre principalement sur les secours à porter aux enfants de moins de 5 ans, aux femmes enceintes et aux blessés.
Camp de déplacés de l’aéroport : Plus de 45 000 personnes vivent dans le camp Mpoko, en lisière de l’aéroport de Bangui, dans la boue, sous des bâches de fortune, sans assistance matérielle suffisante. C’est là que la situation humanitaire est aujourd’hui la plus dramatique à Bangui. Dans le dispensaire MSF , installé dans les locaux de la sûreté aéroportuaire, nos équipes dispensent près de 400 consultations par jour, contre environ 200 les premiers jours. Une salle a été aménagée pour la petite chirurgie des blessures les moins sévères et pour y stabiliser les patients les plus graves avant leur transfert vers les 2 structures hospitalières où MSF travaille. Dans une seconde salle, 3 médecins consultent sans relâche, essentiellement pour des enfants âgés de moins de 5 ans. Une troisième salle a été aménagée pour les accouchements. A l’extérieur, 3 tentes permettent désormais l’hospitalisation des patients, l’une d’entre elles fait office de maternité. Entre le 7 et le 15 décembre, plus de 32 accouchements et 1 800 consultations ont été menés (essentiellement pour la prise en charge de cas de paludisme et de victimes de violences). Des centaines de blessés ont été pris en charge et plus de 760 chirurgies mineures ont été effectuées. Les enfants souffrant de malnutrition sévère avec complications sont transférés vers Action contre la faim (ACF).
Les nombreux cas de paludisme, d’infections respiratoires, et de maladie diarrhéiques témoignent de la dégradation des conditions de vie au sein du camp de Mpoko. Restés longtemps sans latrines ni assistance alimentaire, dépourvus d’abris et de moustiquaires, les déplacés de l’aéroport survivent sans assistance adéquate. Les enfants âgés de moins de 5 ans, les mères isolées, et les femmes enceintes sont les principales victimes de cet abandon.
Au monastère de Boy-Rabe qui regroupe 12 000 déplacés, nous sommes à plus de 200 consultations par jour. Depuis le 8 décembre, plus de 1 300 consultations ont été effectuées, la moitié pour des enfants de moins de 5 ans.
A Don Bosco, qui regroupe 20 000 déplacés, 548 consultations médicales ont, au total, été dispensées, essentiellement pour des enfants souffrant du paludisme.
File d’attente pour le dispensaire MSF à l’aéroport de Bangui, en décembre 2013 (Photo Samuel Hanryon. MSF ).
CENTRAFRIQUE, LE 14 DÉCEMBRE 2013
« Il y a risque de rupture de stock de films radio »
La nuit a été calme à Bangui : nous n’avons entendu aucun tir. D’une façon générale, la situation s’améliore, notamment dans le centre-ville. Mais certains quartiers restent très tendus. Ainsi, à Boeing, des maisons et des magasins ont été brûlés et pillés ; à Miskine, des affrontements ont fait quatre morts ; il y a eu également un tué dans la zone de l’aéroport ; Gobongo et PK5 sont aussi sous pression.
Hôpital communautaire : Il n’y a plus d’hommes en armes devant l’hôpital et plus de problèmes de sécurité, la nuit depuis quatre jours. Nous restons néanmoins attentifs et prudents. Aujourd’hui, 21 patients ont été reçus aux urgences. 3 blessés venaient du quartier Miskine. 19 opérations ont été menées (laparotomie, plaies, fractures, pansements). 6 radios ont pu être faites au complexe pédiatrique de Bangui, seul endroit de la ville où il est possible d’en faire. Nous ne pouvons pas dépasser ce « quota » quotidien car il y a risque de rupture de stock de films radio. Nous avons actuellement 110 patients hospitalisés dont 100 sous les tentes. Tous les patients qui avaient besoin d’une deuxième opération sont repassés au bloc chirurgical. Les personnes déchargées de l’hôpital et ayant besoin d’un suivi pour leurs pansements sont renvoyées vers la maternité Castor. Il faut former le personnel infirmier du ministère de la Santé afin que la qualité des soins s’améliore. Il faut aussi sécuriser le puits (ouvert) de l’hôpital et faire des travaux d’amélioration dans la zone des sanitaires (douches et latrines).
CENTRAFRIQUE, LE 13 DÉCEMBRE
« Bangui est vide, les gens se sont regroupés dans les camps »
La nuit du 12 au 13 a été calme autour de la base de vie MSF . Quelques tirs lointains et très sporadiques ont tout de même été entendus entre 19 h et 23 heures. De plus en plus de boutiques sont ouvertes, quelques taxis circulent, il y a davantage de gens dans les rues. Les stations essence rouvrent quelques heures durant la journée.
Malgré cette légère amélioration, la situation reste très volatile. Ce matin, vers 8 heures, il y a eu des tirs et explosions dans le quartier Miskine. Pendant deux heures, la route vers l’aéroport a été momentanément coupée. C’est aussi tendu sur Petevo, au sud de Bangui. Plus au nord c’est calme. Les quartiers sont vides, leurs populations sont regroupées sur divers sites de déplacés (aéroport, Don Bosco, etc.).
Des affrontements à Bohong auraient fait 27 morts et 25 blessés. Le village serait vide, certaines maisons auraient été incendiées. A Carnot, où nous travaillons depuis 2010, des rumeurs d’attaque sur la ville par des anti-balakas ont provoqué un mouvement de panique au sein de la population. Les centres de santé de Mbonnet et Charpente, que nous soutenons, ont dû fermer.
L’équipe d’urgence MSF est composée du chef de mission adjoint, du coordinateur des activités médicales adjoint et de 2 logisticiens. Elle mène les évaluations des besoins (comme actuellement dans le quartier PK5) et ouvre les projets d’urgence comme celui à l’hôpital communautaire.
Hôpital communautaire de Bangui : aujourd’hui, 19 nouveaux blessés sont arrivés. Nous en avons transféré 9 vers la maternité Castor. Huit sont passés au bloc de l’hôpital communautaire. Tous sont originaires du quartier Miskine. Vingt interventions chirurgicales ont été menées par les équipes MSF et les équipes du ministère de la Santé : pathologies ORL, fractures ouvertes, pose de pansements, débridement de plaies. Aucun décès à déplorer parmi nos patients.
Au total, nous avons pris en charge 362 blessés depuis le 5 décembre. Nous avons 112 personnes hospitalisées, dont 101 sous les tentes. 12 sont encore en attente d’une intervention chirurgicale. Nous avons fourni du matériel médical au service des urgences. Nous n’avons toujours pas assez de brancardiers. Nous devons aussi former le personnel journalier en charge de l’hygiène car il y a des lacunes. Il est désormais possible de faire faire les radios de nos patients au complexe pédiatrique soutenu par l’ONG Emergency.
Nous allons aussi organiser une session d’information et de sensibilisation sur l’utilisation des douches et latrines que l’on vient de mettre en place pour les patients, les déplacés et les familles vivant actuellement dans l’enceinte de l’hôpital. Il nous reste un stock de 80 couvertures, nous pouvons peut-être nous en servir pour constituer des « kits d’admission » à donner aux patients à leur arrivée (couverture, assiettes, gobelet, 2 cuillères).
Notre équipe est composée de : Jesse, responsable de projet ; Stéphane, logisticien ; Francis, médecin, et Sophie, infirmière, tous deux urgentistes ; Kerstin, médecin, et Becky, infirmièree, toutes deux en charge du suivi post-opératoire ; Laurent et Jacques, chirurgiens ; Marie-Anne et Jean-Louis, infirmiers anesthésistes ; et Stephan, infirmier de bloc.
Des déplacés traversent le tarmac de l’aéroport de Bangui, le 14 décembre. Près de 40000 personnes se sont réfugiées dans cette zone. Sur le tarmac de l’aéroport de Bangui (Photo Reuters)
CENTRAFRIQUE, LE 12 DÉCEMBRE 2013
« La société qui fabrique les bouteilles d’oxygène a été pillée »
Sur décision de Bangui, toutes les frontières du pays ont été fermées ce jeudi. A part quelques incidents et tensions dans certains quartiers, la situation est relativement calme. Quasiment aucun service de transport public ne circule. Nous restons sur nos gardes.
Hôpital communautaire : aujourd’hui, nous avons reçu 13 patients dont beaucoup venaient du quartier Gobongo. La plupart présentaient des blessures (par balle) datant d’il y a plusieurs jours. 2 ont été blessés par arme blanche plus récemment. 16 opérations chirurgicales ont été menées : abdomens, fractures ouvertes, débridements, changements de pansements…
Au total, nous avons pris en charge 343 blessés depuis le 5 décembre. Plus de la moitié sont arrivés au cours des 2 premiers jours de la crise. Nous avons actuellement 100 personnes hospitalisées dont 84 sous tentes. 24 sont en attente d’une première intervention chirurgicale. Nous allons commencer les opérations pour les patients ayant besoin d’une deuxième intervention.
Le chirurgien et l’infirmier anesthésiste supplémentaires sont arrivés. Aux blocs : il faut que l’on termine les travaux d’électricité et qu’on améliore l’approvisionnement en eau. Il faut dératiser. Les 3 citernes sont pleines. Toutes les tentes sont désormais équipées d’électricité et de ventilateurs. 4 douches ont été ajoutées. Les travaux sanitaires sont terminés. Des couvertures ont été distribuées aux patients. Une partie des médicaments est arrivée, les injectables et ceux devant rester au froid. A cause de l’insécurité, nous ne pouvons toujours pas de rester au-delà du couvre-feu de 18 heures.
Au niveau de l’hôpital, en dehors des services où MSF travaille, les urgences ont réouvert 24 heures sur 24. Le gynécologue est de retour. Par contre, l’hôpital est en rupture de stock d’oxygène. La société qui le fabrique a été pillée. A la maternité il faut payer 18 euros pour un accouchement et 91 euros pour une césarienne. De toute façon, il n’y plus de matériel pour les césariennes. Il faut voir comment nous pouvons étendre nos activités à d’autres services.
Nous allons mener une évaluation dans le quartier PK 5 de Bangui (nombre de déplacés, leur vulnérabilité, état du centre de santé qui serait à priori fermé). Nous en profiterons pour nous présenter à la population, expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons.
CENTRAFRIQUE, LE 11 DÉCEMBRE 2013
« On voit encore des blessés qui n’ont pas été soignés depuis une semaine »
Journée étrangement calme, avec juste quelques cas isolés de pillage de boutiques.
Hôpital communautaire : 16 blessés ont été reçus aujourd’hui. En majorité des cas graves. 9 ont été hospitalisés. 15 opérations chirurgicales : laparotomie, débridement de fractures ouvertes, 2 poses de drain thoracique, prise en charge de 2 plaies étendues… Nous avons malheureusement eu un décès en soins post-opératoires. Au total, 330 blessés ont été pris en charge depuis le 5 décembre. Actuellement nous avons 97 personnes hospitalisées, dont 80 sous tentes. 60 patients sont passés au bloc opératoire, 37 sont encore en attente d’une intervention chirurgicale.
Nous avons maintenant dans l’hôpital neuf tentes, avec une capacité de près de 100 lits. Des ventilateurs ont été préparés pour les tentes supplémentaires qu’on a installées mais il en faut plus car il fait assez chaud dans les tentes, malgré le filet à ombre. Pour le brancardage, cela va beaucoup mieux, on a plus de personnel. En hospitalisation, le problème est que la plage du temps de surveillance est trop courte. Le personnel arrive vers 8-9h et part vers 16-17h. On va les chercher et on les raccompagne chez eux. Ce sont nos règles de sécurité car pas de taxis, pas de motos dans les rues. On a reçu 1,1 tonne de nourriture (huile, farine, haricots, sel) du PAM (Programme alimentaire mondial) suite à notre demande. Avant, on avait reçu 330 kg de haricots, 300 litres d’huile et 30 kg de sel du CICR (Comité International de la Croix-Rouge).
Maternité Castor : Nous voyons encore des blessés qui n’ont pas été soignés depuis une semaine. Aujourd’hui, nous avons reçu 30 blessés et 10 femmes enceintes.
Camp de déplacés de l’aéroport : Un recensement fait dans le camp les 8 et 9 décembre donne un chiffre de 32 000 personnes déplacées. Mais cette liste n’est pas complète, il y a encore quelques milliers de personnes à recenser dans le camp. Nos équipes ont donné au total 876 consultations depuis le 7 décembre. Nous continuons le transfert des blessés et des cas médicaux et chirurgicaux urgents vers la maternité Castor, l’hôpital communautaire ou une structure pédiatrique de Bangui soutenue par l’ONG Emergency.
Camp de déplacés du monastère de Boy-Rabe : Nous avons donné les médicaments et le matériel médical nécessaire pour les soins. L’équipe médicale d’expatriés est sur place depuis aujourd’hui pour assurer les soins médicaux, comme à l’aéroport, pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes.
Camp de déplacés de Don Bosco : nous avons toujours une petite équipe qui donne plus de 70 consultations par jour essentiellement à des enfants souffrant de paludisme.
Village SOS de Ouango : Après la visite de ce centre de déplacés, nous avons donné des médicaments à la clinique SOS pour la prise en charge des cas de paludisme, des infections respiratoires et des diarrhées, le traitement des infections et les pansements.
Tessy Fautsch, MSF nurse is treating displaced families in the airport where MSF has set up a clinic. MSF provided more than 200 consultations per day mainly traumas and malaria cases . Tessy Fautsch, infirmière, dans le camp de l’aéroport (Photo Camille Lepage. Polaris)
CENTRAFRIQUE, LE 10 DÉCEMBRE 2013
« Nous manquons de brancardiers »
Une journée difficile dans la capitale : accrochages, échanges de tirs, violences et pillages toute la journée dans différents quartiers.
Hôpital communautaire : 35 blessés ont été reçus aujourd’hui. En majorité des cas graves. 24 ont été hospitalisés. 21 opérations chirurgicales : laparotomies, débridement de fractures ouvertes, blessures par balle, luxations, prise en charge de plaies sévères… Nous avons malheureusement eu 3 décès en salle de réveil. Au total, 314 blessés ont été pris en charge depuis le 5 décembre. Actuellement nous avons 91 personnes hospitalisées, dont 66 sous tentes. 66 patients sont passés au bloc opératoire, 25 sont en attente d’une intervention chirurgicale.
Nous avons installé deux tentes supplémentaires, une de 84 m² et une de 30 m². Peut-être en monter un ou deux de plus ? Nous avons aussi mis en place un petit groupe électrogène pour alimenter le bloc opératoire en cas de coupure d’électricité et avons pu récupérer des lits pour les patients sous traction (traitement de réduction des fractures). Il faut trouver une solution pour l’élimination des déchets coupants. Nous manquons de brancardiers.
Maternité Castor : aujourd’hui, nous avons pris en charge 37 blessés.
Centre de déplacés de l’aéroport : Plus de 20 000 personnes déplacées s’y trouvent. Nos équipes dispensent plus de 200 consultations par jour (essentiellement des cas de traumatismes corporels et de paludisme) pour les enfants âgés de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Nous continuons le transfert des blessés et des cas médicaux et chirurgicaux urgents vers la maternité Castor, l’hôpital communautaire ou une structure pédiatrique de Bangui soutenue par l’ONG Emergency.
Centre de déplacés du monastère de Boy-Rabe : nous commençons à mettre en place sur ce site, où se trouvent 15 000 personnes, le même type d’activités que celles de l’aéroport.
A Bossangoa : MSF continue ses activités médicales, dont des opérations chirurgicales pour les blessés qui arrivent à l’hôpital, ainsi que la prise en charge des cas de paludisme sur les sites de déplacés. Nous poursuivons également notre assistance logistique pour les 37 000 personnes déplacées et regroupées autour de la mission catholique et à l’école Liberté (approvisionnement en eau, y compris potable, installation de latrines, distribution de kits d’hygiène). Depuis le week-end dernier, des milliers de déplacés supplémentaires sont arrivés à l’école Liberté.
A Batangafo : les équipes mobiles ont du mal à traverser une rivière pour porter assistance aux personnes déplacées cachées en brousse.
Service d’hospitalisation de l’hôpital Communautaire de Bangui (photo Samuel Hanryon. MSF )
BANGUI, LE 9 DÉCEMBRE 2013
« Un spot sur les radios locales »
Hôpital communautaire : aujourd’hui, nous avons reçu 19 patients. Parmi eux : de nouveaux blessés par balle ou arme blanche (couteau, machette). 13 ont été hospitalisés et 6 ont été vus en consultation externe. Quatre présentaient des éviscérations. 14 interventions chirurgicales ont été menées : 2 laparotomies, 1 traitement de plaie compliquée (parage), 2 débridements sans fracture, 8 fractures ouvertes, 1 drain thoracique posé. Au total, depuis le 5 décembre au matin, début des affrontements à Bangui, 279 blessés ont été pris en charge.
Actuellement 97 personnes sont hospitalisées (46 en pré-op et 51 en post-op) dont 57 sous les 6 tentes de 45 m² opérationnelles (60 lits) et dotées d’électricité. Deux autres tentes dont une de 85 m² sont en cours d’installation, ce qui portera la capacité d’hospitalisation supplémentaire, hors bâtiments en dur, à 100 lits. 0 décès aujourd’hui.
Un deuxième bloc opératoire a été équipé pour que le chirurgien supplémentaire puisse travailler dès son arrivée. Il y a eu une coupure d’électricité qui a duré une minute, le groupe électrogène a bien pris le relais. Coupure d’eau aussi au niveau des lavabos du bloc : il faudra installer une citerne supplémentaire. Nécessité de lits pour les personnes sous traction (traitement de réduction des fractures). La maternité est vide, on pourrait y récupérer des lits ? A voir avec la direction de l’hôpital. Six latrines ont fini d’être construites. Au total, 8 latrines sont opérationnelles. Deux repas ont pu être servis aujourd’hui à tous les patients de l’hôpital.
Dans les centres de déplacés de l’aéroport et Don Bosco : soins médicaux pour les enfants âgés de moins de 5 ans et pour les femmes enceintes. Transferts de blessés et des cas médicaux et chirurgicaux d’urgence vers la maternité Castor, l’hôpital communautaire ou le complexe pédiatrique de Bangui soutenu par l’ONG Emergency. Apprivoisement en eau et mise en place de latrines à Don Bosco.
Maternité Castor : environ 30 lits d’hospitalisation pour la prise en charge des blessés légers et des femmes enceintes. Possibilité d’y proposer des soins post-opératoires et de la chirurgie ambulatoire. Problème : cette structure de santé est très enclavée et située dans un quartier tendu depuis deux mois. Nous avons passé un spot sur les radios locales pour dire qu’on y travaille et inviter les patients à s’y rendre. A la demande du complexe pédiatrique de Bangui, nous avons fait une donation de traitements antipaludéens. Nous limitons nos mouvements, plusieurs zones de la ville sont « chaudes ». Tous les axes ne sont pas empruntables tout le temps du fait des opérations militaires.
Le 5 décembre 2013, à Bangui, MSF prend en charge des blessés par arme à feu ou arme blanche (machettes et couteaux). (Photo Samuel Hanryon. MSF )
BANGUI, LE 8 DÉCEMBRE 2013
« Un second bloc opératoire a été ouvert »
Hôpital communautaire : Dans les heures qui ont suivi le début des combats, des équipes MSF ont rejoint l’hôpital Communautaire afin de faire face à l’afflux de blessés. 16 personnels médicaux travaillent dans les services des urgences, de chirurgie et d’hospitalisation. Environ 260 blessés ont été pris en charge depuis le 5 décembre. La plupart présentent des blessures par arme à feu ou arme blanche (machettes et couteaux). Un peu plus de 100 personnes sont actuellement hospitalisées. Plus de 60 opérations chirurgicales ont été menées. Une équipe chirurgicale supplémentaire viendra prochainement soutenir les équipes MSF et du ministère de la Santé. Un second bloc opératoire a été ouvert, et 7 tentes installées afin de recevoir les blessés et augmenter la capacité d’hospitalisation. Environ 200 morts ont été amenés à la morgue de l’hôpital par les équipes de la Croix-Rouge, du CICR et les familles.
Maternité Castor : 27 lits hospitalisation pour la prise en charge des blessés légers (petite chirurgie) et des femmes enceintes.
Centre pour personnes déplacées de Don Bosco : MSF met en place un approvisionnement en eau et des latrines pour les 5000 à 6000 personnes déplacées regroupées sur la zone. Une donation de médicaments et de matériel médical a été faite à la clinique Saint-Luc, située dans le camp de déplacés de Boy-Rabe (15 000 personnes).
Un second bloc opératoire a été ouvert à Bangui, et plusieurs tentes installées pour augmenter la capacité d’hospitalisation. (Photo Samuel Hanryon. MSF )
BOSSANGOA, LE 8 DÉCEMBRE 2013
« 37 000 personnes déplacées »
Au cours des violents affrontements de ces deux derniers jours qui ont fait 28 morts, les équipes MSF (dont 23 expatriés) ont travaillé non-stop afin de prendre en charge les besoins médicaux et porter assistance à plus de 37 000 personnes déplacées dans la zone.
A l’hôpital de Bossangoa, 21 blessés par balle et 2 par machette ont été pris en charge ; 16 blessés sévères ont été opérés et une soixantaine de patients ont été hospitalisés. Nos activités d’hygiène et de sanitation se poursuivent : approvisionnement en eau et installation de latrines pour les 37000 personnes déplacées regroupées à l’Evêché et à l’école Liberté de la ville. Dans le même temps, MSF a initié une assistance à 2000 nouveaux déplacés répartis sur plusieurs autres sites. En coopération avec la Croix Rouge internationale, nos équipes ont ramassé les cadavres aux alentours de la ville.
carte bangui avec monastère MSF Centrafrique