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Afghanistan : Ali, 13 ans, orphelin, traqué par les talibans, ignoré par la France



Libération, 24 mars 2019 - Solène Chalvon-Fioriti, C’est l’histoire d’un jeune adolescent qui, lorsqu’il se remémore les derniers instants de sa mère, la compare à « un poisson » sorti de l’eau, en quête d’un dernier souffle. Quand il raconte la scène, l’adolescent taciturne de 13 ans mime le visage tant aimé la bouche arrondie, laissant échapper un râle étouffé. « J’ai pris sa main, j’ai hurlé son prénom… et ses yeux sont partis », murmure-t-il, bras croisés contre la poitrine, ses yeux vert olive mouillés. C’est l’histoire d’un orphelin afghan, dont les deux parents ont été tués par les talibans et à qui il ne reste qu’un frère, réfugié en France. L’histoire d’un gamin traumatisé à qui cette même France refuse pourtant un visa depuis des mois.

Le 29 janvier, au cœur des reliefs couleur sable du district de Tagab, autrefois sous contrôle de l’armée française mais désormais fortement dominé par les talibans, Sadia, 50 ans, est chez son frère, où elle a trouvé refuge quelques jours plus tôt. Des hommes armés font irruption dans la maison. Sadia et son frère sont abattus. L’un des cousins d’Ali est battu à mort par les rebelles. Lui doit son salut à sa cachette, dans la cour d’une maison adjacente, « derrière une malle lourde », raconte-t-il. Sur les trois certificats de décès officiels produits par les autorités de Tagab, on peut lire la mention « assassinat ».

« Vendetta »

Ces morts sont les derniers d’une longue liste pour la famille d’Ali. Parwana, la grande sœur, a péri dans un attentat à Kaboul en 2002. Molajan, le père, ancien propriétaire d’un hôtel et de deux restaurants à Kaboul, dont le populaire comptoir à brochettes Naguib, a été assassiné par les talibans entre 2016 et 2017 en Kapisa, dont le district de Tagab fait partie. Evoquer son nom auprès des nouveaux tenanciers de ces établissements dérange. « Personne ne veut être mêlé à la vendetta qui a touché sa famille », commente un habitant d’un village proche de Khuchalkhail, où le triple meurtre a eu lieu. « Tout est parti du fils qui vit en France, Hassan (1), se souvient ce vieil homme, qui requiert l’anonymat, par crainte de représailles. Il était très anti-taliban. Il avait même créé un petit groupe dans son école pour lutter contre les insurgés. »

L’intéressé, qui a obtenu l’asile politique en France, où il vit depuis 2013, ne nie pas ce passé. « J’étais jeune, je ne pensais pas que ça irait si loin, je jouais même au foot avec des talibans ! Ce n’était pas méchant, on n’avait même pas d’armes », explique ce traducteur dans un excellent français, tout en demandant que son prénom soit changé, de peur que les insurgés ne s’en prennent à sa famille éloignée, restée au pays. « Il donnait des informations à l’armée afghane. Ça s’est su, commente notre informateur. Alors quand les talibans ont envoyé le cadavre de son père sans la tête au village, personne n’a été surpris. »

Refus implicite

A l’automne dernier, convaincu que le cycle de vengeance va se poursuivre, Hassan sollicite l’association Osiris, qui vient en secours aux réfugiés traumatisés, afin qu’elle l’aide à obtenir un visa français pour sa mère, harcelée de menaces, et pour son jeune frère. Il les envoie au Pakistan – c’est là-bas que sont désormais traités les visas longue durée pour les Afghans. Pendant trois mois, la mère afghane couverte d’une burqa beige et son plus jeune fils errent, de Peshawar, la grande ville de l’Ouest, proche de l’Afghanistan, à Islamabad, la capitale pakistanaise. A cette période, Ali commence à apprendre le français, en prévision de son départ. Mais rien ne se passe. L’ambassade de France à Islamabad ne les convoque pas pour un entretien. Dans un mail dont Libération a eu connaissance, celle de Kaboul se montre sceptique quant aux menaces de mort dont ils font l’objet. Contactées, les deux ambassades n’ont pas donné suite à nos demandes.

Devant ce refus implicite, mère et fils rentrent en Afghanistan. Dix jours plus tard, Sadia est tuée. Ali prend la fuite pour le Pakistan, un petit sac noir léger à l’épaule. Depuis, il panse ses plaies dans la cour tranquille d’une ONG pakistanaise, qui l’a recueilli en secret à Peshawar. Ses compagnons de dortoir, de jeunes gamins des rues drogués, sont ici pour se sevrer. Quand ils jouent au cricket, Ali s’assied sur un coin d’herbe et les couve de ses yeux éteints. « Les premiers jours, il ne parlait pas, il ne voulait pas se laver. Et puis, il s’est ouvert. Surtout quand il y a du foot à la télé ! » assure l’un des éducateurs, qui s’emploie chaque jour à rassurer Hassan, mort d’inquiétude à l’autre bout du fil. Le jeune Afghan a déjà passé plus d’un mois dans le centre, tandis qu’à Islamabad comme à Paris, des administrations statuent sur son sort. L’acte de décès de sa mère leur a été transmis depuis des semaines. Ali attend toujours.

(1) Le prénom a été changé


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 26 mars 2019

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